Concerto pour violon d’Ingres
Lui qui prit le romantisme à rebrousse-poil et se fit haïr de Baudelaire, qui fut second violon mais premier pinceau, fut éreinté par une certaine critique. Ses 25 femmes étendues nues dans un bain turc choquèrent. Paul Claudel s'en offusquera et ironisera tandis que Pablo Picasso en concevra un enthousiasme sans bornes. Alors académique Ingres ? Admirateur de Raphaël, il ne se priva pourtant pas de certaines fantaisies, ajoutant par exemple trois vertèbres à sa grande Odalisque nue. C'est donc peu de dire que JDA (Jean Auguste Dominique) Ingres provoqua la polémique et la perplexité.
Ingres aimait se transporter par l'imagination au milieu des femmes alanguies, nues, des harems. Sa vie en témoigne, comme dans un cycle : il peignit ces modèles à ses débuts et à la toute fin de sa vie, en vieillard se disant encore vert. En quête d'une idéal de beauté.
"Le Bain turc" : un "Tondo à la turque"
Le "Bain turc" porte mal son nom. Ainsi désigné, on imagine qu'il s'agit d'une représentation fidèle et réelle d'une scène orientale. Or, il n'en est rien. Aucun modèle n'a posé directement et Ingres a réalisé une compilation de peintures, dessins et illustrations qu'il a collectés durant sa vie. Il s'est livré à cette oeuvre quasi licencieuse dans une sorte de crise de la quatre-vingtaine. Les femmes du passé du peintre surgissent en effet sous les traits de plusieurs baigneuses. La forme du tondo est empruntée à la Renaissance mais adaptée ici, par le thème choisi, à la mode turque. Tout comme Mozart a composé un "rondo à la turque", Ingres a donc composé un tondo à la turque, un titre qu'il aurait peut-être accepté pour sa toile, en tant que violoniste d'orchestre. D'ailleurs, le tableau ne représente-il pas un orchestre ? On y voit une joueuse de luth oriental et une danseuse à castagnettes. Un orchestre idéal et fantasmé !
Une querelle des styles fit rage au salon de 1824. On opposa Ingres à Delacroix dont le romantique était porté aux nues. Si le "Voeu de Louis XIII" de JDA Ingres fut admiré des critiques, son auteur fut opposé sans nuances à son rival qui avait peint "Massacres de Scio" tellement fort, tellement romantique, bref tellement dans l'air du temps...
Nul n'est prophète en son pays, se dit plusieurs fois Ingres qui fit des va-et-vient entre la France et l'Italie, au gré de l'humeur des amateurs d'art. Premier séjour à Rome entre 1806 et 1820. Ce sont ses années les plus fécondes. Ingres est moins porté aux nues que porté sur les nus.
La "Grande baigneuse"
Il peint un "nu vu de dos". Cette baigneuse baigne effectivement dans une ambiance fermée sans fenêtre (on n'est pas chez Vermeer), humide et dans une lumière diffuse.
Cette baigneuse - qui s'avérera être sa future épouse, Madeleine Chapelle - sera reproduite à l'identique dans le "Bain turc" bien plus tard, à la fin de sa vie, en 1862. C'est elle qu'il représente les bras levés s'étirant telle une nymphe. Elle était pourtant morte depuis 1849. Dans le" Bain turc", Ingres fait encore preuve d'audace anatomique en peignant une épaule droite abaissée en contradiction avec le bras levé.
Ingres affectionna tout particulièrement peindre les étoffes et les bijoux dans leurs détails les plus précieux (exemple ici avec "Madame Moitessier"), donnant la primauté au dessin. Mais c'est dans l'art du nu, dépouillé de tous ces apparats, qu'il exprima véritablement tout son talent.
"La Grande Odalisque"
On retrouve ici le turban, une des marques de l'orientalisme, sur la tête de l'odalisque, mot dérivé du turc odalik signifiant "femme de harem".
Reprenant le modèle de "Madame Récamier" de David, dont il avait peint les accessoires quand il était l'élève de David, Ingres composa la "Grande odalisque". Mais il osa s'écarter du romantisme de son aîné et prit des risques avec les lignes. Cela lui valut la haine d'un Baudelaire déclarant "Je hais le mouvement qui déplace les lignes". Il faut voir là les propos d'un poète aveuglé par le romantisme !
Ingres ajouta trois vertèbres à la grande odalisque dont la forme ainsi allongée se fait reptilienne. A regarder de côté pour mieux s'en rendre compte. Notons aussi l'angle peu naturel de la jambe gauche. Pendant ce temps, Baudelaire s'emportait toujours "Il croit que la nature doit être corrigée, amendée : que la tricherie, heureuse, agréable, faite en vue du plaisir des yeux, est non seulement un droit, mais un devoir..." Un siècle et demi après ces critiques, les yeux sont là pour témoigner du plaisir de contempler les toiles d'Ingres.
Un nouveau tableau d'Ingres !
"L'Arétin et l'envoyé de Charles Quint" est une oeuvre qui n'est réapparue sur le marché de l'art qu'en 2010. L'acquisition de cette toile est en cours par le Musée des Beaux-Arts de Lyon qui a lancé une souscription publique. On y voit l'envoyé de Charles Quint qui dérange l'écrivain libertin en pleine débauche (deux femmes nues en arrière-plan). Il lui propose le cadeau de Charles Quiint ; sous la menace de son sabre. Il se fait rembarrer sèchement, ou plutôt très ironiquement : "c’est là un bien mince cadeau pour une si grande sottise". Le bras de l'envoyé de l'empereur paraît démesurément long, entre la main qui empoigne l'épée, et le haut de l'épaule (à notre gauche) ou bien très contorsionné. Est-ce un effet d'optique ou une nouvelle liberté de notre peintre ?
Une galerie de portraits célèbres
L'Apothéose d'Homère" se voulait le pendant de l'Ecole d'Athènes "de Raphaël. La scène représente Homère qui reçoit les hommages de tous les grands hommes de la Grèce ancienne, mais aussi des grands personnages de la Rome antique et des temps modernes. Aux pieds d'Homère sont assises deux femmes. Il s'agit d'allégories de ses oeuvres L'Illiade et l'Odyssée.
- dans la partie haute : Hérodote (il fait fumer de l'encens : il encense le poète), Eschyle à la gauche d'Homère qui tient un parchemin, Apelle et ses pinceaux et, face à lui, le sculpteur Phidias avec un maillet à la main, Virgile (il précède Dante qui figure en manteau rouge et qui possède un fort menton), Périclès casqué, Alexandre le Grand tenant un coffret qui contient l'oeuvre du poète...
- dans la partie basse, les modernes : Poussin domine le groupe de gauche. Son portrait a été directement copié de l'autoportait du peintre aujourd'hui conservé au musée du Louvre. Derrière lui se tient Corneille. Il y a aussi là Shakespeare et Le Tasse. A droite, on voit Molière et Racine (derrière, en bleu)...
De Jean Auguste Dominique Ingres, on a retenu aussi l'expression "violon d'Ingres", le peintre était en effet second violon dans l'orchestre du Capitole de Toulouse. Mon violon d'Ingres à moi est d'illustrer les toiles des maîtres dans des vidéos musicales, sur des musiques de compositeurs de leur époque. Comme Ingres était aussi à l'aise avec l'archet qu'au pinceau, on peut très bien l'imaginer tenir ici le violon dans le trio musical qui accompagne le concerto de couleurs de cette vidéo.
Bonne visite en images et en musique (un adagio de Mozart) !