mardi 23 juillet - par Vincent Delaury

Connaissez-vous le trésor d’Oignies ?

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Le frigidarium des thermes de Cluny, sa salle froide, avec ses voûtes d’origine, s’élevant à 14 mètres

Direction Saint-Michel - Notre-Dame, par le RER B, arrêt Musée de Cluny, à Paris : que j'aime cette petite enclave du temps des cathédrales, comme retirée en plein cœur du quartier latin, apaisante au possible, avec ses thermes humides gallo-romains très hauts de plafond, loin du brouhaha ambiant, ses murailles dentelées, qui me rappellent mes BD historicistes d'enfance qui faisaient batailler sous mes yeux, à foison, moult « petits soldats » sur la page tabulaire, et sa tapisserie « mille-fleurs » all-over courant sur l'iconique dame à la licorne, certes s’y trouvent les six tapisseries de cette légendaire Dame à la licorne, qu’on ne présente plus, cependant les collections de cette institution (le seul musée national en France consacré au Moyen Âge), ne comptent pas moins de 26 000 œuvres, dont un certain nombre relevant de l’art de l’orfèvrerie, qui nous intéressera tout particulièrement ici au vu du thème temporaire présentement célébré dans ses murs, le trésor d’Oignies (exposé dans sa quasi-totalité au musée de Cluny, jusqu'au 20 octobre prochain), contenant énormément de pièces d’orfèvrerie gothique créée au XIIIe siècle, principalement religieuse, dont des reliquaires (coffret précieux renfermant des reliques), évangéliaires (livres liturgiques contenant les passages des Évangiles lus à la messe) et autres objets de culte, véritables bijoux, à la croisée de l’Occident et de l’Orient, qui comptent comme autant de chefs-d’œuvre.

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Tapisserie de « La Dame à la licorne », détail (le goût), tenture conservée au musée de Cluny (Paris) : « Joconde du Moyen Âge » à la composition constituée de six tapisseries du début du XVIe siècle, chef-d’œuvre des débuts de la Renaissance française

S’immerger dans ce musée, rouvert en mai 2022, avec une rénovation pleinement réussie offrant au plus grand nombre - il y a toujours du monde, en 2023, cette institution a accueilli pas moins de 273 894 visiteurs ! – un « Moyen Âge Nouvelle Génération » permettant de déceler dans celui-ci, ni plus ni moins, les origines du monde contemporain, c’est, disons-le tout net, une sorte de retour à l'essentiel, aux sources de l’art véritable, comme à distance de la macédoine survendue de l'art contemporain corporate officiel, bien trop souvent indigeste au possible, et dont l'insignifiance n'a d'égale que sa glose, accompagnée comme il se doit d'un label marchand qui assomme, pour la légitimer.

Dans un premier temps, penchons-nous sur les mystères de ce trésor d’Oignies, valant, tant pour sa signification symbolique que pour sa puissante beauté plastique, largement le détour, puis, dans un deuxième, sur ses échos possibles, dans le registre des arts plastiques, avec le champ de la modernité et de la contemporanéité. 

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Carte dans le circuit aidant à localiser Oignies en Belgique

Escale à Paris pour le merveilleux trésor d’Oignies

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Reliquaire du lait de la Vierge, atelier d’Oignies, vers 1240-1250, argent doré, cuivre doré, nielles, améthyste. Coll. Fondation Roi Baudouin

À l’étage du musée de Cluny, l’on y découvre, en événement temporaire, grâce à la générosité de la Fondation Roi Baudouin, le prestigieux trésor d’Oignies, alors qu’un oiseau de feu (la Colombe-reliquaire du lait de la Vierge, atelier d’Oignies, vers 1240-1250), juché sur un piédestal d'apparat, nous accueille allègrement – c’est assurément le clou de cette expo, à ne surtout pas rater - avec son cœur violet miroitant d'une beauté à tomber, vertige du vestige, à la simplicité dorée toute brancusienne avant l’heure, qui remonte ici, comme par magie, à la surface, pour nous éblouir avec éclat(s). Ce trésor sorti exceptionnellement de son territoire d'origine (en provenance directe d’Oignies, héritage flamboyant du plat pays qu’est la Belgique), est tout de même classé, excusez du peu, au « royaume de la moule et de la frite », comme une des sept merveilles du pays – le panneau chrono-pédagogique central du circuit indique même : « 1978. Le trésor d'Oignies est reconnu par le Commissariat général au Tourisme comme l'une des "Sept merveilles de Belgique" » ; je précise qu'Oignies, et non pas Oignon - à vous de bien placer les lettres ! -, est une petite bourgade située entre Charleroi et Namur, cette dernière étant notamment connue en France, soit dit en passant, pour être la ville de l’acteur belge Benoît Poelvoorde (il y est né le 22 septembre 1964) faisant, comme on le sait, carrière chez nous, au cinoche, depuis un bon moment !

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À l’entrée de l’expo « Merveilleux trésor d’Oignies, éclats du XIIIe siècle » au musée de Cluny - Le monde médiéval, Paris

Quid du trésor d’Oignies ? Il s’agit d’un rare ensemble encore conservé, montré à titre exceptionnel dans l’Hexagone (merci à nos chers voisins belges !), d’œuvres médiévales (pièces d’orfèvrerie, sélection de textiles) commandées au cours du XIIIe siècle, au nom de la gloire du divin, pour le service d’une communauté religieuse, celle des chanoines du prieuré Saint-Nicolas d’Oignies. Celui-ci fut fondé en 1198 par ses frères Gilles, Robert et Jean de Walcourt.

Fort d’une riche tradition d’exposition de trésors (trésors de la Peste noire d’Erfurt et de Colmar en 2007, ou trésors de la Croatie médiévale en 2012), Cluny, étant lui-même riche d’une collection d’orfèvrerie de niveau international (comptant entre autres le retable de la Pentecôte pour l’abbaye de Stavelot près de Liège), fait ici, pour notre plus grand émerveillement, un formidable focus, sur cet enthousiasmant trésor belge, en s’appuyant solidement sur un double commissariat croisant agréablement les regards, porté à la fois par Julien De Vos, directeur du Service des musées et du patrimoine culturel de la province de Namur et Christine Descatoire, conservatrice générale responsable de l’orfèvrerie et des textiles occidentaux au musée de Cluny.

Cette expo-somme, ne manquant aucunement de révéler des œuvres majeures, tels que le reliquaire du lait de la Vierge, le reliquaire de la côte de saint Pierre, les plats de reliure de l’évangéliaire d’Oignies ou encore le calice et la patène dits de Gilles de Walcourt, tout en offrant pédagogiquement, ouf !, sur l’une des cimaises du parcours à effectuer un glossaire bienvenu nous invitant à balayer les différentes techniques de l’orfèvrerie, du repoussé (technique consistant à créer des reliefs dans une feuille de métal en « repoussant » le métal) au vernis brun (décor de couleur brun-rouge sur cuivre, obtenu en chauffant de l’huile de lin appliquée sur le métal) via l’estampage (technique de mise en forme et de décor d’une feuille de métal à partir d’une matrice), les filigranes (fils de métal soudés sur un champ métallique ou fixés par des tiges pour créer un ouvrage ajouré), la ciselure et gravure (procédés de décor du métal consistant à tracer des lignes à la surface), l’émail (poudre de verre colorée) et autres nielle (décor d’incrustation de couleur grise, bleue ou noire sur argent, obtenu à partir d’un sulfure métallique déposé dans des cavités), offre l’occasion, par-delà sa dimension esthétique indéniable, de retracer, dans ses grandes lignes, l’histoire du prieuré Saint-Nicolas d’Oignies.

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Reliquaire-monstrance avec remploi, pied : Hugo d’Oignies et atelier, 1226-1229, monstrance : XVIIe siècle (Henri Libert ?), cuivre doré, argent, nielles, verre, tissu. Coll. Fondation Roi Baudouin
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« Marie d’Oignies, couronnée par les anges, dialogue avec le Christ ressuscité », copie d’une peinture de l’artiste bruxellois Gaspar de Crayer (vers 1642, disparu), vers 1650, huile sur toile, Aiseau-Presles (Hainaut), fabrique de l’église Saint-Martin

Ce récit médiéval s’enroule ici autour de trois figures centrales : la mystique et ascète Marie d’Oignies (1177-1213), qui frappa ses contemporains par ses visions et ses expériences extatiques, elle fit, sans aucun doute, la renommée du pèlerinage au prieuré, le prélat Jacques de Vitry (1185-1240), qui ne fut autre que le principal mécène du prieuré, et enfin le fort talentueux orfèvre Hugues de Walcourt, dit Hugo d’Oignies (mort vers 1240), dont les créations, et celles de son atelier, qui demeura actif jusque vers 1260-1270, avec leur profusion de nielles, de filigranes et de motifs en arabesque, constituent, en participant pleinement à faire du prieuré un important foyer de création d’orfèvrerie, un témoignage ô combien virtuose du travail du métal précieux.

Au sein du parcours de cette petite expo (toute resserrée, ce qui n’empêche point son amplitude « narrative » redoutable, nous invitant joyeusement à lâcher les brides de l’imaginaire), mazette, tout y est doré, rutilant de mille feux !, s’y distingue tout particulièrement un drôle d’oiseau, une Colombe-reliquaire du lait de la Vierge (vers 1240-1250), au cuivre rutilant, loin de passer inaperçu ! Cet oiseau au bec acéré et au plumage finement travaillé, associant les techniques du repoussé, de la gravure et de la ciselure, trône gaiement, sous vitrine (de peur qui s'envole ?), sur une tige munie de deux nœuds et fixée sur un socle hémisphérique reposant sur trois pattes, est censé contenir le lait virginal en tant que relique, considéré comme possédant des vertus médicinales provoquant, alléluia !, des guérisons miraculeuses, dont des ophtalmiques, tout en favorisant la lactation des femmes. De plus, ce volatile gracile, qui n’est autre qu’une colombe eucharistique bienfaitrice, d’une modernité formelle folle, arbore, sur sa poitrine une grosse améthyste, sertie dans un entourage dentelé à cordon perlé, qui apporte une magnifique touche de couleur violette, comme aurait pu le faire un peintre inspiré devant sa toile, à cet ensemble mordoré – cette pierre précieuse en quartz associée à la Jérusalem céleste (car constituant une des douze pierres de sa muraille), diaphane et translucide, d’une somptuosité rare, abrite en l’occurrence la relique, demeurant néanmoins invisible. C’est peu dire que cet objet mystérieux, l’un des plus originaux du trésor d’Oignies, brille ici ardemment pour la plus grande joie des visiteurs, petits et grands. 

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Calice dit « de Gilles de Walcourt », Hugo d’Oignies, 1226-1229, argent repoussé, gravé, ciselé et doré, nielles. Coll. Fondation Roi Baudouin

 

Résurgence du contemporain dans l’ancien

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Détail du si vivant « Reliquaire du lait de la Vierge », atelier d’Oignies, vers 1240-1250

Hormis cette sublimissime Colombe-reliquaire du lait de la Vierge qui, logée dans sa vitrine, attire instantanément l’œil (on vient de l’aborder), deux œuvres - des reliquaires, ça faisait du bien d'en voir, dans leur « jus » rétro après ceux, mémorables parce que baroques et un peu brindezingues, du plasticien poète Bernard Réquichot (1929-1961) revus récemment à Beaubourg au cours de sa splendide rétrospective, « Je n’ai jamais commencé à peindre », qui se tient, jusqu’au 2 septembre prochain, au 4e étage du paquebot tuyauté - sont particulièrement surprenantes, me semble-t-il, d’une part pour leur forte présence plastique et, d’autre part, pour leurs accointances possibles - c’est purement subjectif, hein !, échos sibyllins relevant in situ de mon ressenti - avec le champ contemporain.

La monstrance de l'une (un Reliquaire-monstrance avec remploi, circa 1226-1229) - au passage, j'apprenais ce joli terme de « monstrance » -, avec son cœur couronné dessiné, ses inscriptions et ses motifs en rouge pâle patiné par le temps,

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Une œuvre in situ, dans une rue de Cabourg (Normandie) de Miss. Tic (1956-2022), la pionnière parisienne du street art

m’évoquait aussitôt Sophie Calle, artiste adepte d’une mythologie toute personnelle exposée, il y a quelque temps à Paname, aussi bien au musée d’Orsay (« Les Fantômes d’Orsay », 15 mars – 12 juin 2022) qu’au musée Picasso (« À toi de faire ma mignonne », 3 octobre 2023 – 7 janvier 2024), plasticienne joueuse déployant au fil des ans une pratique malicieuse diversifiée, entre l’image et l’écrit, marquée grandement par le sceau du souvenir archivé, ou encore la regrettée Miss. Tic (1956-2022, cf. le graff féministe libertaire courant sur les murs des villes en vue d’un musée à ciel ouvert offert à tous) pendant qu'une autre (le Reliquaire de la côte de saint Pierre), d'une modernité formelle assez confondante (cet objet d’art religieux conçu pour célébrer la force divine surnaturelle, signé (encore) Hugo d’Oignies, pourrait tout à fait servir, avec son dynamique arceau rappelant au passage la rapière d'une épée, de pochette de disque pour un groupe de rock à la Toto), affiche fièrement un cylindre en cristal de roche étonnant, couvant, si j’ai bien compris son cartel explicatif, des fragments de relique ainsi qu’un authentique parchemin d'autrefois, qui, au-delà de sa charge historique et métaphorique, peut rappeler, selon moi, les ex-voto et autres Ci-gît l'Espace de feu Yves Klein (1928-1962), quand ce dernier, vers la fin de sa courte vie (il est mort à trente-quatre ans d’une crise cardiaque), s'était fait un bon gros trip mystique, tout fada et habité qu’il était (ceci est affectueux), autour des Rose-Croix : quel Miss. Tic, en quelque sorte, cet Yves le Monochrome, en quête perpétuelle d’invisible, de sacré, de dépassement de soi et d’immatériel. Un grand artiste s’invite partout, ici-même semble-t-il – soyez donc le bienvenu, cher Mister IKB (pour International Klein Blue, cf. sa fameuse variante, déposée, de bleu outremer aux profondeurs spirituelles).

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Reliquaire de la côte de saint Pierre, Hugo d’Oignies, 1238, argent partiellement doré, filigranes, nielles, gemmes, perles, coll. Fondation Roi Baudouin
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« Ex-voto dédié à sainte Rita de Cascia par Yves Klein », 1961, 21 x 14 x 3,2 cm

Pour la petite histoire, entre 1959 et l’année de sa disparition soudaine en 1962, en passant du monochrome IKB à trois couleurs associées (bleu, or, rose), évoquant tant la Trinité catholique que sa tentative de résumer l’intégralité de son travail artistique en un petit objet, le Niçois Yves Klein, en se plaçant sous la protection de sainte Rita, la patronne des causes désespérées pour laquelle sa tante Rose avait une profonde dévotion, avait offert anonymement, dans le plus grand secret, en février 1961, dans une attitude christique se lovant dans un geste gracieux – il ne signala pas cette œuvre, par contre il la signa -, un ex-voto (objet, ou plaque, que l’on place dans une chapelle en accomplissement d’un vœu), pour remercier la sainte en question, au sein de l’église de Cascia (Italie), monastère exposant à la dévotion des fidèles le corps de sainte Rita, celui-ci, tricolore, contient une supplique, de la main de l’artiste, se terminant ainsi : « Sainte Rita de Cascia, sainte des cas impossibles et désespérés merci pour toute l’aide puissante, décisive et merveilleuse que tu m’as accordée jusqu’à présent – Merci infiniment. Même si je n’en suis personnellement pas digne ; accorde-moi ton aide encore et toujours dans mon art et protège toujours ce que j’ai créé pour que même malgré moi ce soit toujours la grande beauté. »

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Dans l’église du monastère de Cascia, dédié à sainte Rita, une religieuse présente ici un ex-voto de 1961, signé d’un certain Yves Klein (1928-1962)

Or, début 1962, une crise cardiaque terrassait le jeune Klein. Oublié, son ex-voto (cette histoire est racontée en détail dans le Découvertes Gallimard Yves Klein. L’aventure monochrome de Denys Riout, 2006) reposait dans une réserve lorsqu’un tremblement de terre frappa en 1979 l’Ombrie, la région de Cascia, endommageant sérieusement l’édifice. Lors des restaurations, un peintre avait besoin d’or, c’est alors que les sœurs se sont souvenus d’une petite boîte déposée naguère, aussi elles lui apportèrent illico. Coup de chance ! Cet artiste connaissait l’œuvre d’Yves Klein. Pierre Restany, critique d’art spécialiste du Nouveau Réalisme, auquel on relie ordinairement le peintre minimal des monochromes, se rendit alors sur place, le 18 juin 1980, pour authentifier l’ex-voto qui, jusqu’à aujourd’hui - et sauf prêts exceptionnels pour des rétrospectives d’importance de l’artiste français de renommée mondiale épris d’absolu - est toujours conservé à Cascia. C’est donc aussi un trésor contemporain retrouvé qui, ici, si on le souhaite, vient dialoguer à sa façon, à travers un jeu de correspondances possible entre les époques, avec celui d’Oignies, bien plus ancien, qui, concernant ce dernier, fut choyé pendant près de deux siècles par les sœurs de Notre-Dame de Namur, y compris pendant la période fort chamboulée de la Seconde Guerre mondiale, et ce jusqu’en 2010, année au cours de laquelle elles le confièrent à la Fondation Roi Baudouin ; ainsi, pendant ces terribles années de guerre, il fut pieusement, lui ausi, caché - mais ce coup-ci volontairement - avant de rejoindre, en 1952, une salle dédiée dans le couvent des sœurs de Notre-Dame, reconstruit après avoir été bombardé.

Le Reliquaire de la côte de saint Pierre (Hugo d’Oignies, 1238), est très original de par sa forme du fait même qu’il s’agisse d’un reliquaire anatomique dont l’arceau, surmonté d’une monstrance cylindrique verticale reposant sur un pied, reprend, en termes de connivence formelle, l’incurvation de deux côtes humaines, fonctionnant comme reliques de la côte de saint Pierre : « Une coste de Sainct Pierre Apostre [sic] », précise l’inventaire effectué à Namur, en 1648, du trésor d’Oignies. À noter que ces reliques de la côte de saint Pierre ont certainement été données, entre 1226 et 1229, par Jacques de Vitry au prieuré d’Oignies, qui y arriva après des études dans les écoles parisiennes.

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Détail de l’étourdissant « Reliquaire de la côte de saint Pierre », Hugo d’Oignies, 1238, argent partiellement doré, filigranes, nielles, gemmes et perles

En outre, le magnifique cylindre en cristal de roche, « minuscule mausolée reliquaire aux parois transparentes  » (Gauthier, 1983), contient lui aussi des fragments de reliques, enveloppées précautionneusement dans des papiers, ainsi qu’un authentique, peut-être autographe, sur parchemin qui, sur ses deux faces, via une jolie écriture du XIIIe siècle, porte une inscription indiquant le nom de l’auteur avec, précisément, la date du reliquaire : « Reliq[ui]e iste fueru[u]t hic reco[n]dite. Anno d[omi]ni m°.cc°xxx° oct[avo]. Frat[er] hugo vas istud op[era]t[us] est. Orate pro.eo.] », verbatim en latin que l’on peut traduire par : « Ces reliques ont été placées ici. Année 1238. Frère Hugo a fait ce vase. Priez pour lui.  » 

Ce reliquaire de la côte de saint Pierre, remarquable de par sa qualité d’exécution, peut assurément être considéré, via sa complexe richesse ornementale croisant, avec profusion, filigranes, nielles et motifs naturalistes à tendance cynégétique, comme un chef-d’œuvre tardif, réalisé dans les dernières années de sa production, du frère Hugo d’Oignies (fin XIIe siècle – début XIIIe siècle), brillant représentant de l’école de l’Entre-Sambre-et-Meuse estimé, dans l’Histoire de l’art, comme étant le dernier des grands orfèvres de l’art mosan.

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Zoom sur l’intrigant « Reliquaire-monstrance avec remploi », pied : Hugo d’Oignies et atelier, 1226-1229, monstrance : XVIIe siècle (Henri Libert ?), cuivre doré, argent, nielles, verre, tissu

En ce qui concerne le non moins troublant Reliquaire-Monstrance avec remploi, on dirait une sorte de miroir opaque des temps anciens, avec inscriptions amoureuses papillonnantes à dimension narrative (des histoires d’amour secrètes, peut-être pas très catholiques, s’y logent-elles ?) et, jusqu'à il y a peu, il a été considéré, nous signale en page 81 le catalogue qui sert cette expo fourmillant de détails éclairants, comme perdu ou égaré. Alors que sa monture en argent pourrait être l’œuvre de l’orfèvre namurois Henri Libert (vers 1574-1635), artisan intervenu plusieurs fois sur des pièces du trésor d’Oignies, par exemple pour des fermoirs de plats de reliure ou pour créer de nouveaux reliquaires dans la châsse de Marie d’Oignies, la base de son pied en cuivre doré, datant lui du XIIIe siècle, est composée de quatre lobes entre lesquels viennent s’intercaler les quatre branches d’une étoile ; une inscription écrite élégamment, courant de façon décorative sur cette base (que de lignes aventureuses exécutées contenues dans un tel petit écrin !), indique : « DE LAPIDES V.R QUAM SANGVIS PIE EFVSVS D / FLAGELATVR R / MARIE MAGDALENE FLAGELARETVR. » En gros, la mention de Marie-Madeleine, disciple passionnée de Jésus de Nazareth qui le suit jusqu’à ses derniers jours, suggère que le reliquat initial, dont il ne subsiste que le pied, aurait pu avoir été fabriqué pour l’autel paroissial du prieuré, dédié à cette sainte et servant de culte pour les béguines, qui ne sont autres que des religieuses de Belgique ou des Pays-Bas soumises à la vie conventuelle sans avoir prononcé de vœux. 

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Des phylactères (reliquaires polylobés de faible épaisseur), à l’étonnante modernité, toute dalinienne, du trésor d’Oignies, qui en compte six (la plupart ont été réalisés entre le milieu du XIIe et le milieu du XIIIe siècle), exposés à Cluny, comme en lévitation, à côté du magistral « Reliquaire de la côte de saint Pierre », 1238, par Hugo d’Oignies

 

Avec ces pièces insolites et pénétrantes (Colombe-reliquaire du lait de la Vierge, Reliquaire de la côte de saint Pierre, Reliquaire-Monstrance avec remploi...), qui traversent sans problème les siècles (très bon état de conservation) pour toujours nous parler à l’heure actuelle, que l’on soit croyant ou non (leur « aura » nous interpelle efficacement et étrangement), on a comme du cosmogonique en miniature, ainsi que du moderne, semble-t-il, réactivé par du médiéval - c'est fou, non ?

Et c’est à « Cluny-les-Bains » et nulle part ailleurs, autrement dit au précieux musée du Moyen Âge de la Ville lumière, nous offrant pour l’occasion, et ce jusqu’à la prochaine rentrée scolaire, via cette petite expo-dossier remarquable, pointue tout en étant parfaitement accessible (il est à préciser, qu’au sein du parcours proposé, des bornes interactives nous donnent l’occasion d’approfondir notre expérience de visite en revenant, par exemple, sur le parcours de Jacques de Vitry ou pour découvrir les multiples détails des plats de reliure signés Hugo d’Oignies), un grand bol d’air frais, faisant un bien fou, à travers un revigorant retour dans le temps conduisant les visiteurs d’aujourd’hui que nous sommes, à travers le filtre, mystérieux et magique, des couloirs du temps, à venir découvrir, enchantés, voire ébahis, un prestigieux trésor d’Oignies s’avérant, une fois vu, à jamais inoubliable.

« Merveilleux trésor d’Oignies : éclats du XIIIe siècle », jusqu’au 20 octobre 2024, cette exposition est organisée par le musée de Cluny et le musée des Arts anciens du Namurois, avec la contribution de la Fondation Roi Baudouin. Commissariat : Christine Descatoire, conservatrice générale du patrimoine, musée de Cluny, Julien de Vos, directeur du Service des musées et du patrimoine culturel de la province de Namur. ©Photos in situ V. D. Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge. 28, rue Du Sommerard – 75 005 Paris. Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 9h30 à 18h15. Accès : métro Cluny-La-Sorbonne/Saint-Michel/Odéon. RER B et C Saint-Michel – Notre-Dame. Tarifs : 12€, réduit : 10€, gratuit pour les moins de 26 ans. www.musee-moyenage.fr



4 réactions


  • pasglop 23 juillet 09:12

    Magnifique travail d’orfèvrerie !


  • Vincent Delaury Vincent Delaury 23 juillet 09:24

    En effet, c’est très impressionnant, merci pour ce retour. smiley


  • L'apostilleur L’apostilleur 23 juillet 19:30

    Bravo pour vos descriptions intéressantes.

    Une visite s’impose pour toucher du doigt cet art naissant de notre fin de Moyen-Age, touchant par sa simplicité et révélateur du lent réveil artistique de nos territoires.


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 23 juillet 20:47

      @L’apostilleur Merci à vous pour ce retour, et votre finesse d’analyse, envers un vaste Moyen Âge humainement, philosophiquement et artistiquement si riche, et dont la diversité, au croisement de maintes sources d’influence, d’inspiration, peut encore et toujours nous surprendre.
       
      « Toucher du doigt », oui, mais il y a les vitrines ! smiley


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