« 30 minutes pour devenir prof » :
polémique après le « job-dating » de l’académie de Versailles.
Lorsque l’éducation nationale organise
des concours en vue de recruter des professeurs - titulaires -, de
moins en moins de candidats se présentent. Conséquence :
partout en France, les effectifs manquent.
Les académies peuvent recourir à des
contractuels, mais encore faut-il le faire savoir. Usant largement
des réseaux sociaux et de la vidéo, la rectrice de l’académie de
Versailles, Charline Avenel, se met en scène pour convaincre les
candidats de participer à un immense « job-dating »,
organisé sur quatre jours :
« Vous recherchez un emploi ?
Un nouveau métier qui a du sens ? », lance-t-elle face
caméra, avant d’inviter à devenir « professeur dans les
écoles, en collège, en lycée », dans les quatre départements
de son académie. A cette occasion, chacun pourra « convaincre »
qu’il peut enseigner lors d’un entretien d’une demi-heure avec un
responsable de l’Education nationale.
L’académie de Versailles est un
mastodonte employant plus de 90000 agents, ce qui en fait le plus
gros employeur d’Île-de-France. Mais il lui manque quelque 2000
enseignants pour assurer la rentrée de septembre. Avec
ces « journées du recrutement », elle propose
d’embaucher pas moins de 1300 enseignants contractuels. La
session, qui doit durer quatre jours, a débuté lundi 30 mai
pour s’achever jeudi 2 juin.
Le succès est-il au rendez-vous ?
La foule se massait lundi matin devant le rectorat de Versailles,
avec des profils très variés : quelques personnes souhaitant
se reconvertir, beaucoup d’autres diplômées mais sans emploi. Ils
témoignent.
Anna, 22 ans, assistante de russe :
« En arrivant de Russie en septembre
dernier, j’ai obtenu un poste d’assistante de langue russe dans un
lycée du Val-d’Oise et ça m’a beaucoup plu », raconte Anna, Russe
qui s’exprime dans un français parfait.
La situation en Russie « me pousse à
rester en France : il est impensable de revenir dans mon pays »,
ajoute Anna, qui a suivi dans son pays des études de traduction
français-russe au niveau licence.
« Enseigner en France serait un rêve
et le recrutement proposé ici en tant que professeur contractuel
peut vraiment être un bon tremplin pour des gens comme moi ».
Jonathan, 27 ans, ingénieur en poste :
« Je ne suis pas bien vieux mais j’ai
déjà connu cinq entreprises en tant qu’ingénieur et j’ai décidé
que, désormais, j’ai envie de transmettre », explique Jonathan,
ingénieur dans les Télécoms, qui donne déjà des cours en lycée
en parallèle de son métier.
Son rêve ? « Enseigner
l’économie-gestion en lycée technologique ». « Ce n’est pas
prétentieux mais ça peut être très instructif pour les élèves
d’avoir un professeur qui a une expérience dans le privé »,
déclare le jeune homme qui se dit « extrêmement motivé par le
terrain » et souhaite « démarrer dès la rentrée ».
« Mon entourage s’inquiète pour moi
de la perte de salaire, mais c’est tellement une évidence que je
suis prêt à diviser mon salaire par deux, sans problème ».
Kamel, 44 ans, en recherche d’emploi :
« Avec une licence en génie-mécanique
en poche, je pense avoir mes chances pour décrocher un poste de prof
de mathématiques notamment, car les besoins sont énormes pour la
rentrée prochaine », avance Kamel, en recherche d’emploi dans les
Yvelines.
« Après de longues années dans le
secteur de l’automobile, j’ai fait une pause et quand Pôle Emploi
m’a démarché pour ce ’job dating’, j’ai sauté sur l’occasion. Je
pensais depuis longtemps à m’orienter vers l’enseignement », dit
Kamel.
Il se dit « conscient » du fossé
entre son métier dans le secteur privé et l’enseignement. Mais il
est « convaincu que tout est possible quand on est motivé ».
Amina, 33 ans, a déjà enseigné en
Algérie :
« J’ai enseigné pendant six ans en
collège en Algérie, donc l’éducation, je connais », dit Amina. «
Je préfère me tourner vers l’école maternelle ou élémentaire,
qui correspondent mieux à mes attentes », poursuit la jeune femme,
arrivée en 2018 en France, où elle a eu plusieurs expériences dans
le périscolaire.
« Je suis extrêmement motivée par
l’idée d’enseigner. Ca me manque énormément, je ne veux pas
laisser passer cette opportunité de recrutement de dernière minute
», ajoute-t-elle.
« Je croise les doigts pour que ça
marche dès la rentrée. Et puis si tout se passe bien, je pourrai
passer le concours dans quelques années ».
« Devenir prof en 30 minutes »,
sur le principe du « job-dating » ? L’initiative
passe mal dans le corps enseignant : déjà, quand les
titulaires ont besoin d’un bac+5 pour devenir enseignant (niveau
master), ce n’est pas le cas pour les contractuels, qui peuvent
postuler à un niveau très inférieur.
Ensuite, la démarche en elle-même
choque : « Quelle horreur », « un scandale »,
« des enseignants au rabais », « 30 minutes pour devenir
prof quand il faut normalement cinq ans », « quelle
honte, quel mépris pour les enseignants, les élèves et leurs
familles », réagissent des milliers d’internautes en
découvrant l’initiative.
Le rectorat a beau assurer que les
candidats reçus seront « accompagnés », de nombreuses
familles s’inquiètent aussi, sur les réseaux sociaux, de la
qualité de l’enseignement qui sera dispensé à leurs enfants. Des
connaissances propres de ces néo-profs, d’abord, mais aussi de leur
capacité à « tenir » une classe, à se montrer
pédagogues, à l’écoute, et à évaluer correctement les élèves,
par exemple.
Beaucoup d’internautes moquent des
candidats pour qui la motivation serait « changer de vie »,
voire « s’occuper », avec des capacités très éloignées
de ce qui est nécessaire à l’enseignement.
Côté syndical, le job-dating ne
séduit pas plus : « Enseigner, c’est un métier qui
s’apprend », lance par exemple le Snes-FSU des Hauts-de-Seine.
Tout en rappelant que la crise des vocations est ancienne,
documentée, et que la rémunération des professeurs français
est l’une des plus faibles des pays développés. Les
professeurs contractuels « sélectionnés » qui seront
reçus après un job-dating auront par la suite la possibilité de
passer les concours, pour, espère le rectorat, renforcer ses
effectifs.
En attendant, jouant la transparence,
le rectorat a publié les rémunérations de chaque poste : 2022
euros à 2327 euros bruts mensuels, selon le niveau de diplôme, en
enseignement général, et 1820 à et 2903 euros bruts mensuels
selon le niveau de diplôme et d’expérience pour l’enseignement
technique et professionnel.
Des primes sont prévues dans certains
cas précis (enseignement en réseau d’éducation
prioritaire, etc.).
Suffisant ? Latifa, 44 ans, en
reconversion professionnelle, ne s’inquiète pas... même si son
salaire va baisser « de moitié » : « Si c’est pour
faire un métier qui répond à mes valeurs, je suis prête à faire
des sacrifices », assure-t-elle.
Sa motivation est ailleurs : «
Après 15 ans dans le monde de l’entreprise, j’avais besoin de donner
du sens à ma vie », raconte-t-elle. Elle souhaite devenir
professeur d’anglais au collège, lycée général ou professionnel,
pour ne plus « se sentir inutile ».
https://www.leprogres.fr/education/2022/05/31/30-minutes-pour-devenir-prof-polemique-apres-le-job-dating-de-l-academie-de-versailles