vendredi 17 juin 2011 - par Theothea.com

« De beaux lendemains » en perspective des Bouffes du Nord

Face public, quatre comédiens se relaient successivement pour leur « seul en scène » respectif avec en support commun, le microphone sur pied leur garantissant le ton de la confidence intime, alors même qu’ils sont, à tour de rôle, en position de témoigner d’un tragique accident de car scolaire ayant provoqué 14 victimes.

Dans cette cathédrale décatie, juste à point, que figurent les Bouffes du Nord, les voix semblent vouloir se confier à un dieu protecteur qui saurait démêler le contingent de l’essentiel, en mémoire de ces enfants disparus l’instant d‘après, au hasard d’un obstacle non identifié sur la route que, par réflexe désespéré, le chauffeur tenta, alors, d’éviter d’un coup de volant.

Ainsi, le lac gelé, qu’ils longeaient chaque matin à la même heure, leur tendit soudain les bras de la faucheuse afin de les faire tous sombrer dans la nuit éternelle.

Cependant les deux seuls rescapés de cette hécatombe sont aujourd’hui à la barre de ce tribunal incantatoire, Dolorés Driscoll (Catherine Hiegel) et Nicole Burnell (Judith Chemla), respectivement le conducteur et une jeune fille ayant perdu l’usage de ses jambes.

Au secours des parents désemparés, Maître Mitchel Stephens (Redjep Mitrovitsa) plaiderait la faute professionnelle par excès de vitesse autorisée alors que Dolorès s’appuyant sur sa mémoire, ô combien affective, ferait sans cesse défiler l’enchaînement des circonstances quotidiennes de sa conduite, sans jamais y trouver d’autres aléas que cette tâche indistincte sur la route faisant basculer, sans crier gare, de vie à trépas, le groupe d’enfants dont elle avait la charge.

La douleur à l’état brute étant incarnée par le veuf Billy Ansel (Carlo Brandt), vétéran du Vietnam, ayant perdu dans ce nouveau malheur, deux jumeaux représentant son unique raison de vivre et donc désormais celle de ne pas souhaiter survivre au drame indicible.

Au cœur de cette lutte en responsabilités complexes, va, soudain, s’élever une parole inattendue dans ce prétoire circonstanciel qui, par allégories de fait, déplacera le débat émotionnel sur un traumatisme originel dont l’adolescente Nicole souffrirait bien davantage que de sa paraplégie de miraculée accidentelle.

En effet, l’inceste établi comme un secret intime entre elle et son père, pourrait, fort bien, faire taire la plaidoirie à charge de l’avocat des familles au profit de la reconstruction psychologique et morale de toute une communauté humaine confrontée à la catastrophe accidentelle.

Ici, se recoupent donc, fort judicieusement, les motivations du romancier, Russell Banks et de son premier adaptateur théâtral, Emmanuel Meirieu réussissant, de concert, à fasciner le spectateur par la force éthique du non-dit qui, devenu explicite, serait capable d’apaiser les pires situations de la vie si, toutefois, la bonne volonté et un esprit de reconstruction savent être au rendez-vous.

photos © Pascal Chantier

DE BEAUX LENDEMAINS - ***. Theothea.com - d'après Russell Banks - mise en scène : Emmanuel Meirieu - avec Carlo Brandt, Judith Chemla, Catherine Hiegel & Redjep Mitrovitsa - Théâtre des Bouffes du Nord



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