samedi 19 mai 2012 - par Julie Dep

« De rouille et d’os », la fureur de survivre

Si dans le dernier Jacques Audiard, "De rouille et d'os" (présenté aujourd'hui à Cannes), la jungle moderne s'est déplacée d'une cour de prison à de plus respirables espaces, on y retrouve l'âpreté des personnages et situations d'Un Prophète, leur sensation d'exclusion, leur brutalité, leurs moteurs de jouissance et de survie, mais avec en bonus une lumière d'espérance qui réchauffe le spectateur éprouvé.

Tout sépare comme il se doit les deux principaux protagonistes Ali et Stéphanie (Matthias Schœnaerts et Marion Cotillard, superbes). Lui, marginal, se déplace au gré des petits jobs que lui valent sa stature d'athlète et son absence de principes moraux, assurant tant bien que mal le quotidien d'un gamin dont la mère est on ne sait où. Elle, sportive, exigeante, hautaine, dresseuse d'orques (!), va d'échec en malentendu amoureux. Le drame qui déclenche la relation entre le quasi-animal au cuir épaissi par une vie de précarité et l'idéaliste agressive devrait participer au succès probable du film : Stéphanie, mordue par un orque, est amputée des deux jambes.

 Pudique et cru


Les ellipses d'Audiard suggèrent sans peser les étapes consécutives à ce chaos. Peu de dialogue ; pas de larmes, ou la moitié d'une, furtive ; pas de pathos, mais l'amitié et le courage qui peu à peu ramènent, à quelque chose près, l'invalide à son état antérieur, avec un regain d'amour de la vie.

Esthétique, pudique, lyrique, Audiard pourtant ne fuit pas plus la réalité du handicap qu'il ne s'y attarde. Stéphanie nage, met sur les épaules ou dans les draps de son amant ses deux moignons avec un naturel qui devrait remuer non seulement Cannes, mais toute la société, et sacrer Marion Cotillard (aussi élégante ici qu'elle était mièvre chez Canet).

 On évoquera sans doute une parenté avec les "Intouchables". Elle se résume à un fauteuil roulant, et à l'optimisme des scénarios. "De rouille et d'os" est d'un grand cinéaste.



14 réactions


  • Fergus Fergus 19 mai 2012 09:49

    Bonjour, Julie.

    « Un grand cinéaste », espérons-le car cela changerait de celui du film « Sur mes lèvres », entièrement basé sur une délirante invraisemblance. Mais il est vrai que je n’ai pas vu « Un prophète », rebuté par une violence trop présente dans la cinématographie. 


    • Stupeur Stupeur 19 mai 2012 10:09

      Salut Fergus,
      Avant de répondre, regarde le film une nouvelle fois, tu as loupé quelque chose pour dire ça. Je voulais déjà te le dire la première fois que tu avais parlé de ces invraisemblances, qui n’en sont pas...
       

    • Stupeur Stupeur 19 mai 2012 11:05

      Fergus, 
      Si mes souvenirs sont bons, tu donnais deux invraisemblances : 
      1) Emmanuelle Devos ne pouvait pas lire sur les lèvres des types dans l’appart car elle était placée bien trop loin
      A partir de 56min Devos et Cassel sont sur le toit en face de l’appart ; on voit que la distance qui les sépare de l’appart est relativement faible : quelques dizaines de mètres...
      Mais surtout, elle utilise des jumelles... A une telle distance, pour un grossissement X20 (je te brade la paire à 123.99€ smiley ), elle voit beaucoup mieux les lèvres que si elle était dans la pièce à 4 mètres du type qui parle...

      2) la suite de l’histoire repose sur le fait qu’elle doit absolument arriver à lire (sur les lèvres) tout ce qui se dit entre les types dans l’appart
      Ce n’est pas du tout ce que lui demande Cassel ; il lui demande juste de noter ce qu’elle arrive à lire, en espérant y trouver des bribes d’informations sur le braquage que les types organisent. Vers 1h03, on voit Devos lire à Cassel ce qu’elle a réussi à comprendre pendant sa nuit de planque : et ce ne sont que des bribes de phrases, des mots isolés, des noms... Ces quelques notes griffonnées par Emmanuelle Devos leur permettent de faire des suppositions sur le coup préparé par le patron de la boîte et ses acolytes.
       
      Voilà, pas besoin de regarder le film une autre fois smiley 
       

    • Stupeur Stupeur 19 mai 2012 11:08

      La paire de jumelles X20 : Grossissements populaires, incontournables pour l’observation des détails à longue distance.
       

    • Fergus Fergus 19 mai 2012 22:59

      Salut, Stupeur.

      De retour de Vienne (superbe concert de la Staatskapelle de Dresde au Musikverein !), j’ai profité d’une nuit à Paris pour écrire ce commentaire en début de matinée.

      Ce film, je l’ai vu deux fois, la deuxième pour corriger ma première impression. Or, je suis arrivé à la même conclusion d’invraisemblance. Moins parce qu’il est très malaisé, avec ou sans puissantes jumelles, de lire sur les lèvres à plusieurs dizaines de mètre en plongée qu’en raison du motif de la présence de Devos sur ce toit : il est totalement absurde de penser qu’il va se produire, à un moment quelconque dans les jours suivants, un échange déterminant précisément devant la fenêtre et dans la bouche d’interlocuteurs complaisamment tournés du bon côté. Probabilté très proche du zéro !

      Or, si j’aime les fictions, j’ai aussi un défaut, celui de mal supporter des histoires prétendument réalistes basées sur une invraisemblance. Cela dit, ce film est remarquablement interprété.

      Cordiales salutations pour toi-même, mais aussi pour Sabine.


    • Stupeur Stupeur 21 mai 2012 22:05

      Ah, voir Vienne et mourir... ou Venise, ou Prague, ou Naples, je ne sais plus...


       « il est totalement absurde de penser qu’il va se produire, à un moment quelconque dans les jours suivants, un échange déterminant précisément devant la fenêtre et dans la bouche d’interlocuteurs complaisamment tournés du bon côté. Probabilté très proche du zéro !  »

      Si, si, j’insiste, après un 3ème visionnage, le verdict est tombé : l’histoire est vraisemblable, en tout cas beaucoup plus que d’autres films d’Audiard, comme « De battre mon coeur s’est arrêté », ou « Un prophète »...

      On reprend depuis le début. 
      Quand Paul vient conduire une bouteille de champagne dans l’appart, son patron et deux hommes sont en discussion autour d’une table basse (placée devant la double porte-fenêtre). 
      Paul reconnait un des deux types : un « braqueur » qui a fait de la prison en même temps que lui. 
      Donc déjà, à ce moment-là, Paul (lui même braqueur) peut légitimement penser que les 3 gaillards sont en train de préparer un coup. Et il se trouve qu’ils discutent de ça autour d’une table basse placée devant la porte-fenêtre. Quand il sort sur le parking, on « voit » le tilt qui se fait dans sa tête en s’paercevant que le toit d’en face serait un bon point d’observation donnant sur la porte-fenêtre (et la table basse autour de laquelle les types discutent...) 
      Paul sait que Carla peut lire sur les lèvres. On voit deux ou trois plans dans la première partie du film, suggérant que Carla arrive à lire sur les lèvres de personnes qui discutent, de profil. Donc si les types ne sont pas complètement face à elle en train de bien articuler, elle peut quand même comprendre, au moins une partie de ce qui se dit. Et ça tombe bien, c’est juste ce que voudrait Paul : être quasi sûr que les types préparent un casse dans les jours qui viennent, en saisissant quelques mots clés, dates, ou noms, dans leurs rendez-vous nocturnes. 
      A partir du moment où le coup semble proche d’être exécuté, la surveillance sur les toits sert plutôt à repérer le moment où le casse a eu lieu.
      En fait, tout se déclenche vraiment quand Carla voit (avec ses grosses jumelles smiley ) le patron rentrer à 5 heures du matin avec deux sacs noirs. Là on sait que le casse a été fait et que ça valait le coup de rester en planque sur les toits...
      Pour tout ça et bien d’autres choses que je n’ai pas le temps de détailler (j’ai un avion à prendre pour rejoindre le Metropolitan Opera smiley ) on est vraiment très loin d’une délirante invraisemblance. Ou alors à ce moment là il faut considérer que tous les films de « gangsters » sont invraisemblables : Scorcese (Casino, Les affranchis...) en premier lieu... 
       smiley 
      Moi aussi, en regardant le film pour la première fois j’ai eu un gros doute. A la deuxième ça passait déjà mieux. A la troisième je m’aperçois qu’il restait quelques zones d’ombres qui sont maintenant dissipées. Bon, j’envoie tout ça à Jacques Audiard pour postuler comme attachée de presse. En enlevant le passage sur l’invraisemblance de ses autres films, bien sûr. smiley 
       

  • Ariane Walter Ariane Walter 19 mai 2012 10:11

    Bonjour Julie, j’ai mis un mot sous l’article de Stéphane.
    J’ai vu ce film hier soir et je l’ai trouvé maniéré et insupportable. Un film qui se veut réaliste fait par un intello. le pire. mais cannes l’a applaudi 8mn debout !
    J’étais avec des amis qui ont assez aimé qui avaient détesté Drive que j’ai adoré.
    les goûts...
    Merci pour ton article en tout cas.


  • Julie Dep Julie Dep 19 mai 2012 10:51

    Aïe, aïe, je n’ai vu que ses trois derniers, mes amis, et tous trois adorés ne serait-ce que pour avoir tiré le cinéma local de ses tièdes narrations de vacances en famille...
    Ariane, où est le maniérisme ? Dans l’absence de jérémiades, de douleur affichée ? Dans la recherche esthétique ? J’y vois plutôt de l’élégance.


    • Ariane Walter Ariane Walter 19 mai 2012 11:28

      Non le maniérisme c’est pour moi (mais je ne cherche pas à légiférer !)

      -Trop de mts de caméra inutiles. C’est de la copie de la copie. je me souviens ds le style de « Breaking the waves. » (Que j’avais adoré.) C’est aussi le style Besson et batailles où tu ne vois rien. Au début, réellement, ça m’a donné mal au crâne.
      -Le scénario qui accumule les malheurs. Ah ! Mon dieu le misérabilisme ! Et elle, et lui, et sa souer, et son gosse !
      -Les scènes de sexe. Les mecs voient ça avec des filles qui se tordent d’extase. Ils s’imaginent qu’il faut faire pareil. C’est une catastrophe. C’est un cliché.
      -Elle, Cotillard filmée moche. Ca aussi cliché. je soupçonne les cinéastes d’être un peu myso. (Oui, parfois elle est lumineuse, quand même et il fait montrer l’évolution. Mais bon.)
      -la culture du crade. le gosse va jouer avec le chien mais il se met plein de merde.

      En matière d’élégance j’aime Hitchkok et les films d’Ozu. Pour te dire.
      J’adore aussi la violence noire de certains films coréens.
      mais là, ça traîne, que c’est long.

      mais bon, encore une fois, ce n’est qu’une opinion.


    • Julie Dep Julie Dep 19 mai 2012 13:38

      @Ariane. Besson, c’est du clip et du verbiage. Tout le contraire à mon avis. La caméra ne joue pas les virtuoses, elle montre avec ardeur des gens entiers, râleurs, marrants, qui se dépatouillent sans pleurnicher. Une scène poignante avec le gamin, j’en frissonne encore. Cotillard, vraiment belle à mes yeux pour la première fois qu’elle ne minaude pas.

      Quant au sexe... Qu’il soit « marteau-piqueur » (amusant) ou lascif ou n’importe quoi, j’irai plus loin que toi : le jour où les cinéastes auront compris comme tout cinéphile que ce n’est pas case obligée pour boucler un chef-d’œuvre, une belle étape sera franchie. Le pensum ici est plutôt moins ennuyeux que chez d’autres (parce qu’insolite ?on dirait un tour d’illusioniste smiley


  • jacques jacques 19 mai 2012 11:29

    C’est un très bon film qui vous feras passer un bon moment .Un chef d’oeuvre surement pas ,mais des acteurs qui jouent juste ,une ambiance un peu glauque ,une fin avec des morceaux d’espoir.Un film qui vaut bien de se déplacer pour le voir et c’est déjà pas mal !


  • velosolex velosolex 19 mai 2012 11:30

    Tout ce battage crée chez moi toujours l’effet inverse,
    je me détourne de ces grosses superproductions lacrymales,
    où tout y est : Scénario digne des deux orphelines, façon moderne ;
     starlette médiatique passant sur tous les plateaux télé,
     metteur en scène « fils de »....

    Tout cela pour nous représenter la dureté de la vie.

    Non, avant de prendre mon billet, je suis déjà remonté
    je n’arrive pas à y croire


    • Julie Dep Julie Dep 19 mai 2012 16:12

      Mauvaises raisons, Solex. A ce compte « Gatsby le magnifique » est un sit-com.


    • velosolex velosolex 19 mai 2012 17:32

      Oui, c’est vrai, mauvaises raisons,
       et vrai mauvaise humeur
      Mais dans le monde du cinéma, il faut bien un peu authenticité
      A opposer à ce monde de la manipulation et du subterfuge
      Cousu parfois d’ailleurs de trop gros fil blanc
      Ou le matraquage fait dans l’art du ravaudage
       .


Réagir