« De rouille et d’os », la fureur de survivre
Si dans le dernier Jacques Audiard, "De rouille et d'os" (présenté aujourd'hui à Cannes), la jungle moderne s'est déplacée d'une cour de prison à de plus respirables espaces, on y retrouve l'âpreté des personnages et situations d'Un Prophète, leur sensation d'exclusion, leur brutalité, leurs moteurs de jouissance et de survie, mais avec en bonus une lumière d'espérance qui réchauffe le spectateur éprouvé.
Tout sépare comme il se doit les deux principaux protagonistes Ali et Stéphanie (Matthias Schœnaerts et Marion Cotillard, superbes). Lui, marginal, se déplace au gré des petits jobs que lui valent sa stature d'athlète et son absence de principes moraux, assurant tant bien que mal le quotidien d'un gamin dont la mère est on ne sait où. Elle, sportive, exigeante, hautaine, dresseuse d'orques (!), va d'échec en malentendu amoureux. Le drame qui déclenche la relation entre le quasi-animal au cuir épaissi par une vie de précarité et l'idéaliste agressive devrait participer au succès probable du film : Stéphanie, mordue par un orque, est amputée des deux jambes.
Pudique et cru
Les ellipses d'Audiard suggèrent sans peser les étapes consécutives à ce chaos. Peu de dialogue ; pas de larmes, ou la moitié d'une, furtive ; pas de pathos, mais l'amitié et le courage qui peu à peu ramènent, à quelque chose près, l'invalide à son état antérieur, avec un regain d'amour de la vie.
Esthétique, pudique, lyrique, Audiard pourtant ne fuit pas plus la réalité du handicap qu'il ne s'y attarde. Stéphanie nage, met sur les épaules ou dans les draps de son amant ses deux moignons avec un naturel qui devrait remuer non seulement Cannes, mais toute la société, et sacrer Marion Cotillard (aussi élégante ici qu'elle était mièvre chez Canet).
On évoquera sans doute une parenté avec les "Intouchables". Elle se résume à un fauteuil roulant, et à l'optimisme des scénarios. "De rouille et d'os" est d'un grand cinéaste.