samedi 24 mars 2018 - par Sylvain Rakotoarison

Debussy, révolutionnaire impressionniste de la musique

« Debussy rejoint la révolution poétique du symbolisme par sa volonté de consommer la rupture, largement entamée par Wagner (…), avec la "rhétorique" musicale traditionnelle. (…) Si son œuvre reflète le climat artistique et intellectuel de son époque, Debussy a pourtant ouvert à la musique des voies nouvelles que la postérité n’a pas fini d’explorer. » (Michel Fragonard, "La Culture du XXe siècle", éd. Bordas, 1995).
 



Un révolutionnaire mort quelques mois après le début de la Révolution russe ? Malade, il avait fait le voyage à Saint-Pétersbourg en novembre 1913, mais il ne s’agissait pas de la même révolution. Celle du compositeur français Claude Debussy n’était ni sanglante ni idéologique, elle était musicale. Il est mort à Paris il y a un siècle, le 25 mars 1918, à l’âge de 55 ans (né le 22 août 1862 à Saint-Germain-en-Laye) des suites d’un cancer, un an avant sa fille de 13 ans à qui il avait dédié une œuvre.

Ce passionné de musique ne fut pas reconnu, au début, pour ses prestations au piano, ce qui l’orienta vers la composition. Après de longs voyages à travers l’Europe, il a obtenu deux prix de composition musicale (après un échec en 1882, il a obtenu le second grand-prix de Rome en 1883 et le premier grand-prix de Rome en 1884) et commença une exaltante carrière de compositeur qui en fit l’un des pionniers de la musique contemporaine. Il séjourna trois ans à la Villa Médicis, à Rome (grâce à son prix), dans une période qu’on appela plus tard "d’incubation". Durant son existence, pour assurer un niveau de vie correct à sa famille, il rédigea aussi des critiques musicales pour quelques revues.

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Ses influences furent diverses et variées, au début Wagner (1813-1883), aussi Moussorgski (1839-1881) qu’il rencontra à Rome, des musiques orientales (découvertes à l’Exposition universelle de 1889), des musiques folkloriques, etc. Mais l’influence allait au-delà du seul monde de la musique. Debussy fut inspiré par les peintres impressionnistes, et aussi par quelques œuvres littéraires notamment de Baudelaire (1821-1867), Verlaine (1844-1896), Pierre Louÿs (1870-1925), Mallarmé (1842-1898), Maeterlinck (1862-1949), etc.

La musique de Debussy a inspiré en particulier celle de Dukas (1865-1935) et Ravel (1875-1937), et il y a eu des inspirations mutuelles avec celle de Bartok (1881-1945), Gabriel Fauré (1845-1924) et Stravinsky (1882-1971).

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Grâce à la "magie" de l’Internet, je propose très modestement ici un choix de quelques œuvres que je recommande d’écouter.

Une de ses premières œuvres pour piano, inspirée du poème de Théodore de Banville (1823-1891), fut "Rêverie" composée en 1880.



Inspirés de "Le Balcon", "Harmonie du soir", "Le Jet d’eau", "Recueillement" et "La Mort des amants", tirés des "Fleurs du mal" (1857), les "Cinq Poèmes de Charles Baudelaire", mélodies pour chant et piano très influencées par Wagner, furent composés entre décembre 1887 et mars 1889.



L’œuvre pour piano "Deux Arabesques".fut composée entre 1888 et 1891.



Troisième mouvement des "Suites Bergamasques" pour piano, le "Clair de Lune", composé en 1890 d’après le poème de Verlaine, a été réutilisé à très nombreuses reprises dans les médias (cinéma, télévision, publicité, etc.).



L’unique "Quatuor à cordes en sol mineur", L85, opus 10, de Debussy, composé de quatre mouvements, fut créé le 29 décembre 1893 à Paris.





Son premier succès fut son fameux "Prélude à l’après-midi d’un faune", inspiré librement du poème de Mallarmé ("L’Après-midi d’un faune" publié en 1876), créé le 22 décembre 1894 à Paris, est sans doute l’œuvre la plus célèbre de Debussy qui l’a commentée ainsi : « Ce sont (…) des décors successifs à travers lesquels se meuvent les désirs et les rêves d’un faune dans la chaleur de cet après-midi. Puis, las de poursuivre la fuite peureuse des nymphes et des naïades, il se laisse aller au soleil enivrant, rempli de songes enfin réalisés, de possession totale dans l’universelle nature. ».



Créées le 17 mars 1900 à la Salle Pleyel à Paris, les "Trois Chansons de Bilitis", mélodies pour une voix et piano, furent inspirées de l’œuvre poétique (1894) de Pierre Louÿs (revisitée de façon surprenante bien plus tard par David Hamilton).



Les "Nocturnes" furent inspirés des œuvres du peintre américain James Whistler (1834-1903). Elles sont composées de trois parties "Nuages", "Fêtes" (ces deux premières furent créées le 9 décembre 1900 à Paris) et des merveilleuses "Sirènes" (l’ensemble de l’œuvre fut créé le 27 octobre 1901).





L’opéra "Pelléas et Mélisande", créé le 30 avril 1902 à l’Opéra-Comique à Paris, fut l’une des œuvres les plus controversées de Debussy, au point que lors de la répétition générale, des fascicules polémiques avaient été distribués à l’entrée de la salle avec pour titre "Pédéraste et Médisante". Même l’auteur du livret Maeterlinck (futur Prix Nobel de Littérature en 1911), dont la pièce du même nom avait été créée le 17 mai 1893 au Théâtre des Bouffes-Parisiens à Paris, avait contesté cet opéra qui, néanmoins, contribua à la réputation internationale du compositeur. Maeterlinck avait conditionné l’utilisation de ses textes au recrutement de son amie Georgette Leblanc (1869-1941), sœur du célèbre auteur des livres d’Arsène Lupin, pour le rôle principal (mais Debussy ne la recruta pas), ce qui expliqua sa réaction pleine de rancœur : « Le "Pelléas" en question est une œuvre qui m’est devenue étrangère, presque ennemie ; et, dépouillé ainsi de tout contrôle sur mon œuvre, j’en suis réduit à souhaiter que sa chute soit prompte et retentissante. » ("Le Figaro" du 14 avril 1902). D’autres musiciens ont composé à partir de la pièce de Maeterlinck, en particulier Gabriel Fauré (1898), Schönberg (1903) et Sibelius (1905).



L’œuvre "La Mer, trois esquisses symphoniques pour orchestre" fut créée le 15 octobre 1905 à Paris (lire la dernière citation en fin d’article).



La pièce pour piano "Reflets dans l’eau" fut composée en été 1905 et intégrée dans le premier cycle des "Images" pour lequel Debussy s’est enorgueilli : « Sans fausse vanité, je crois que ces trois morceaux se tiennent et qu’ils prendront leur place dans la littérature de piano, à gauche de Schumann ou à droite de Chopin. ».



Dédiée à sa fille Claude-Emma née le 30 octobre 1905, l’œuvre pour piano seul "Children’s Corner" ["Le Coin des enfants"], suite de six pièces, fut créée le 18 décembre 1908.



Très typique du style de Debussy (structure harmonique et déroulement non-linéaire), la pièce pour piano solo "La Cathédrale engloutie" fut créée le 25 mai 1910 par Debussy lui-même et intégrée dans le premier des deux livres des "Préludes" regroupant vingt-quatre pièces pour piano.




Le ballet "Jeux" a été créé le 15 mai 1913 au Théâtre des Champs-Élysées à Paris, sur une chorégraphie de Vaslav Nijinski (1889-1950) : « Avant d’écrire un ballet, je ne savais pas ce que c’était qu’un chorégraphe. Maintenant, je le sais : c’est un monsieur très fort en arithmétique. » (Lettre de Debussy à Robert Godet du 9 juin 1913). Pour Boulez (1925-2016) : « C’est une musique qui se renouvelle et qui ne revient jamais en arrière. ».



La courte pièce pour solo de flûte "Syrinx", qui fut créée le 1er décembre 1913 à Paris, était prévu initialement pour mettre en musique l’ensemble de la pièce de théâtre "Psyché" (1913) de Gabriel Mourey.



Tirés des "Poésies" (1899), les "Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé", mélodies pour une voix et piano, furent créés le 21 mars 1914 à la Salle Gaveau à Paris. Ravel avait composé, lui aussi, "Trois Poèmes de Mallarmé", dont deux identiques à ceux de Debussy, qui furent créés le 14 janvier 1914. Boulez s’inspira aussi de Mallarmé pour certaines de ses œuvres, notamment "Pli selon pli" (1960).



Je termine sur un commentaire très significatif du pianiste russe Sviatoslov Richter (1915-1997) qui résuma ainsi l’œuvre de Debussy : « Dans la musique de Debussy, il n’y a pas d’émotions personnelles. Il agit sur vous encore plus fortement que la nature. En regardant la mer, vous n’aurez pas de sensations aussi fortes qu’en écoutant "La Mer". » (cité par le pianiste russe Alexander Melnikov, recité par Wikipédia).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 mars 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Claude Debussy.
Binet compositeur.
Pierre Henry.
Pierre Boulez.
Karlheinz Stockhausen.

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7 réactions


  • Fergus Fergus 24 mars 2018 09:54

    Bonjour, Sylvain

    « En regardant la mer, vous n’aurez pas de sensations aussi fortes qu’en écoutant »La Mer« . »

    C’est parfaitement exact : jamais, même dans ses plus indolents moments sous une triste grisaille, la mer - la vraie, celle qui se frange d’écume et qui vient mourir sur le sable des plages - ne dégage autant d’ennui que les pages qui lui ont été consacrées par Debussy !


    • laertes laertes 26 mars 2018 11:28

      @Fergus : bonjour Fergus. J’ai relu deux fois votre commentaire et je pense que vous avez en partie, seulement en partie, raison. Jean Renoir disait que l’art était souvent plus intéressant que la réalité et que des champs de blé peints par Van Gogh avaient beaucoup plus de force émotionnelle que la réalité (ce ne sont pas exactement ses mots mais c’était l’idée générale).
      Pour moi, la mer, surtout dans la grisaille justement déclenche chez moi une impression de sublime difficile à mettre en mots et ....bien sûr en musique.
      Il n’empêche que « la mer » de Debussy est une oeuvre magnifique (même pour moi qui pourtant n’aime pas ce compositeur) qui fait émerger des émotions qui bien sûr ne peuvent pas être comparées à la contemplation de la vraie mer.
      On peut aussi éprouver de l’ennui en contemplant la méditerrannée trop longtemps ou en écoutant "la mer de Debussy.


  • L'enfoiré L’enfoiré 24 mars 2018 19:33

    Et un petit complément :

    « Debussy, la nature en musique »

  • Antoine 26 mars 2018 01:54

    Le Faune est un exemple quasi unique d’une partition qui ne comporte aucun remplissage et aucun truc de compositeur.


  • knail knail 26 mars 2018 18:27

    Merci pour ce résumé musical instructif et fort agréable !


  • Pierre 27 mars 2018 00:06

    L’enthousiasme pour cet article démontre une fois de plus le triste niveau de la culture musicale de nos contemporains...


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