mardi 19 mai 2020 - par Laconique

Des messages cachés dans la dernière scène d’Eyes Wide Shut ?

Stanley Kubrick est réputé pour le caractère cryptique de ses films. Il aimait jouer avec le spectateur, son cinéma regorge d’"easter eggs", ces détails insignifiants à première vue, mais riches d’un sens caché. À cet égard, la dernière scène d’Eyes Wide Shut – son dernier film – est particulièrement intrigante. Au premier visionnage, rien de particulier, tout cela semble banal, plat, un peu décevant. Et pourtant, à y regarder de plus près, il y a quelque chose qui cloche dans cette scène, comme si, sous la surface, le cinéaste avait voulu communiquer quelque chose de bien plus dérangeant.

 

Une aura de mystère entoure le dernier film de Stanley Kubrick. Certains y voient une tentative de révélation des turpitudes des élites de l’ère Clinton, Kubrick est mort brusquement quelques semaines avant la sortie du film, celui-ci aurait été remonté, vingt-cinq minutes de la fameuse scène d’orgie auraient été censurées par la Warner, les rumeurs foisonnent autour de cet ultime opus du maître. Les thèmes plus ou moins explicites sont sulfureux : élites décadentes, prostitution, pédophilie, sacrifices humains, etc. La présence au casting de Tom Cruise et Nicole Kidman, adeptes de la scientologie, au moment même où Vivian, la fille de Kubrick, avait coupé les ponts avec sa famille pour rejoindre la secte, ajoute une pièce de plus au puzzle. C’est en ayant tous ces éléments à l’esprit que j’aimerais me livrer à une rapide analyse de la toute dernière scène du film, la scène qui clôt une vie entièrement dévouée au cinéma. Certains éléments de cette analyse ont été brillamment traités par Rob Ager dans sa vidéo The children of Eyes Wide Shut.

A priori donc, tout cela est très banal : après s’être avoués leurs errances nocturnes dans des cercles occultes, Bill et Alice pensent à leur fille Helena et vont faire les achats de Noël dans un mall de Manhattan. Helena gambade au milieu des jouets, Bill et Alice décident de tourner la page sur ce qu’ils viennent de vivre et de repartir ensemble d’un bon pied. Générique de fin sous les notes de la Suite pour orchestre de Chostakovitch. Pourtant, à y regarder de plus près, cette scène est bien plus inquiétante qu’il n’y paraît. La musique de Jingle Bells est comme distordue. Des étoiles à cinq branches partout, dont certaines sont clairement inversées. Il y a quelque chose de louche chez les figurants. Tout d’abord, beaucoup d’adultes, beaucoup d’hommes, bien peu d’enfants dans ce magasin de jouets. De longs manteaux noirs qui rappellent exactement les capes des déguisements de l’orgie. Un vieux monsieur qui passe en tenant une petite fille par la main. Un autre qui manque de heurter Bill, au point que celui-ci est obligé de s’écarter. Une dame bizarre en manteau de fourrure qui s’attarde à l’arrière-plan. Tout cela semble un peu étrange, comme une réminiscence de l’orgie. La couleur rouge des parois, le cercle rouge de luminaires au plafond, les boîtes rouges « Magic circle » que l’on voit dans le même plan, tout cela nous replonge dans l’ambiance de l’orgie, avec son tapis rouge circulaire et ses adeptes masqués.

Helena brandit une poupée Barbie un peu lugubre, avec des ailes chauve-souris. À droite, on aperçoit une poupée Barbie vêtue d’une longue robe rouge, la jambe dévêtue. Tout cela rejoint le thème de la sexualisation précoce des petites filles, traité par petites touches tout au long du film (Alice coiffe Helena comme une poupée, lui apprend à distinguer les hommes selon leurs revenus, etc.).

Ces éléments semblent bien minces, bien subjectifs. Mais plus la scène avance, plus le message véritable tend à percer la paroi anodine du récit de surface. Jusque-là, les indices étaient équivoques, mais après tout sujets à interprétation. On entre ensuite dans des anomalies bien plus troublantes, parce qu’elles ont forcément été volontaires. La plus dérangeante de toutes est une erreur de continuité, un faux raccord, comme on en trouve souvent dans le cinéma de Kubrick. Bill et Alice s’arrêtent à côté d’un ours en peluche. Il faut savoir que l’ours en peluche est thématiquement relié chez Kubrick au sujet de la pédophilie, notamment dans deux scènes assez traumatisantes de Shining. La prolifération soudaine des ours en peluche dans le magasin renvoie métaphoriquement à la prolifération de la pédophilie dans la société occidentale contemporaine, ou du moins chez certaines de ses élites. De la jambe de l’ours en peluche on voit le petit bras d’une poupée qui dépasse. Plan sur Helena. Puis, retour sur Bill et Alice, et faux raccord flagrant : à présent c’est la poupée entière qui est magiquement apparue entre les jambes de l’ours en peluche. La connotation est évidente, d’autant plus que, comme l’a noté Rob Ager, ce n’est pas la première fois qu’on voit une poupée entre les jambes d’un ours en peluche dans le film : dans une scène précédente, on peut voir une disposition semblable dans la chambre d’Helena, sur une étagère. La croissance brusque de la poupée entre les deux plans l’apparente également de façon assez évidente à un symbole phallique.

 

 

L’horreur continue. Bill et Alice tournent à gauche et se retrouvent dans une allée étroite, flanqués d’ours et de tigres en peluche. Le tigre est le symbole du danger chez Kubrick, et renvoie à la première séquence de 2001, l’Odyssée de l’espace, dans laquelle les hominidés étaient dévorés par des espèces de jaguars aux yeux luisants. Helena se tient un instant entre ses parents, puis rejoint le fond du magasin. Or, que voit-on au fond du magasin ? Deux vieux messieurs bizarres, chauves (l’homme qui a failli percuter Bill au début de la scène était chauve également) qui tripotent un ours en peluche, l’œil égrillard. Ces deux hommes – et cela a été remarqué par plusieurs internautes – sont déjà apparus auparavant dans le film. On les voit distinctement assis ensemble à une table, lors de la réception de Ziegler, au début du film. Le même Ziegler qui trempe dans des affaires louches de prostitution et qui, de son propre aveu, était présent à l’orgie du château, dans la campagne de l’État de New York. Il est impossible que la présence des deux mêmes figurants, à deux moments différents du film, ait été fortuite. Kubrick l’a voulu ainsi. Il y a même un troisième participant de la réception de Ziegler qui surgit à la droite de l’écran : un jeune homme aux cheveux longs, que l’on a vu faire le serveur au moment de la rencontre entre Alice et le playboy hongrois, chez Ziegler. Les trois hommes entourent Helena et semblent l’entraîner, on ne sait où. La petite fille disparaît, et on ne la revoit plus.

 

 

Tous ces éléments sont factuels, et ont été relevés par Rob Ager et de nombreux exégètes de l’œuvre de Kubrick. Qu’est-ce que tout cela signifie ? Kubrick a-t-il voulu dire quelque chose dans son dernier film, dans sa dernière scène ?

Ce qui est certain, c’est que, du point de vue purement esthétique, cette scène est un miracle de densité, de fluidité, de polysémie. Apparemment rien ne se passe, et pourtant sur le plan symbolique et inconscient la scène est saturée d’indices convergeant vers un thème unique, un thème pour le moins dérangeant, trop dérangeant peut-être pour être dévoilé explicitement sur grand écran.

Il faut se rendre à l’évidence : Kubrick était bel et bien un génie, chaque scène de chacun de ses films est pourvue d’une richesse inouïe, raison pour laquelle il employait tant de temps et tant de prises pour les tourner, jusqu’à rendre fous ses acteurs et ses équipes techniques. Donner plusieurs dimensions à ce qui est plat par nature, plusieurs sens à un récit unique, ouvrir le champ à une infinité d’interprétations, non pas gratuites, mais très rigoureusement motivées, c’est vraiment là la marque du génie de ce cinéaste hors pair.

 



18 réactions


  • Clark Kent Séraphin Lampion 19 mai 2020 09:16

    So, what ?


  • Gollum Gollum 19 mai 2020 09:49

    On pourrait croire à l’indignation sincère et vertueuse de la part de Laconique vis à vis d’une pédophilie d’élite.

    Le gros problème est que ce genre d’article est toujours le fait de catholiques ou protestants dont le but non avoué est en fait de suggérer l’existence du diable et donc in fine de leur mythologie personnelle.

    Bref, c’est de la récupération pure et dure à motivation idéologique. Et en ce sens, c’est dégueulasse.

    Car jamais on ne verra ces mêmes bigots s’indigner avec trémolos dans la voix, par exemple, du massacre des dauphins dans les filets de pêche, dont on sait qu’ils ont une agonie très longue, mais ce thème n’est pas porteur pour eux, pas moyen de faire du racolage religieux... Le dauphin ça paye pas.

    Alors que la pédophilie occulte avec adoration de Lucifer et orgies sexuelles, ça, ça paye...

    J’ai regardé attentivement la fameuse poupée Barbie aux ailes de chauve-souris soi-disant. J’ai même fait arrêt sur image. Il ne s’agit pas d’ailes de chauve-souris mais de sortes d’ailes (si on peut appeler ça comme ça) dont les dames nobles raffolaient au moyen-âge il me semble... Faudrait faire une recherche. M’enfin bon..


    • Laconique Laconique 19 mai 2020 10:24

      @Gollum

      Pfff… Je ne suis pas seulement catholique, je suis fan de Kubrick, j’ai le droit non ?

       

      Ce n’est pas un article idéologique, c’est un article esthétique, il est dans la rubrique « culture », pas « tribune libre ».

       

      La symbolique d’Eyes Wide Shut est très subtile, elle est l’œuvre d’un artiste d’exception, je trouve ça fascinant, c’est tout. Regardez les vidéos de Rob Ager, dont celle en lien dans l’article. Rob Ager est ouvertement agnostique. Et Kubrick était un juif athée qui tournait la religion en dérision dans ses films. Tout le monde n’est pas fanatique…

       

      Pour les ailes de chauve-souris, c’est seulement une impression subjective, l’essentiel n’est pas là, c’est un détail parmi d’autres.


    • Clark Kent Séraphin Lampion 19 mai 2020 10:37

      @Gollum

      « Eyes Wide Shut » est l’antithèse de « Full Metal Jacket », film dans lequel l’institution totalitaire qu’est l’armée était à la fois le lieu de la répression sexuelle et celui où la libido servait à augmenter l’agressivité des militaires  ravalés à l’état de gladiateurs (les hommes régressaient même au stade infantile en chantant la chansonnette du club Mickey).

      Dans « Eyes Wide Shut », la famille représente le lieu de la maturité sexuelle, et quand la gamine découvre la poupée Barbie (symbole consumériste de l’érotisme devenu accessible aux enfants) dans le magasin, on entend le mot « fuck », puis la mère se rassure sur le fait qu’elle et son mari soient sortis indemnes de leurs errements érotiques, qu’elle reste attirée par ce mai adultère et qu’ »il y a une chose qu’ils doivent absolument faire dès que possible ». Quand le mari en question lui demande quoi, elle répond : « Fuck » (baiser).

      Il n’y a pas de diable là-dedans : il y a la découverte par Kubrick de la vanité des entreprises humaines autres que celles consacrées au coït, à la copulation. Il faut savoir que ses propres parents sont morts alors qu’il tournait ce film. C’est sa façon à lui de faire son deuil.


    • Julien30 Julien30 19 mai 2020 11:48

      @Gollum

      « Bref, c’est de la récupération pure et dure à motivation idéologique. Et en ce sens, c’est dégueulasse.

      Car jamais on ne verra ces mêmes bigots s’indigner avec trémolos dans la voix, par exemple, du massacre des dauphins dans les filets de pêche, »

      Procès d’intention et généralisations un peu grotesques et comment vous dites ? Ah oui dégueulasses. Vous ne savez vraiment plus quoi écrire comme âneries pour laisser libre cours à votre haine des catholiques.


    • V_Parlier V_Parlier 20 mai 2020 16:52

      @Laconique
      Vous écrivez : "Je ne suis pas seulement catholique, je suis fan de Kubrick« 
      Comment cela est-il possible ? Il est certain que nous n’avons pas la même idée de l’état d’esprit de Kubrick, l’un des rares cinéastes à traiter l’horreur comme une matière à »esthétiser". (Et dans ce dernier film encore, c’était mou du genou).


    • foufouille foufouille 20 mai 2020 17:02

      @V_Parlier
       dommage que wanted pedo soit un gros taré proche du caïd de banlieue.


    • V_Parlier V_Parlier 20 mai 2020 23:00

      @foufouille
      Rapport ?


    • foufouille foufouille 21 mai 2020 14:26

      @V_Parlier

      il voit des pédos partout car il est taré.

      si tu critiques ses chiffres sortis de nulle part, il te traite pédo et censure.

      je n’ai jamais connu un seul pédo et toi ?

      hors ils seraient très nombreux .......


    • Gollum Gollum 21 mai 2020 14:41

      @Julien30 & Laconique

      Je reviens un peu sur le tard...

      Ouch mes amis ! Quels scores ! Ils vous ont pas loupé hein... smiley

      C’est vraiment dégueulasse.. smiley


    • Laconique Laconique 21 mai 2020 15:21

      @Gollum

      Lol... Taper sur les cathos sur un site comme Avox et se targuer d’avoir des likes...

      Il n’en reste pas moins que votre commentaire était, pour reprendre votre expression, « à côté de la plaque », et traduisait plus vos propres obsessions qu’autre chose de vraiment constructif.


    • Gollum Gollum 21 mai 2020 17:22

      @Laconique

      J’imagine que sur un site comme La Croix la proportion aurait été inversée. Mais voilà la proportion réelle de gens est plus en phase avec Avox qu’avec La Croix..

      Ce qui m’agace aussi c’est que vous interprétez mes likes comme vous dites comme juste un défoulement anti-catho.. Vous ne pouvez pas admettre que beaucoup pensent que j’ai raison tout simplement.

      Vous avez essayé de faire de la récupération au profit de votre mythologie chrétienne cela ne fait aucun doute et ce n’était pas une première puisque vous aviez déjà tenté l’opération avec les Beatles.

      Alors cessez de prendre les gens pour des cons. (Je veux bien admettre que vous n’êtes même pas conscient de vos travers, j’en suis même assez persuadé, mais voilà, cela ne change rien à l’affaire).


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 19 mai 2020 10:24

    L’Amérique s’est construite sur un cimetière, une monstruosité : le massacre des indiens,....par les catholiques. Sur de TELLES bases, rien ne pourra jamais se construire. C’est ce que Kubrick a voulu faire passer à travers ses films. Un regard plongé dans ce lointain passé condamnant les survivants à s’auto-détruire. La majorité des américains sont borderline. https://www.oedipe.org/spectacle/cinema/shining


  • Nowhere Man 19 mai 2020 14:28

    Dans « Orange Mécanique » il y a une scène chez un disquaire. Parmi les pochettes de disque apparentes il y a celle de 2001. 
    On peut découvrir aussi « Magical Mystery Tour » des Beatles et Tommy des Who. 


  • agent ananas agent ananas 19 mai 2020 17:55

    Cet article me rappelle une vidéo vue sur youtube il y a 2/3 ans et qui mettait en lumière les messages cryptiques de Eyes Wide Shut ainsi que de la mort suspecte de son réalisateur peu après son engueulade avec les pontes de la Warner au sujet du final cut.

    Que recèlent les 20 minutes coupées au montage original ? Est-ce que Kubrick était allé trop loin dans la description des turpitudes et dépravations de l’élite ? Ou avait il découvert un dangereux secret ? ...

    Si je n’avais pas trop prêté attention au pizzagate que je trouvais trop délirant à mon goût, l’affaire Epstein m’a poussé d’y regarder d’un peu plus près ...


  • Initiativedharman Initiativedharman 20 mai 2020 05:50

    Le plus beau « coup » de Kubrick à la fin de « Eyes Wide Shut » est d’avoir fini sur le mot « fuck » mettant ainsi un terme à tous ses détracteurs, critiques et analystes amers qui racontèrent n’importe quoi sur le réalisateur et ils furent nombreux.


  • Abou Antoun Abou Antoun 24 mai 2020 14:13

    Kubrick concentre les fantasmes.

    N’est-il pas au cœur d’une théorie complotiste concernant l’alunissage d’Apollo XI.


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