mercredi 27 octobre 2010 - par Robert Baum

Deux expos sur Harry Callahan à Paris

Photographe majeur de la scène américaine d’après-guerre, Harry Callahan (1912 – 1999) n’a eu de cesse d’explorer le medium pour, encore aujourd’hui, influencer nombre d’artistes. Son autorité est due en grande partie grâce à son enseignement prodigué à l’« Institute of Design » de Chicago d’abord (où il entra à la demande László Moholy-Nagy, partisan du Bauhaus), jusqu’à prendre le direction de son département trois années après son arrivée, à la « Rhode Island School of Design » ensuite, qu’il dirigea à son retour de France et ce, jusqu’en 1977.

La Fondation Henri Cartier-Bresson lui rend hommage au travers d’une rétrospective sur son œuvre en noir et blanc.

Callahan, au contraire de Cartier-Bresson ou Garry Winogrand par exemple, n’appartenait pas aux « street photographers » comme certains pourraient le supposer au regard d’une partie de son travail. Car rien dans sa démarche ne se rapporta au documentaire, pourtant en vogue. Son but n’était pas de révéler quoique ce soit sur la société ou les gens. Cela ne l’intéressait pas, tout simplement ! Il pratiquait la photographie pour la photographie elle-même. Seul le medium et ses possibilités le passionnaient à l’hypnotiser entièrement, à l’obliger de ne jamais quitter son appareil pour, au final, prendre plus de cent mille clichés au cours de son existence !

Il explora les capacités de son « outil de travail », joua avec les multiples expositions, le contraste, le graphisme apparaissant au niveau des structures des éléments pour tendre à l’abstraction, composant avec la lumière naturelle pour laisser apparaître la géométrie des lieux.

Son sujet de prédilection, et « objet » d’étude, fut Eleanor, son épouse, qu’il ne cessa de photographier à titre expérimental et à laquelle s’ajouta ensuite sa fille Barbara. A l’extérieur face à un immeuble et des murs ou plongée dans un cours d’eau, à l’intérieur pour du nu, elle se mit à disposition pour ses expériences, sans rechigner.

Callahan n’avait de cesse d’explorer, d’aspirer à atteindre de nouvelles rives encore vierges. Il appartenait à ses artistes purs dont la quête apparaît sans fin, obsédés par l’envie de repousser les limites, d’essayer encore et toujours, jusqu’à l’épuisement complet du sujet mais taraudés pourtant par la crainte d’avoir failli, d’avoir malgré leurs efforts abandonné trop tôt et oublié d’investiguer l’une ou l’autre direction capable encore de s’offrir à lui.

On découvre ainsi des images admirables, telles ces vues de Chicago où le photographe traquait la lumière au milieu de l’enchevêtrement métallique des ponts suspendus et des gratte-ciels. Les ombres tranchées par les raies de lumière n’y sont pas de simples ombres, noires et profondes. Elles sont plus que ces surfaces sur lesquelles l’œil glisse sans rien découvrir. Car à y regarder de plus près, des détails surgissent, épars. Ici, un quart de silhouette, là la structure géométrique d’un mur. Ses ombres et lumières composent des tableaux strictes, anguleux (dirais-je mathématique ?) et emplis d’une force expressive interne puissante, d’une profondeur surprenante.

Il y a aussi les visages d’inconnus photographiés à la sauvette, de très près, dans les rues, sans pouvoir régler la mise au point avec la précision qui s’imposait. Visages parfois nets ou parfois flous, presque déformés, coupés aléatoirement par le cadrage approximatif, ils dégagent une vie pourtant intense, une beauté brute !

Fidèle à László Moholy-Nagy, Callahan s’attacha à parcourir ce que l’environnement pouvait lui offrir comme matière à ses désirs d’abstraction. Il photographia ainsi de simples tiges ou de fins branchages qui, grâce à un contraste poussé, apparaissent noir sur un fond blanc. Leur seule « substance » en est ainsi tirée, à l’image d’un trait d’encre noire couché sur un papier, dans un dépouillement le plus total, comme mise à nu, à troubler le visiteur, s’interrogeant sur la nature de ce qu’il observe avant de la découvrir, parfois étonné.

Parallèlement à cette exposition, Callahan est présent au travers de la superbe rétrospective de la Foundation Mona Bismarck. Intitulée « Made In Chicago », elle retrace l’épopée et l’influence de l’ « Insitute of Design » de Chicago où Callahan fut l’un des piliers au côté du fondateur Moholy-Nagy (1895 – 1946) et de Aaron Siskind (1903 – 1991).

Pour Moholy-Nagy, artiste hongrois et enseignant sous la République de Weimar, la photographie représentait un moyen d’expression idéal de la modernité. Il prôna d’ailleurs l’apprentissage de la « lecture de l’image » afin de lutter contre l’analphabétisation des individus confrontés à la photo ! Pour cette raison, il créa un nouveau centre photographique, à l’instar de ce qui existait à New York et San Francisco, et instaura une nouvelle approche du medium axée sur l’expérimentation. De cette formation, naquit un courant et une source d’inspiration, parmi les héritiers de laquelle il est possible de citer Walker Evans, Robert Frank, Lee Friedlander, Arthur Siegel entre autre … tous influencés directement ou indirectement par Callahan et Siskind.

Il ressort des 90 images exposées (prises entre 1937 et 2007) une volonté farouche de sortir des voies tracées, d’oser – comme Friedlander par exemple – placer l’ombre du photographe au milieu de la scène, de capter le banal ou l’anodin, de photographier avec l’envie de garder trace des moindres faits, de franchir les limitations du cadrage classique et d’explorer les confins du medium avec une presque énergie du désespoir, de laisser libre court à sa créativité et à son inspiration.

Des photographes comme Stephen Shore ou William Eggleston auraient-ils abordé leur art l’esprit aussi libéré des conventions sans l’influence des pionniers de Chicago ? La photographie actuelle serait-elle la même si par le plus grand des hasards, de puissantes personnalités et des artistes engagés comme Moholy-Nagy, Callahan ou Siskind ne s’étaient pas retrouvés embarqués dans le même bateau avec pour désir d’apporter un nouveau souffle à leur discipline, de découvrir de nouveaux moyens d’expression ? … La visité bouclée, le visiteur pourra se faire une idée de l’ascendant que l’ « Insitute of Design » de Chicago de la première heure exerce encore aujourd’hui.


Fondation Henri Cartier-Bresson - 2 Impasse Lebouis, 75014 Paris – Entrée : 7 euros (jusqu’au 19 décembre)
 
Fondation Mona Bismarck - 34 avenue de New York, 75116 Paris - Entrée : gratuite (jusqu’au 6 novembre)
 



Réagir