mercredi 15 octobre 2008 - par Vincent Delaury

Disparition de Guillaume Depardieu (1971-2008)

L’acteur est décédé, lundi 13 octobre dernier, des suites d’une pneumonie foudroyante, à l’hôpital de Garches. Il avait 37 ans. Guillaume Depardieu, c’était un acteur-poète, c’était ça sa force, et sa faiblesse aussi, son irrémédiable difficulté à vivre. Suite à l’annonce très triste de sa mort, j’ai aussitôt pensé à une phrase sur Van Gogh dans l’admirable film éponyme de Pialat (1991) : « Vincent, c’est une succession de moments de faiblesse. Mais au bout, quelle force. » On pouvait dire ça de l’homme blessé qu’était Guillaume.

C’est peu dire qu’il va manquer au cinéma français. Dans cette tranche d’âge (30-40 ans), c’était lui le meilleur, parce qu’il avait un être là à l’écran, une urgence qui donnait à son je(u) la force de l’évidence. Et dans tous ses derniers films (Ne touchez pas la hache, Versailles, De la guerre), mais j’ai envie également de remonter au romantisme noir de l’incandescent Pola X d’un autre écorché vif du cinéma français, un certain Leos Carax, il y avait une montée en puissance de son charisme, quelque chose d’irrémédiablement fragile, on devinait une existence qui se donnait au film, sans mensonge, avec cette idée permanente que la vie, que sa vie, ne tenait qu’à un fil. Il s’agissait de tout donner. Au risque de se cogner contre un mur ou de se frapper violemment la tête contre une bagnole. En le voyant, on pensait bien sûr à Dewaere, un autre grand acteur français à la destinée foudroyante. Guillaume Depardieu, c’était un funambule, quelqu’un qui était en permanence sur un fil et, celui-ci, on le sentait très bien, pouvait être à tout moment tranché par une hache - ou par le tranchant de la vie, d’une sauvagerie latente, prêt à surgir inopinément, comme dans une série noire. Il brûlait la vie par les deux bouts. Quelque part, c’était écrit qu’il allait mourir jeune, dans la fleur de l’âge. 37 ans, c’est l’âge en général où un artiste commence à s’affirmer, mais, pour lui, c’est l’âge de tirer définitivement le rideau cramoisi et de quitter les feux de la rampe de lancement - je pense que pour lui le cinéma était la possibilité d’une continuation de sa poésie existentielle sur un autre terrain que celui de l’écriture.

Tiens, parlons justement d’écriture, et d’écrire pour vivre. De Guillaume Depardieu, je me souviens de ses films bien sûr, de sa trajectoire passionnante de jeune vieille carcasse abîmée si émouvante dans une sphère du cinéma français bien trop souvent formatée, mais je me souviens aussi de ses mots couplés à ses maux : c’était un bouquin sorti en février 2004, un certain Tout donner, sorti aux éditions Plon. Non non, ne vous attendez pas à un bouquin plombé ou bidon, écrit par-dessus la jambe ou par un nègre comme la plupart des livres fabriqués au centuple par des people à la mords-moi-le-nœud, il s’agissait d’un livre sans photos. Pas de photo de Guillaume sur une plage d’Ibiza, à Planet Hollywood ou en présence de sa sœur, d’une star américaine bankable, d’un quelconque politique et que sais-je encore. Il s’agissait d’un livre d’entretiens, menés à bâtons rompus avec son complice cathodique Marc-Olivier Fogiel, afin de raconter les accidents et les nombreuses cicatrices, plus ou moins refermées, de sa vie. Ce qui était très insistant, c’était son rapport conflictuel à son père, l’ogre Gérard Depardieu. Sa difficulté à vivre, enfant, ado et jeune adulte, ses absences, ses beuveries, ses colères, ses lâchetés. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont par la suite signé un film ensemble, Aime ton père (2002). Un titre programmatique, une sorte de SMS que chacun envoyait l’un à l’autre, entre l’amour et la haine, tout en connaissant très bien, à l’instar d’un Baudelaire, la réversibilité des contraires. D’ailleurs, un chapitre de ce livre s’intitule Père et fils, haine et amour. Et puis, surtout, Guillaume Depardieu, au-delà de ses embrouilles avec le métier de vivre, c’était aussi un regard aigu, infiniment sensible, sur la vie, sur l’existence qui précède l’essence. « Nous sommes tous des épaves », chantait récemment Bashung dans l’une ses chansons. Certes, mais Guillaume Depardieu pouvait aussi s’avancer avec fulgurance en proue de cette épave de bric et de broc pour se faire soudain cible émouvante ou corsaire rockmantic transformant la boue en or, le radeau en fortune. Vivre volontairement de guingois, un pied dans le métier d’acteur, pour lequel, en digne fils de son père, il avait des dispositions criantes de vérité, et un autre - peut-être sous la forme d’un corps fantôme venant hanter ses contemporains - dans la rupture, la permanente volonté de renaître et la dissidence perpétuelle.

Oui, Guillaume Depardieu, quelque part, c’était bien ça : « Tout est affaire de légitimité : ai-je le droit de parler de ça ? Qui suis-je pour parler de ça ? Qui suis-je pour vivre, tout simplement ? Je ne suis pas de ce temps ! Je ne suis pas de cet univers, je ne suis pas de cette planète, je ne suis pas de ce territoire. Je suis d’ailleurs, je suis un esprit, je suis une force, je suis un magnétisme, une énergie, quelque chose qui va susciter, qui va pouvoir engendrer d’autres choses… Je suis un loup, un animal sauvage, je me suis fabriqué mes rites, mes autels, mes religions… ». Je vous l’accorde, on peut trouver ça très prétentieux, mais on le sait bien, pour ce fils de c’était aussi l’envie de légitimer sa place au soleil (des sunlights) par rapport à la figure tutélaire de son père-ogre, sur le mode je t’aime moi non plus à la Gainsbarre.

De
Guillaume Depardieu, je me souviens aussi de trois films où il m’avait impressionné, voire fasciné. Son rôle d’écrivain maudit à la russe, façon Dostoïevski, dans le crépusculaire Pola X (1999), nous montrait un Pierre qui roule sur sa moto vers son fatum, au risque de se brûler les ailes, définitivement. Ce film tendu, travaillé par un certain goût mortifère pour le sadomasochisme et l’autodestruction, venait à la rencontre du background existentiel de Guillaume Depardieu : on y voyait déjà un visage-cicatrices tourmenté et un grand corps malade à venir. En 2007, le sublime Ne touchez pas la hache de Rivette (selon moi, la meilleure prestation de Depardieu fils au cinéma) transformait celui-ci, après sa triste amputation à la ville bien connue, en un corps-masse, ou plutôt « corps en travaux » qui, même fatigué, même handicapé, campait dans le plan telle (la possibilité d’) une île, une citadelle en alerte, constamment sur la brèche, quitte à s’écorcher ad vitam aeternam. Son Armand de Montriveau, général bonapartiste baroudeur au regard affûté d’aigle guettant sa proie (Antoinette de Langeais), devenait un territoire dans le territoire du film, via le charisme d’un corps-animal blessé. Telle une figure-totem de Giacometti, il marchait, comme un revenant, dans les ruines de Majorque, puis il claudiquait dans les dédales des escaliers. Ce pirate traçait son sillon, faisait escale en ouvrant des portes d’appartements bourgeois, comme s’il squattait des proues de bateaux corsaires. Même assis ou boitant, il restait fier, debout, telle une verticale, ancré dans l’écran à cran. Une vraie présence, proche de l’indomptable. Enfin, dans Versailles (2008) de Pierre Schoeller, film inégal, mais ô combien poignant, Guillaume Depardieu était Damien, un être en marge qui vivait dans les bois, près du château de Versailles. Il s’occupait d’un petit Enzo laissé à l’abandon. Il était tour à tour à la dérive, avec un corps éternellement en chantier, ou au contraire d’une force physique et mentale incroyable. Tel un poète Into the Wild, on le voyait lire un bouquin défraîchi sous les arbres, silencieusement. On l’observait construire une cabane avec énergie, on le voyait également sur des chantiers, en train de bosser, pour survivre, en abattant des murs tel un forcené, en pleine épreuve de feu. Guillaume Depardieu dans un bois, isolé avec un enfant, c’était tout un poème en soi, un trip d’une beauté funèbre, féerique et romanesque. A la fin de la projection du film en salle, je me souviens de moult spectateurs en larmes, littéralement pris aux tripes. J’en faisais partie. Oui, Versailles restera parce que Guillaume Depardieu a tout donné là-dedans, c’était ni plus ni moins un autoportrait façon Van Gogh.


Dernière anecdote, à l’époque de la sortie de son livre, je l’avais rencontré brièvement dans un café de Paname, début mars 2004. Il se tenait là, tranquille. On le sentait à la fois fier et très timide, ici et profondément ailleurs, entre présence et absence. J’avais été brièvement le saluer, et je lui avais parlé, quelque peu, de son bouquin. Il écoutait, avec des yeux sautillants beaucoup, puis il m’avait fait une blague histoire de botter en touche pour ne pas trop crouler sous les compliments. Un ange est passé. Puis, je l’ai salué afin de le laisser peinard. Silencio. Guillaume Depardieu ? C’est une succession de moments de faiblesse. Mais, au bout, quelle force. Fondu au noir.

Photo de l’auteur (polaroïd, portrait de Guillaume Depardieu, Paris, mars 2004)

 



24 réactions


  • hihanhihanhihan hihanhihanhihan 15 octobre 2008 14:43

    Paix à son âme.

    Encore heureux qu’il n’ait pas laissé l’oeuvre de Brel......................................


  • Zalka Zalka 15 octobre 2008 15:01

    C’est étrange comme les réactions à son décès sont violentes et dénués de compassion.

    Moi même, je n’appréciais que fort peu le personnage et ses frasques. Nul doute également que le nom de son père lui fut fort utile.

    Pourtant, j’ai eu récemment l’occasion de voir Versailles, un de ses derniers films, et il m’a fallu reconnaitre qu’il s’était fait un prénom et qu’il avait vraiment du talent.

    C’est finalement ce qui compte : son oeuvre, pas sa vie.


    • hihanhihanhihan hihanhihanhihan 15 octobre 2008 16:26

      Bien vu Zalka !

      "son oeuvre, pas sa vie"

      Si G.D est la source "d’une oeuvre", je te demande de quoi Brel, Gabin, Simon et d’autres ont pu être les sources.

      Que son décès prématuré soit regrettable c’est un fait. Le présenter comme un génie trop tôt disparu, est peut-être un peu outrancier.


    • Zalka Zalka 15 octobre 2008 16:30

      Je n’irais pas jusqu’à génie. Mais c’était un bon acteur. Comme quoi ont peut être "fils de" et pro.


    • hihanhihanhihan hihanhihanhihan 15 octobre 2008 16:46

      Mais pas de quoi en faite un feuilleton.

      Des gens pleins de talents disparaissent tous les jours en France.



    • Christoff_M Christoff_M 15 octobre 2008 19:31

       si quelqu’un se donne la peine d’écrire un article ne le prenez pas comme cela...

      Si Guillaume Depardieu ne vous intéresse pas aller voir ailleurs, mais respectez au moins le fait qu’il soit décidé de manière trgique...

      c’est à peu près au meme niveau que certains qui disent que grégory Lemarshall a utilisé sa maladie pour etre connu !!


  • Golden Ratio Golden Ratio 15 octobre 2008 19:16

     on s’en branle !


  • Christoff_M Christoff_M 15 octobre 2008 19:23

     Un etre sensible, fragile, doué d’une grande sensibilité... un talent d’acteur..

    pas aidé par une santé fragile et par un père très pesant.

    Je pense que la famille et notamment sa soeur, vont etre profondément affectés, un grand choc à surmonter...


  • Yohan Yohan 15 octobre 2008 19:54

    C’est bizarre comme les mêmes qui se prétendent tolérants aiment à faire mourir deux fois. Ce type a assez souffert, il mérite le respect.


    • hihanhihanhihan hihanhihanhihan 15 octobre 2008 20:46

      Faut pas mélanger respect et publicité.

      Et pour ce qui est de savoir "s’il mérite le respect", tu fais partie de ses proches ?

      Le gamin de 16 ans qui s’est pendu dans sa prison et qui est mort aujourd’hui m’inspire plus de commisération que Depardieu.

      De lui, aucun "humaniste" dans ton genre n’a déclaré qu’il "méritait le respect" !





    • Christoff_M Christoff_M 15 octobre 2008 21:37

       pas de réponse au goret qui bousillent les débats sur Agoravox...

      votre cynisme aigri n’est plus drole !!

      et changez d’icone vous etes une insulte aux cochons, sociables et bons, vous devriez plutot mettre une image d’hyène solitaire, haineuse ceci conviendrrait mieux au hihi hanhan, lassant aussi à la longue...


    • Yohan Yohan 15 octobre 2008 22:17

      Ah ouais et qu’est ce qu’il foutait en prison ce gars là, méritant de la société ? Pov tache


    • Christoff_M Christoff_M 16 octobre 2008 00:53

      La victimisation camarade... au bout d’un moment des gens défilent dans la rue suite à une mise en scène médiatique sans savoir pour qui ils défilent et pourquoi !!

      étrange France de 2008 ou il est plus facile de jouer sur la commiseration quand il s’agit d’une victime de communauté bien ciblable pour mobiliser pour une manif...

      plutot que de mobiliser sur l’emploi, les salaires ou une défense d’ordre national censée concerner tous les travailleurs sans distinction de race...


    • Cascabel Cascabel 19 octobre 2008 19:42

      Ah ouais et qu’est ce qu’il foutait en prison ce gars là, méritant de la société ? Pov tache

      C’est précisement ça, la prison, qui le rend sympathique.
      Il aurait pu être un fils d’acteur et profiter de la vie, au lieu de cela il s’est cherché et s’est jetté dans les problèmes.
      Par ailleurs je trouve discourtois de parler ainsi d’un homme venant tout juste de décéder
      .


    • Cascabel Cascabel 19 octobre 2008 19:57

      Hum !

      N’ayant pas lu depuis le début le fil de la discution, j’ai réagit en pensant qu’il s’agissait de l’acteur et du coup mon intervention prend une tournure dada.

      Je rectifie donc :

      Les morts méritent le respect, qu’il s’agisse du "gars pendu en prison" ou de Depardieu Jr.


  • jamesdu75 jamesdu75 16 octobre 2008 10:10

    Sa mort est assez triste pour ça famille. Forcement perdre un fils, un frére aussi jeune, et surtout de cette maniére. C’est plus que triste.

    Après pour l’acteur, désolé de decevoir l’auteur. Mais il n’a jamais rien apporté au cinéma en 15 ans de carriére et a plus jouï du nom de son pére pour faire des films que grâce a son talent.

    La seul fois il m’ a fait rire, c’est pour le festival de Quint pour le festival Grolandais.

    Bref paix a son âme et respect à sa famille.


    • Cascabel Cascabel 19 octobre 2008 13:19

      Le cinéma français de nos jours est très mauvais et la plupart des acteurs jouent mal, qu’ils soient des fils de star ou non. Un ami ayant longtemps vécu à Cuba m’a appris que là bas l’expression "una pelicula francesa", (un film français) désigne un navet. C’est dire notre réputation !

      A titre personnel j’ai vu un seul film où jouait Guillaume Depardieu, les Apprentis, et je n’ai pas été déçu. Ce film fait partie des rares réussites du cinéma français subventionné.


    • K K 20 octobre 2008 02:07

      c’est su que s’ils ont vu certains films avec les charlots, les cubains peuvent dire cela. Mais il y a aussi d’excellents films français. Je ne me souviens pas avoir vu Guillaume Depardieu jouer dans un très bon film, mais faire ce métier à la suite d’un père pareil n’était pas la voie la plus facile.
      Quand on est fils de, il est difficile de se faire un prénom et toutes les frasques sont surmédiatisées ainsi que les échecs.


    • jamesdu75 jamesdu75 20 octobre 2008 09:15

      @ K c’est totalement faux ce que vous dites.

      Pour l’exemple, sa soeur, j’ai rarement été déçu de ses prestations (pour les films c’est aure chose). 

      Idem pour d’autres famille tel que les Hallyday. Si je peu pas blairer le pére (même si ses chansons sont pas mal et resiste au temps). Laura Smet est une bonne actrice et ne cherche pas les bluckbuster français, David lui est un de rare de la chanson qui reussis a rallié critique et public. 

      Pourquoi des - ?????? J’ai rien dit de constructifs ou vous n’aimez pas ce que je dit.


    • Cascabel Cascabel 20 octobre 2008 13:00

      @ K

      Détrompez-vous les Cubains voient plus de films que nous du fait de la gratuité, ils sont à même de comparer.


  • Proudhon Proudhon 19 octobre 2008 19:18

    Paix à ton âme Guillaume Depardieu.
    J’aimais bien te voir jouer et surtout te voir révolté. C’est devenu tellement rare les gens connus qui ouvrent leur gueule. Ce qui m’a énervé lors de son enterrement c’est tous les faux-culs qui y ont assisté. Que faisaient là certains et certaines... Pauvres tâches !

    Quand aux critiques ! Ces paroles de Lanza Del Vasto :

    de mémoire :

    "Quoi que les gens pensent et disent de toi. Ceci n’enlève rien à ta qualité personnelle ! "


  • Jordan Jordan 19 octobre 2008 22:53
    Boff. Je n’a vu qu’un film de lui, son premier " Tous Les Matins du Monde" J’ai Beaucoup aimé son rôle de Marin Marais,suis passionné de zic classique. Dommage qu’il soit DCD de maladie, bon, mais il en meurent beaucoup de très jeunes qui n’ont même pas eu le temps de nous montrer leur talent.
    Vraiment pas de quoi en faire toute une tartine. Il y a des journaux pour ce genre.

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