samedi 17 octobre 2009 - par jack mandon

Don Juan où la quête de l’amour éternel

Sur les frêles genoux de son  insaisissable égérie, le masque tragicomique du héros légendaire épouvanté. Dans son expression la plus hallucinante, pétrifié et pathétique à jamais dans le rôle que la destinée semble lui infliger.
Il eut pourtant son heure de gloire, il rayonnait dans toutes les manifestations de la vie. Individualiste né, il « tirait son épingle du jeu ». Par les moyens infinis dont il disposait, il se confondait en mille facettes lumineuses, charme, finesse, séduction, désir de plaire ; gout de la réussite, honneurs, argent ; souplesse, débrouillardise, astuce, habileté. Quelle fut sa bonne ou mauvaise fortune ?
On lui prête des origines espagnoles, sa légende affichée remonterait au XVII ème siècle. Animé et revitalisé par le génie de Molière il s’incarne généreusement dans l’humanité. La religion et ses interdits s’en apparent, il perd son sens primitif, revêt une forme sulfureuse et diabolique...pour répandre son histoire sur toute la surface de la terre.

Rassurons nous les mythes sont génésiaques, comme la vie, ils mutent tout au plus, mais restent profondément ancrés dans l’âme humaine. Ils s’alimentent des couleurs lumières inaltérables, des désirs les plus fous, les plus créatifs, et de la force d’aimer.

A l’origine, autrefois, il y a bien longtemps...
En son essence, la belle Inès, la muse fatale, telle une biche aux abois, la gorge haletante...la fuyarde, pourtant franche, alerte, limpide émanation.
Une faible et touchante créature, qui remue au plus profond de nous, des mondes de douceur, de tentation et de nostalgie. "jamais de la vie on ne l’oubliera la première fille qu’on a pris dans nos bras"
La belle Inès, ainsi la nommait-on, fuyait un redoutable séducteur, le Seigneur Don Juan. Il la poursuivait de ses assiduités. Parce qu’elle connaissait la valeur de ses serments, pour lui échapper, elle n’avait point de cesse et courait les chemins.
Pour prendre en main sa propre défense et sauvegarder sa liberté, ne s’illusionnant pas sur sa vraie force, elle fuyait pour se défendre d’elle même.Elle fuyait..comme "elles" fuient souvent.
Pour un observateur sage, s’il en existe, elle était touchante, il y avait au fond de sa voix des modulations de tristesse. Elle avait dû, l’innocente, maintenir une grande distance entre elle et son prétendant charmeur...Et elle s’envola lumineuse et légère comme un oiseau des iles pour un ailleurs de dérobade et de combinaison.
Le "chasseur", marqué par le destin ne tarda pas. Reconnaissable à son allure cavalière, portant chapeau voyant emplumé. Le suiveur faire-valoir, son valet, comme une ombre se profila.
L’élégance légendaire de Don Juan, personnage intriguant de réputation, coureur d’aventure et incorrigible jouisseur, se révéla cependant un grand passionné dans un profond et responsable questionnement.
Sa blessure n’était elle pas de vivre l’amour comme une éternité et de le voir s’étioler toujours. Sa vie était un cauchemar sans aboutissement, c’était une vision, une hybridation monstrueuse. L’amour porté par les ailes du temps, et lui dépendant pour toujours..." Ô temps suspends ton vol ", la prière romantique, s’inscrivait, classique, dans un univers absolu au système incontournable.
Jadis, adolescent naïf et pur, Don Juan s’était épris d’une jouvencelle et lui avouant son amour, elle avait acquiescé par un sourire de chrysalide diaphane...une expression sans parole qui l’avait ensorcelé.
A cet instant béni des dieux, mais contrefait par Lucifer, son mythe l’investit. Un amour naissant alimentait maintenant en fulgurance sa recherche folle. Propulsé dans les chemins, prédateur enluminé, il poursuivait les jeunes filles virginales et les femmes les plus vertueuses...
Devenu homme, l’amour, comme un fruit mur, tombait et devenait charnel...ses conquêtes et lui s’engloutissaient dans le plaisir des sens, projetés dans l’étourdissement de l’abîme. Et la nuit envahissait l’espace comme un lourd rideau opaque sur l’apogée de l’extase... 
Dans l’obsession de sa recherche, se relevant toujours, tel Sisyphe, l’oeil rivé sur le sommet de sa montagne, il lui fallait chercher ailleurs ce qu’il cherchait uniquement : Le délicieux moment de la promesse silencieuse, cet instant qui seul adhère à la pérennité.
C’était là tout le mystère de sa course éperdue, de femme en femme, il paraissait explorer, mais en vérité il s’enfuyait...C’était pourtant la moitié du chemin qui conduisait à éclairer ses actes. Tout au fond de lui, il voulait se prouver que cela ne pouvait être. Pervers ambigu, il entrainait ses amantes dans cette spirale diabolique, les poussant à succomber, pour mieux les mépriser dans l’absolu.
Se mépriser lui même, il ne le pouvait dans son arrogance, perdant l’occasion d’évoluer. Il s’enfermait dans cette fausse croyance : " Il sacrifiait toutes les femmes sur l’autel de son amour d’antan."
La colère affichée n’était pas une révolte, contre les principes et les lois, mais elle prenait avec sa maturité dévoyée, une force paroxystique contre Dieu et le genre humain dans son ensemble.
Il était devenu maintenant, une espèce de Caïn en habit de prince, errant dans l’imposture d’un vengeur impitoyable. L’ange de lumière en métamorphose se répandait dans sa bestialité.
Si par hasard la paix semblait l’atteindre, Leporello, son valet, son humble serviteur, par la force de l’exemple fanatisé, se montrait harcelant, lui rappelant que la belle les devançait toujours.
Il pénétrait, aveugle, avec férocité, dans son ombre gigantesque. Epousant définitivement la cause chimérique la plus insidieuse, il se hâtait à grandes enjambées vers son néant.
 


9 réactions


  • Armelle Barguillet Hauteloire Armelle Barguillet Hauteloire 17 octobre 2009 18:46

    Le mythe de Don Juan a inspiré des oeuvres nombreuses. Mais celles que je préfère sont, sans aucun doute, le Don Giovani de Mozart, pathétique et sublime, et le Miguel Manara du grand poète lituanien Oscar Milosz, pièce ( ou plutôt mystère ) en six tableaux qui s’achève ainsi

    « Maintenant, je suis seul.
    Maintenant, je suis seul au milieu des vivants comme la branche nue dont le bruit sec fait peur au vent du soir. Mais mon coeur est joyeux comme le nid qui se souvient et comme la terre qui espère sous la neige. A cause que je sais que toutes choses sont où elles doivent être et vont où elles doivent aller : au lieu assigné par une sagesse qui n’est pas la nôtre ».


  • jack mandon jack mandon 18 octobre 2009 09:27

    @ Armelle

    Je ne connaissais pas la version du poète lituanien. Le final nous montre un héros devenu sage, ce n’est pas dans l’esprit le plus répandu, le mieux connu, du mythe qui au fond est un suicidaire, un provocateur qui hâte sa fin.
    L’oeuvre de Mozart, dans le contexte de l’époque, est une transition entre deux mondes, celui de l’ancien régime, le père, le roi et Dieu, l’ordre social, ( le commandeur ) la conception classique, et le monde débridé du romantisme. Le romantisme anti-rationaliste...le siècle à venir.
    La phrase de Musset me plait bien « Don Juan, la soif de l’infini dans la volupté »
    Bien sûr, le génie, le charme et la grâce de Mozart peut faire passer le message le plus sombre et le plus tragique avec angélisme et finesse.
    Le Don Juan qui me plait bien est celui de Molière...le plus Français sans doute.
    C’est une occasion pour lui de régler ses comptes avec son époque empesée et rigide.
    Molière se moque de Dieu et du diable ( des conceptions de son temps bien sur )
    il se joue du ciel et de l’enfer, confond vice et vertu. Il se positionne comme un « diable incarné »
    Derrière cette apparente légèreté s’enracine un être profond qui va au coeur de l’âme humaine.
    Sa recherche est, par la provocation, faire sortir l’authenticité, la sincérité, une certaine vérité.
    C’est de la conception du couple dont il s’agit. Don Juan, c’est la préoccupation de captiver l’autre, de le séduire, l’envouter, l’ensorceler...le dominer, le vaincre et le posséder.
    Pourquoi, mais pourquoi non de dieu !
    L’autre nous est inconnu, étranger, l’autre nous fait peur.
    Don Juan ne pouvait rencontrer l’autre puisqu’il courrait après un fantôme de son passé.
    Dans ma mise en scène à quatre balles, je voulais dire entre autre...
    Adolescent, Don Juan connait l’émergence de l’amour, il prend conscience de ce qu’il est, car il a la conviction qu’il a été reconnu par l’autre. La rencontre, la rencontre tout est là.
    Le pathétique, c’est d’être deux. L’autre n’est pas un objet qui devient nous, il doit garder une certaine distance et se retirer dans son mystère...l’autre doit aussi se définir, se positionner, trouver la juste attitude de dignité et d’originalité. L’autre ce n’est pas foncer comme Don Juan ou fuir comme Inès. L’autre c’est une reconnaissance, ce n’est pas une fusion narcissique de nous même.
    J’aurais souhaité des échanges sur ce thème central, en toute simplicité. Au fond je sais que cela n’est pas possible, dans l’intimité d’un couple c’est déjà périlleux, alors sur la place publique, c’est utopique.

    Merci Armelle


  • Diane Diane 18 octobre 2009 20:40

    Bonsoir Jack,

    Pourquoi avez-vous choisi le Don Juan de Molière ? et pourquoi imaginez-vous cette fuite d’Inès et la poursuite de Don Juan ? peut-on y voir un sens ?


  • jack mandon jack mandon 19 octobre 2009 08:49

    @ Diane

    Etablir un lien entre l’homme et l’artiste, le caractère, l’époque où se déroule l’action aide à la compréhension d’une oeuvre. Mozart et Molière sont des personnages hors du commun.
    Ce sont des conquérants d’un autre monde. Un extrait de dom juan de Molière, traduit, pour l’un comme pour l’autre, la puissance de leur rayonnement :
    « Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs : Je me sens un coeur à aimer toute la terre, et, comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. »
    Bien sur, pour l’un comme pour l’autre, l’énergie vitale ne se limite pas à la seule libido, mais s’étend à la créativité de génie dont l’un et l’autre sont puissamment pourvus.
    Molière, mort à 51 ans 1622-1673 France au coeur de l’époque classique.
    Mozart, mort à 35 ans 1756-1791 Autriche dans une période qui connaitra un immense bouleversement mondial politique et social, les grandes révolutions qui transformeront le monde.
    Molière me semble infiniment plus libre, c’est un nomade, un errant, un saltimbanque, un forain.
    Certes persécuté par un système, dans une époque rigide, mais protégé par le roi Louis XIV.
    Pour Mozart, entre son père, l’autorité religieuse et politique...en Autriche, la marche de manoeuvre semble faible. La liberté est plus introvertie. Mais les grands génies sont d’immenses communicateurs, ils séduisent naturellement leur environnement...Don Juan est leur Credo.
    Pour répondre à la question, il est plus facile de lire et de commenter un texte, que de faire parler la musique. La musique remplit l’espace et se laisse écouter. D’autre part, ce ne sont pas les livrets qui accompagnent un opéra, fut-il de Mozart, qui constituent une source de réflexion.
    En revanche, Molière, pour la France est l’équivalent de Shakespeare pour l’Angleterre.

    Merci pour la question, la réponse est contenue entre les lignes


  • Francis, agnotologue JL 19 octobre 2009 09:55

    Bonjour Jack Mandon, j’ai lu avec intérêt ce texte en hommage à Don Juan. Je pense que des don Juan il en existe beaucoup, mais heureusement ils ne sont pas tous aussi considérables que les célébrités que nous connaissons.

    Ne pensez-vous pas que celles qu’ont qualifie d’allumeuses sont à leur manière, des Don Juan féminins ?


  • jack mandon jack mandon 19 octobre 2009 11:31

     @ JL

    Intéressante votre intervention.

    Don Juan n’est pas uniquement un mythe, ou si vous préférez, son existence recouvre l’imaginaire, mais aussi la réalité humaine, et enfin les deux sexes.
    Pour faire court et utile, Don Juan est le fruit, ou le résultat d’une interaction, d’une rencontre, entre deux êtres. C’est la conséquence d’un mélange de deux sensibilités, deux histoires, deux caractères uniques qui ne connaissent rien l’un de l’autre et qui plongent dans la subjectivité, dans l’imaginaire, dans les fantasmes. Ce peut être créatif, mais, à plus long terme difficile humainement. On est toujours deux dans la séduction.
    Le mélange émotionnel qui en résulte peut avoir des effets conflictuels et destructeurs.
    Il faut assumer autrement.

    Merci


  • Dora-Rafaella Dora-Rafaella 20 octobre 2009 13:31

    ....si tu ne m’aimes pas, je t’aime....si tu ne m’aimes paaaaasssss...je t’aime...

    Après quoi court véritablement Don Juan ?....
    L’amour.
    Mais en réalité, qu’est-ce que l’amour ?
    Ce n’est pas qqchose qui vient d’un homme ou d’un femme. C’est une énergie cosmique qui est répandue partout dans l’univers.
    On peut trouver l’amour dans la terre, l’eau, l’air, le soleil, les fleurs, les étoiles... dans les pierres, les plantes et les animaux. Et aussi chez les humains bien sûr, mais justement, pas uniquement chez eux.
    Et comment faire pour garder ce sentiment merveilleux ?
    Il faut comprendre qu’il ne réside pas dans la possession physique d’un être, mais dans qqchose de subtil qui, à travers lui ou elle, nous lie à tout l’univers. C’est un sentiment de l’ordre de la poésie. Il ne faut donc pas vouloir absolument supprimer la distance qui nous sépare d’un être que nous aimons, car peu à peu, on perd tout ce monde subtil et il ne reste que le côté prosaïque, matériel.
    Je pense que pour goûter le véritable amour, ns devons commencer par établir un lien avec le monde divin, car c’est lui qui donne le véritable goût aux choses. (entendons par divin, l’essence du Soi, de l’Etre.)
    L’amour est une qualité de la vie éternelle, c’est pourquoi on ne trouve l’amour définitivement que si on se relie à qqchose de plus grand, de plus fort, de plus beau que notre propre ego et que l’on opte pour une vie purifiée par la reconnexion à notre essence véritable.

    Amicalement ,
    « clin d’oeil » de votre coquine Amazone.



  • jack mandon jack mandon 20 octobre 2009 14:49

    @ Dora Rafaëla...les charmes de l’Orient,

    « L’amour est un oiseau rebelle
    Que nul ne peut apprivoiser.
    L’amour est enfant de bohème ;
    Il n’a jamais connu de loi.
    Si tu ne m’aimes pas, je t’aime,
    Si tu m’aimes, prend garde à toi ».

    Et oui, voilà le bon exemple de l’amour fusionnel, de l’amour humain en général.
    Tu m’embrouilles, je t’embrouille et l’on en crève !

    Un clin d’oeil à G. Bizet qui en fit un opéra « comique », il avait le sens de l’humour le coquin.

    Carmen, le parfait exemple du Don Juan enjuponné et encanaillé. (clin d’oeil à JL)

    Vous même Dora...si l’on n’y prenait pas garde, avec ce regard à damner l’érectile créature.

    Nous sommes responsable de nos émotions.

    Merci pour votre intervention aérienne.


  • jack mandon jack mandon 20 octobre 2009 14:55

    @ expression d’autrefois

    Echange bref et courtois entre deux robustes fermières lettrés

    « La marie, range tes poules, je sors mes coqs ! »


Réagir