jeudi 24 décembre 2009 - par
En ce temps-là ils s’avançaient, dévalant le pays des montagnes. Deux cavaliers singuliers et pittoresques, l’un chevauchait vertical, le chef dans le soleil, celui dont la tête à l’azur était voisine, l’autre s’arrondissait sur son âne, palpant du regard l’immédiat horizon terrestre.
Compagnons indissociables pour un destin partagé, jeu d’ombre et de lumière, indispensable complétude pour une longue et ardente destinée singulière,fantastique et rocambolesque.
Don Quichotte et Sancho, alter ego et vocation
En ce temps-là ils s’avançaient, dévalant le pays des montagnes. Deux cavaliers singuliers et pittoresques, l’un chevauchait vertical, le chef dans le soleil, celui dont la tête à l’azur était voisine, l’autre s’arrondissait sur son âne, palpant du regard l’immédiat horizon terrestre.
Compagnons indissociables pour un destin partagé, jeu d’ombre et de lumière, indispensable complétude pour une longue et ardente destinée singulière,fantastique et rocambolesque.
Que pourrions nous attendre de ces deux physionomies aux perspectives dissemblables et complémentaires ? Deux visions humaines, un concert d’idéalisme généreux et de bon sens réaliste.
Le premier, armé de pied en cap, chevalier médiéval, sec et infini, sur son cheval efflanqué, l’autre de bonne santé populaire, rebondi et bref sur son ânon enveloppant.
Ainsi le couple illustre démasqué, compagnons disparates et inséparables : don Quichotte et Sancho Pança. Ils vont ensemble depuis si longtemps, au trot, au galop, au pas, à travers les contrées et à travers le temps et les temps.
En quoi ce personnage, surgi d’un moyen âge enchanteur, ce bon diable à la triste mine, peut il nous éclairer sur la manière d’aborder les problèmes de notre temps ?
Le premier, armé de pied en cap, chevalier médiéval, sec et infini, sur son cheval efflanqué, l’autre de bonne santé populaire, rebondi et bref sur son ânon enveloppant.
Ainsi le couple illustre démasqué, compagnons disparates et inséparables : don Quichotte et Sancho Pança. Ils vont ensemble depuis si longtemps, au trot, au galop, au pas, à travers les contrées et à travers le temps et les temps.
En quoi ce personnage, surgi d’un moyen âge enchanteur, ce bon diable à la triste mine, peut il nous éclairer sur la manière d’aborder les problèmes de notre temps ?
Il me parait d’une exquise courtoisie, et sait en user à bon escient dans les meilleurs moments. C’est un homme de vocation, un chevalier errant qui a l’ardente conviction de représenter la plus haute fleur de noblesse dans l’univers connu de son temps.
Malheureusement, j’observe tout à coup qu’il est pris d’une logorrhée inextinguible , il s’enivre de sa propre parole. C’est un état d’exaltation qui s’empare de lui soudainement, fréquemment, d’une manière cyclique.
Son regard s’illumine étrangement et balaye un lointain horizon céleste.
La frimousse rassurante et l’allure bonhomme de Sancho Pança m’apparait, comme pour répondre à mon désarroi devant l’état de décompensation de son maitre. Il hausse les épaules en clignant des yeux pour me rassurer. Nous assistons ensemble à une scène, pour lui coutumière. Son maitre agité, en dialogue intérieur, allant et venant, entrainé dans une gesticulation éblouissante et théâtrale.
Il m’explique que son maitre n’est pas fou. C’est un illustre et vaillant chevalier mais la fulgurance de son imaginaire l’emporte parfois hors des sentiers fréquentés du bon sens.
Dans une savante complicité, il acquiesce d’un geste rond et apaisant une secrète communication. Par la vertu d’une saine parole il reçoit les propos étranges du cavalier.
Celui-ci maintenant égraine ses faits d’arme, dévoile ses exploits, projette ses délires utopiques.
Il brule d’accomplir un acte suprême. Il délivra jadis mainte dame retenue indument captive au sommet du donjon par un mauvais seigneur, à moins que ce ne fut par un diabolique ensorceleur.
La terre ne suffit plus à sa soif de mythiques dépassements. En franchissant le Styx il offrirait son aide romanesque à la princesse Perséphone, retenue captive au royaume des enfers par l’épouvantable Hadès...
Sancho le met en garde, tentant de le dissuader de braver la légende, qui affirme que l’on ne franchit pas deux fois le fleuve sombre et ténébreux. Don Quichotte s’obstine et proclame son ultime mission, pour un dernier exploit, il enfourche résolument Rossinante et la pousse de l’éperon droit devant lui.
Sancho, éternel témoin de ces fallacieux élans d’héroïsme, médite placidement sur les folies communes et les folies singulières... ces dernières sont discréditées aux regards du commun, lui ne fait pas la différence dans le secret de son bon sens naturel et de sa grande expérience de la vie.
Quelque fois cependant le doute l’assaille, quant au détour d’un chemin, son maitre, tel Bellerophon enlève et chevauche Pégase pour disparaitre, allégorique, dans un tourbillon de poussière avec sa Rossinante efflanquée. Son maitre évoque souvent son étourdissante vocation de chevalier errant et de redresseur de torts, c’est merveilleux et séduisant, mais à d’autres moments, dans son discernement rustique, Sancho s’interroge... où finit la vocation et où commence la folie.
Jadis, une certaine Jeanne " qui vint au monde à cheval, sous un chou qui était un chêne." Celle qui un jour, innocente bergère entendit des voix célestes. On parle à son sujet d’admirable et singulière vocation ; on évoque aussi la schizophrénie pour désigner le même état d’inspiration.
Si c’est folie que d’entendre des voix, alors toute vocation est folie. La société humaine demeure par l’entrainement que lui impriment les hommes de grande vocation.
Est-ce folie de croire en soi-même, mais de sentir aussi que l’autre nous prolonge ?
Ainsi il m’apparait que les deux compères de l’histoire, faisaient cause commune, dans les bons et les mauvais jours, ils pataugeaient, rivalisant d’empathie, dans les creux et les bosses, dans les joies et les peines avec ce lien d’amitié qui ne dit pas son nom, par pudeur et délicatesse.
Mais alors en quoi ces personnages hallucinants et fantasmagoriques me parlent-ils dans un temps ou les effets spéciaux prétendent occulter le miracle de la vie au quotidien ?
Par la symbolique de leur morphologie et de leur développement. Le maitre dans son extension verticale, dressé vers le soleil, boulimique de lumière et de feu. Le serviteur, pétri de matière et de sensation dans son expansion horizontale, prudent et besogneux.
Son regard s’illumine étrangement et balaye un lointain horizon céleste.
La frimousse rassurante et l’allure bonhomme de Sancho Pança m’apparait, comme pour répondre à mon désarroi devant l’état de décompensation de son maitre. Il hausse les épaules en clignant des yeux pour me rassurer. Nous assistons ensemble à une scène, pour lui coutumière. Son maitre agité, en dialogue intérieur, allant et venant, entrainé dans une gesticulation éblouissante et théâtrale.
Il m’explique que son maitre n’est pas fou. C’est un illustre et vaillant chevalier mais la fulgurance de son imaginaire l’emporte parfois hors des sentiers fréquentés du bon sens.
Dans une savante complicité, il acquiesce d’un geste rond et apaisant une secrète communication. Par la vertu d’une saine parole il reçoit les propos étranges du cavalier.
Celui-ci maintenant égraine ses faits d’arme, dévoile ses exploits, projette ses délires utopiques.
Il brule d’accomplir un acte suprême. Il délivra jadis mainte dame retenue indument captive au sommet du donjon par un mauvais seigneur, à moins que ce ne fut par un diabolique ensorceleur.
La terre ne suffit plus à sa soif de mythiques dépassements. En franchissant le Styx il offrirait son aide romanesque à la princesse Perséphone, retenue captive au royaume des enfers par l’épouvantable Hadès...
Sancho le met en garde, tentant de le dissuader de braver la légende, qui affirme que l’on ne franchit pas deux fois le fleuve sombre et ténébreux. Don Quichotte s’obstine et proclame son ultime mission, pour un dernier exploit, il enfourche résolument Rossinante et la pousse de l’éperon droit devant lui.
Sancho, éternel témoin de ces fallacieux élans d’héroïsme, médite placidement sur les folies communes et les folies singulières... ces dernières sont discréditées aux regards du commun, lui ne fait pas la différence dans le secret de son bon sens naturel et de sa grande expérience de la vie.
Quelque fois cependant le doute l’assaille, quant au détour d’un chemin, son maitre, tel Bellerophon enlève et chevauche Pégase pour disparaitre, allégorique, dans un tourbillon de poussière avec sa Rossinante efflanquée. Son maitre évoque souvent son étourdissante vocation de chevalier errant et de redresseur de torts, c’est merveilleux et séduisant, mais à d’autres moments, dans son discernement rustique, Sancho s’interroge... où finit la vocation et où commence la folie.
Jadis, une certaine Jeanne " qui vint au monde à cheval, sous un chou qui était un chêne." Celle qui un jour, innocente bergère entendit des voix célestes. On parle à son sujet d’admirable et singulière vocation ; on évoque aussi la schizophrénie pour désigner le même état d’inspiration.
Si c’est folie que d’entendre des voix, alors toute vocation est folie. La société humaine demeure par l’entrainement que lui impriment les hommes de grande vocation.
Est-ce folie de croire en soi-même, mais de sentir aussi que l’autre nous prolonge ?
Ainsi il m’apparait que les deux compères de l’histoire, faisaient cause commune, dans les bons et les mauvais jours, ils pataugeaient, rivalisant d’empathie, dans les creux et les bosses, dans les joies et les peines avec ce lien d’amitié qui ne dit pas son nom, par pudeur et délicatesse.
Mais alors en quoi ces personnages hallucinants et fantasmagoriques me parlent-ils dans un temps ou les effets spéciaux prétendent occulter le miracle de la vie au quotidien ?
Par la symbolique de leur morphologie et de leur développement. Le maitre dans son extension verticale, dressé vers le soleil, boulimique de lumière et de feu. Le serviteur, pétri de matière et de sensation dans son expansion horizontale, prudent et besogneux.
A l’intersection de ces deux mondes se construit l’homme dans l’harmonie et l’incomplétude.
Le maitre et le serviteur ne sont pas l’unique propriété du romanesque et créatif Cervantès. C’est l’expression symbiotique et dynamique de l’énergie psychique qui anime l’être humain dans son unicité, et l’humanité tout entière dans sa complexité.
↑ Miguel de Cervantes (trad. Louis Viardot, préface de Louis Urrutia), L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, vol. tome 1, Garnier-Flammarion, coll.
Le maitre et le serviteur ne sont pas l’unique propriété du romanesque et créatif Cervantès. C’est l’expression symbiotique et dynamique de l’énergie psychique qui anime l’être humain dans son unicité, et l’humanité tout entière dans sa complexité.
↑ Miguel de Cervantes (trad. Louis Viardot, préface de Louis Urrutia), L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, vol. tome 1, Garnier-Flammarion, coll.