samedi 6 juillet 2013 - par Bernard Dugué

Du rock planant venu du Brésil : Violeta de Outono et C.O.I.T.

Cette fois, nous quittons l’Italie, la Scandinavie et autres pays de la planète progressive pour découvrir ce qui se fait en Amérique du Sud et plus précisément au Brésil, pays coloré où la musique est comme une seconde nature. On connaît la samba et les incantations jazzy de Gilberto Gil spécialement adaptées pour une fin de soirée où, avachi sur un canapé, l’on se sert un dernier scotch pour oublier les odeurs de clope froide. On connaît moins la scène rock très présente dont seul, quelques représentants versant dans le métal ont connu une carrière internationale à l’instar d’Angra ou Sepultura. Le Brésil, c’est comme bien des pays à l’économie avancée un lieu où se produisent des milliers de formations sévissant dans les différents genres de la rock music et bien évidemment, la scène progressive est riche de quelques représentants dignes d’intérêt comme « Violeta de Outono », formation née dans les années 1980 à l’initiative du guitariste Fabio Golfetti. Les débuts furent très confidentiels, le groupe se produisant dans les lieux underground de Sao Paulo à l’époque où la scène était squattée par la new wave. Après avoir ramé des années non sans conserver le rêve musical, « Violeta de Outono » est passé à une étape plus « professionnelle » avec deux albums parus dans les années 2000 et le dernier en date disponible dans les bacs fin 2012.

« Espectro » propose une dizaine de morceaux exécutés dans un style planant et psyché pop alors que l’impression d’ensemble nous place plus particulièrement dans un plan mid seventies, avec des références au Floyd post-Dark side mais aussi Camel, Steve Hillage et Gong. La musique est très colorée, reflétant bien l’esprit brésilien, à la fois chaud et sensuel tout autant que mystique et énigmatique. Mais le registre est bien européen. Une musique distillée avec des instruments qui successivement, peignent une atmosphère légère et généreuse en colorations avec des touches précises au son très travaillé avec comme ossature un dialogue permanent entre claviers et guitares. La production signée Golfetti est très soignée et équilibrée. Les parties de clavier exécutées avec le légendaire Hammond, ajoutées aux glissandos de synthé, ne font que renforcer ce style vintage qui nous propulse quarante ans en arrière, quand les babas chevelus vêtus de tuniques indiennes rêvaient d’un monde radieux en revenant parfois des Indes. Les parties vocales en portugais ajoutent un côté exotique à ces petites pièces musicales qui chatouillent agréablement nos tympans. Aucune agressivité ni démonstration technique. C’est reposant, subtil et résolument optimiste. De quoi oublier le nouveau désordre mondial.

A noter l’éclectisme des morceaux. Chacun doté d’un certain style avec pour les connaisseurs des influences assez évidentes. Prenez le premier par exemple. La mélodie plaquée sur orgue Hammond et sonorités orientalisantes de guitare rappelle le Floyd psyché du temps de Barret. Ensuite, le paysage sonore est reconstruit avec une guitare ascendante à la Gilmour qui transperce les hauts-parleurs. Pour faire place ensuite à des facéties exécutées à l’orgue, légères et jazzy dans un style Canterbury et donc très seventies. Le morceau suivant s’écarte légèrement du premier mais toujours dans un style incitant à la rêverie et résolument vintage. Dans le quatrième morceau, le jeu de guitare sonne plus près de la Californie, entre le Dead et le krautrock allemand. Ensuite, le tempo s’accélère pour deux ou trois compositions un peu plus heavy avec d’autres influences et notamment des glissandos à la Gong. Verdict, un album tout à fait recommandé aux amateurs de rêveries entre Floyd et Canterbury.

Line-up / Musicians
- Fabio Golfetti / vocals and guitars
- Gabriel Costa / bass and backing vocals (3)
- Fernando Cardoso / Hammond organ, piano & synth
- José Luiz Dinóla / drums and backing vocals (7)

Guest musicians :
- Gabriel Golfetti / ocarina (3)
- Fred Barley / drums (10)


Fabio Golfetti est également impliqué dans un autre projet musical plus aventureux puisqu’il s’inscrit dans un registre rock planant, free et expérimental au sein un trio au nom énigmatique de « Invisible opera company of Tibet » (C.O.I.T.). En fait, la compagnie invisible du Tibet est une idée originale de Lord David Allen que j’ai anobli du coup car il a autant contribué au rayonnement de la Couronne britannique que Lords Jagger et MacCartney. Allen est le grand prêtre des adorateurs de la planète Gong et le fondateur facétieux de cette compagnie qui, née au début des seventies, avait comme seul motif de fédérer des expériences musicales se plaçant sous la double égide du rock occidental expérimental et de la spiritualité orientale dont l’objectif est d’ouvrir les consciences. Bref, du new age esthétique qui ne se prend pas au sérieux mais dont les musiciens jouent avec un grand professionnalisme.

Aux côtés de Gabriel Costa à la basse et Fred Barley aux percussions, Fabio Golfetti sévit avec une guitare très free dans cette formation qui débuta il y a deux décennies sous la forme d’un quintet. Quand les musiciens sont doués, ils peuvent se contenter de jouer à trois et c’est le cas avec ce CD intitulé UFO planante proposant 70 minutes de musiques avec trois longs morceaux de 27, 10 et 12 minutes et à la fin une reprise de ce qui pour moi est le meilleur morceau de Soft Machine, le fameux « Moon in june » composé par Robert Wyatt pour le troisième album (double) de cette légendaire formation. L’écoute du premier morceau ne déçoit pas. Le groupe joue comme un trio, c’est-à-dire avec batteur qui n’hésite pas à placer roulements et autres fioritures ce qui en fait un instrumentiste à part entière et non pas un métronome comme on en trouve souvent dans le rock basique. Une première écoute et l’on situe parfaitement cette musique assez proche du krautrock allemand des early seventies. Une référence évidente, celle de Guru Guru. Le jeu de Barley à la batterie évoque inévitablement celui de Neumeier. Et la guitare, free, planante, exécute une multitude de séquences avec des sonorités travaillées et un jeu très space. Un CD lui aussi très optimiste, comme peut l’être la population brésilienne bien plus sereine et joyeuse que notre triste France. Certes il y a eu une insurrection mais c’est peut-être parce que ces gens sont optimistes, pas comme nous autres Français.

Mais revenons à la musique et à ce CD excellemment produit avec un son nickel, les instruments se détachant parfaitement. Le début du CD donne l’impression d’écouter par un soir ensoleillé pendant un été seventies des effusions planantes qu’on pourrait confondre avec du Ash Ra Tempel, groupe avec lequel la compagnie du Tibet présente également beaucoup d’affinités. Les guitares se superposent, l’une devenant stridente et saturée, la batterie se déchaîne et c’est parti comme ça tout le long de ce CD étonnant avec ses fausses impros hypnotisantes, et qui devrait être apprécié par les amateurs de krautrock ainsi que de la planète Gong. C’est chaud, raffiné, parfois explosif à la « careful Eugen et son axe », et très free. On se sent libre et heureux. Même pas besoin de fumer la moquette.

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COIT
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