samedi 19 décembre 2015 - par Sylvain Rakotoarison

Édith Piaf, emblème de l’esprit français réconcilié ?

« Sous le ciel de Paris,
Coule un fleuve joyeux

Il endort dans la nuit
Les clochard et les gueux.
Sous le ciel de Paris,
Les oiseaux du Bon Dieu
Viennent du monde entier
Pour bavarder entre eux. »
("Sous le ciel de Paris", 1954).



Dépassant très largement les limites de l’Hexagone, Édith Piaf est fêtée ce samedi 19 décembre 2015 parce que c’est le centenaire de sa naissance. Elle est morte il y a plus de cinquante ans, le 10 octobre 1963, à seulement 47 ans, usée par sa santé fragile et son mode de vie, quelques heures avant l’un de ses grands amis Jean Cocteau.

La société actuelle, beaucoup libérale sur les mœurs amoureuses et les recompositions familiales, ferme maintenant heureusement plus volontiers les yeux qu’à son époque sur les amours étalées de la chanteuse nationale. Des parents artistes, une grand-mère d’Essaouira dresseuse de puces et portée sur l’alcool, l’autre grand-mère patronne d’une maison close, et une fille née en 1932 et morte à 18 mois d’une méningite dont l’enterrement aurait été payé avec l’argent d’une passe.

Édith Piaf aurait reçu ses premiers applaudissements dans la rue, après avoir chanté …"La Marseillaise", la seule chanson qu’elle connaissait, pour détourner le mécontentement de certains spectateurs après un numéro de contorsionniste de son père. On imagine aujourd’hui l’image symbole de l’hymne national chanté par l’égérie de l’amour. Elle n’a pourtant rien d’une Jeanne d’Arc, rien d’une héroïne parfaite et sans tache.

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Elle avait chanté son amour pour Paris dans "Paris", des paroles qu’il est bon de relire ou réécouter après les attentats du 7 janvier 2015 et ceux du 13 novembre 2015 :

« Avec Paris, c’est si facile.
Pour moi, Paris, c’est les beaux jours,
Les airs légers, graves ou tendres.
Pour moi, Paris, c’est mes amours,
Et mon cœur ne peut se reprendre.
Paris, tu es ma gaieté, Paris.
Tu es ma douceur aussi.
Tu es toute ma tendresse.
Paris, tes gamins, tes artisans,
Tes camelots et tes agents,
Et tes matins de printemps.


Paris, l’odeur de ton pavé d’oies,
De tes marronniers, du bois.
Je pense à toi sans cesse.
Paris, je m’ennuie de toi, mon vieux.
On se retrouvera tous les deux,
Mon grand Paris. »
("Paris", 1949).

Symbole de la gouaille française, mais aussi du génie français, du romantisme français, de l’émotion française, Édith Piaf est encore très souvent écoutée dans monde, par exemple, en Russie. Elle a inspiré de nombreux artistes (on parle souvent de Patricia Kaas mais elle avait aussi "lancé" Charles Aznavour et quelques autres artistes).

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Qui n’a pas ressenti beaucoup d’émotion à l’écoute de sa voix si vibrante venant du plus profond de ses tripes ? Jean Cocteau la décrivait ainsi : « Et voilà qu’une voix qui sort des entrailles, une voix qui l’habite des pieds à la tête, déroule une haute vague de velours noir. ». Elle avait conquis le cœur de tous les amoureux, des amoureux transis, des amoureux perdus. Son nom de scène, Piaf, provenait de la chanson de Fréhel, "Comme un moineau", qu’elle avait chantonnée bien avant de l’avoir entendue réellement.

Ce qui est assez intéressant, c’est qu’Édith Piaf réunit dans sa légende autant de les classes aisées que les classes dites populaires. Elle est fédératrice d’un sentiment national qui peine à s’affirmer pleinement indépendamment des malheurs que la nation subit, comme dernièrement les attentats qui ont poussé de nombreux Français à recolorer leur imaginaire national en bleu blanc rouge (la précédente "coloration" tricolore avait eu lieu lors de la victoire de la coupe du monde de football le 12 juillet 1998).

Même les titres de des chansons d’Édith Piaf pourraient encore réunir toute la classe politique française à son centenaire, dans une sorte de concert consensuel dans un théâtre des grands boulevard.

Ainsi, je verrais bien "La vie en rose" (1946) chanté par François Hollande qui chanterait aussi "N’y va pas Manuel" (1953) après avoir repris des textes de Charles Trenet ; "Mon manège à moi" (1958) chanté par Nicolas Sarkozy ; "Non, je ne regrette rien" (1960) chanté par Marine Le Pen, à propos de la diffusion le 16 décembre 2015 d’images atroces de la propagande de Daech, passible d’une peine sévère (l'article 222-33-3 du code pénal punit la diffusion d'images qui représentent des scènes de torture ou de meurtre d'une peine jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende) ; "Padam… padam" (1951) chanté par Manuel Valls (avec une légère adaptation : "Padamalgam… padamalgam") qui chanterait aussi "Fais-moi valser" (1935) ; "Y’en a un de trop" (1939) chanté par Alain Juppé ; "Eden blues" (1958) chanté par François Bayrou ; "Au bal de la chance" (1952) chanté par François Fillon ; "C’est un monsieur très distingué" (1941) chanté par Bruno Le Maire ; "Mon légionnaire" (1936) chanté par Jean-Yves Le Drian ; "L’accordéoniste" (1940) chanté par Valéry Giscard d’Estaing ; "Les trois cloches" (1946) chanté en chœur par Cécile Duflot, Ségolène Royal et Martine Aubry ; "La p’tite Lili" (1951) chanté par Nathalie Kosciusko-Morizet ; "L’homme à la moto" (1956) chanté par Christian Estrosi ; "Sous le ciel de Paris" (1954) chanté par Valérie Pécresse ; "Hymne à l’amour" (1950) chanté par Marion Maréchal-Le Pen, semble-t-il victime d’un canular sur Internet qui proposait aux fans de la jeune députée du Vaucluse de dessiner un petit cœur sur son bulletin de vote (ce qui équivalait à un vote nul) ; "Rien de rien" (1951) chanté par Laurent Wauquiez ; "On danse sur ma chanson" (1940) chanté par Xavier Bertrand ; "Les amants d’un jour" (1956) chanté en duo par Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent ; "Le contrebandier" (1936) chanté par Bernard Tapie ; "Le disque usé" (1945) chanté par Jean-François Copé ; "Cousu de fil blanc" (1948) chanté par Najat Vallaud-Belkacem ; "Dany" (1949) chanté par Daniel Cohn-Bendit ; "Les deux copains" (1939) chanté par Jean-Vincent Placé et François de Rugy ; "Sœur Anne" (1953) chanté par Anne Hidalgo ; et enfin, pour terminer en beauté, pour ne pas dire avec une beauté, "Embrasse-moi" (1940) chanté par Dominique Strauss-Kahn.

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« Comme quoi, l’existence,
Ca vous donne toutes les chances,

Pour les reprendre après… »
("Milord", 1959).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (19 décembre 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
"Moineau mythique", article de Véronique Mortaigne paru dans "Le Monde" du 10 octobre 2003.
Je reste avec vous : môme et morphine.
Jean Cocteau.
Édith Piaf.
Charles Trenet.
Roland Barthes.
Karl Popper.
André Glucksmann.
Jean d’Ormesson.

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