lundi 23 février 2015 - par Emin Bernar

En souvenirs de Roland Barthes

Cette année marque le centenaire de Roland Barthes (1915-1980), écrivain, critique, sémiologue, mondialement reconnu, ennemi déclaré de l'idéologie petite bourgeoise bien de chez nous !

JPEG Ma première lecture d’un livre de Barthes fut en 1965 celle des « Essais critiques » publiés aux éditions du Seuil, un livre que ma tante avait acheté. Ce fut une révélation pour moi qui n’étais jusqu’alors qu’un lecteur assidu de John Steinbeck ! Barthes devînt pendant une dizaine d’années le guide de mes lectures en littérature et sciences humaines...

L’avant-propos était consacré à la Recherche du temps perdu de Marcel Proust. Une lecture inoubliable ! Les Essais critiques portaient sur les écrivains qui passionnaient Barthes, comme Alain Robbe Grillet, Bertolt Brecht… J’ai gardé dans ma mémoire cette phrase : « On écrit pour être aimé, on est lu sans pouvoir l’être. C’est cette distance qui constitue l’écrivain. » Il y avait également la comparaison entre Orphée et l’écrivain. Egalement ce titre « Le dernier des écrivains heureux » à propos de Voltaire ! En 1966 parut un essai plus court, « Critique et vérité », où Barthes guerroyait seul contre les critiques traditionnalistes, nombreux !

Il y eut aussi ce numéro de la revue Communications consacré à la sémiologie où Barthes avait écrit un article qui évoquait une publicité des pâtes Panzani : le signifiant (les couleurs) et le signifié (l’Italie) ; une époque où la publicité n’était pas ce qu’elle est devenue : insignifiante !

Plus tard, S/Z, un essai à partir d’une nouvelle méconnue de Balzac : Sarrasine et du mythe de Pygmalion ! et un livre d’art sur le Japon : l’Empire des signes. Parmi d’autres essais critiques, celui sur le livre de Pierre Loti « Aziyade ». 

Et bien sûr « Mythologies », critique fondamentale des mythes de la petite bourgeoisie, que je découvris bien des années après sa publication : il contenait un article sur Poujade père du populisme actuel ; un autre qui éreintait l’Abbé Pierre, ce qui ne plairait pas à nos post-modernes d’aujourd’hui ! Un autre article consacré à Minou Drouet , enfant-poète de l’époque ! Et bien sûr l’article sur la DS Citroen ! L’article, élogieux finalement, sur le "Tour de France comme épopée" reste mon favori !

Je me souviens aussi des lieux barthésiens : le siège du Centre d’Etudes des Communications de Masse (CECMAS), rue de Tournon ; cette salle de l’avenue Rapp où se tenaient les conférences de Barthes pour l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, où je suis allé souvent, où de nombreux étudiants et étudiantes entouraient Barthes ! Parmi lesquels sans doute Antoine Compagnon son plus illustre disciple. Une année où ses conférences portaient sur l’ « endoxa », son ennemi de toujours ! Et son appartement dans une petite rue proche de Saint-Michel, d’où il parlait lors d’une émission de France Culture qui lui était consacrée ! Et son bureau où je suis allé pour parler de mon sujet de thèse à propos du discours des médias sur l’économie que j’ai soutenue en 1974 sous la direction d’Hubert Brochier.

Je fus choqué d’apprendre la nouvelle de son décès accidentel en 1980 : je lis aujourd’hui que l’accident où il fut renversé par une voiture s’est produit le jour d’un repas auquel il était invité par Mitterrand et Jack Lang et qu’il avait quitté de son propre chef, prématurément : décidément Barthes n’aurait pas été du genre à adhérer à l’Automobile Club ni à la doxa sociale-libérale de nos jours !

Mon dernier souvenir est cette surprise de découvrir, vingt ans après, dans une petite boutique en bas de notre appartement familial sur la petite rue Otello Kamil à Gayrettepe , un quartier d’Istanbul, une revue littéraire turque dont Barthes faisait la couverture, avec une phrase de lui sur sa mère… Barthes est un intellectuel mondialement reconnu, n’en déplaise à ses nombreux contempteurs de l'« endoxa » française !



12 réactions


  • eric 23 février 2015 10:26

    Un petit bourgeois typique. Pas tellement parce qu’il grandi et étudié dans les lycées des beaux quartiers, mais plus parce que fonctionnaire toute sa vie, il a du aussi aussi la passer à ne pas comprendre grand chose aux autres populations faute, sans doute de les connaitre, de les fréquenter.

    Il est clair q’un type qui passe dans les médias, qui publie, qui fait des voyages à l’étranger en intellectuelle compagnie, et sans doute en général aux frais de la princesse, qui doit toucher en plus de son salaire, quelques droits, piges, etc...ne peut pas être un prolétaire, non plus qu’un grand bourgeois utlralibéral mondialisé richissime...

    Je n’ai pas lu son truc sur Poujade, mais imaginer le B.O.F Poujadiste, dominant idéologiquement et financièrement la société....Il devait avoir une femme de ménage qui faisait ses courses à sa place...

    L’hypothèse la plus plausible ? Il devait être comme les bolcheviques historiques. Tous enfants de la petite bourgeoisie industrieuse, artisanale et commerçante, ayant eu les moyens de payer des études à leurs gosses sous le tsarisme. Cela seul peut expliquer une vison du monde ou on croit savoir en arrière plan que « les grands bourgeois capitalistes sont coupable de toute la négativité du monde ».
    Mais ou on passe sa vie à dénoncer, a persécuter, voir à éradiquer ( dans le cas russe) essentiellement, les « petits bourgeois », c’est à dire ses propres parents....


    • bakerstreet bakerstreet 23 février 2015 12:32
      Eric

      C’est à se demander si vous avez lu le livre en question. 

      S’il suffisait d’être né dans les mauvais quartiers et d’être vendeur de shit à son compte pour être un bon écrivain, y aurait lieu de ne pas désespérer. On aurait des génies partout. 

      On sent le contentieux à régler avec la classe dite bourgeoise et ce qui s’y apparente . Barthes préférait peut être la 2ch citroen à la DS des notaires, voiture bourgeoise, mais il a préféré démonter le sens de celle ci plutot que celle là, et éplucher les sens. 

      « Il a du », dites vous, « il devait ».....

      Voilà le genre de matériel d’interprétation gratuite, et de bonnes œillères de chevaux, sur lequel Barthes aurait rebondi pour faire sens et vous tailler avec humour un petit costard. 

      Ce type était non seulement un psychanalyste de la société, expurgeant des sens et des signifiants là où les autres ne voyaient rien d’autres que des trucs et des machins à la mode, mais avec beaucoup d’humour, il a su voir dans la société française se qui faisait sens et valeur.

       Un exercice d’anthropologie sur le tour de France, Brigitte bardot, tout ce qui passait à sa portée, il le rendait visible et comique en un petit billet mordant et incisif. On oublie combien les humoristes ont pu piquer à cet esprit caustique. 

      On le relie toujours avec bonheur.
      Que nous dit-il ? 
      Que la vie est finalement un régal, un livre ouvert dans lequel on peut voir les choses au premier, et ensuite dans une multitude de nuances et d’interprétation. Que tout fait sens : L’actualité l’histoire, le ressenti de l’époque. 

      Si vous êtes curieux de tout, vous aimerez forcément Barthès, un esprit ouvert, supérieur, mais qui ne le faisait sentir en rien. 
      Il était resté sur le plan affectif un peu infirme, très attaché à sa mère. 
      Et finalement très humain, avec nos imperfections, qu font que même les géants, bien loin de vouloir tuer leurs parents, peuvent avoir peur du noir, et envie d’un bisous le soir.. 

  • cathy30 cathy30 23 février 2015 10:36

    Les bourgeois ont été les premiers à passer à la guillotine. On se demande bien pourquoi.


    • bakerstreet bakerstreet 23 février 2015 22:32

      @cathy30

      En tout cas ils restaient polis
      « Encore deux minutes, s’il vous plait, monsieur le bourreau ! »
      ( la marquise de Brinvillier
      La guillotine, on l’a inventé à des fins humanitaires, un progrès à l’époque où l’on aimait torturer pour la plaisir"

      Tout le contraire de daesh, qui est revenu à l’artisanal, au couteau. 
      Qu’est ce que Barthes aurait pensé de ça ?


  • Emin Bernar Emin Bernar Paşa 23 février 2015 13:44

    A noter sur votre agenda : la BNF organise une exposition sur les « écritures de Roland Barthes » de mai à juillet ! 


    • bakerstreet bakerstreet 23 février 2015 16:52

      @Emin Bernar Paşa

      Umberto Ecco fut un des successeurs les plus abouti de la pensée de Barthes. 
      J’aime aussi beaucoup Michel Serres pour son esprit d’analyse qui s’attache lui aussi à la vie moderne, et dépoussière la philosophie.

    • Emin Bernar Emin Bernar Paşa 23 février 2015 17:13

      @bakerstreet
      le successeur authentique de Barthes est certainement Antoine Compagnon qui est professeur au Collège de France comme Barthes l’était à la fin des années 70 (C’est Giscard qui l’avait nommé !).

      Antoine Compagnon a d’ailleurs donné un cours sur l’année 1966 où il parlait notamment de Barthes. A lire sur le site du Collège de France (résumés annuels)


  • Francis, agnotologue JL 23 février 2015 18:24

    ’’Poujade père du populisme actuel’

    Si pour vous, le populisme aujourd’hui c’est la rhétorique du FN, alors vous pouvez faire comme si je n’étais pas là.


  • kalachnikov lermontov 23 février 2015 21:32

    Bon, je vais décerner le degré zéro du commentaire. A qui la palme ?

    Eric, peut-être, et son syndrome de la lutte des classes reactulisée ? Le fonctionnaire feignasse, le gauchiste bon à rien et gna gna gna.

    Gros macho qui a au moins l’honnêteté sinon la candeur d’annoncer la couleur avec son super pseudo. Et l’avatar qui va bien avec, tout dans le grossiose, décidément. Continue à creuser, mon pote, il y a peut-être du pétrole au fond.

    Cathy30 : même secte que le premier concurrent mais tout en fulgurance.

    Bon, je parlerais du Bartok un autre jour.

    [au fait, ’grossiose’ : comme grandiose mais en ’gros’. Je te laisse imaginer.]


  • Emin Bernar Emin Bernar Paşa 24 février 2015 17:59

    les contributions de Barthes à la Revue Communications sont consultables à l’adresse suivante :


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