En souvenirs de Roland Barthes
Cette année marque le centenaire de Roland Barthes (1915-1980), écrivain, critique, sémiologue, mondialement reconnu, ennemi déclaré de l'idéologie petite bourgeoise bien de chez nous !
Ma première lecture d’un livre de Barthes fut en 1965 celle des « Essais critiques » publiés aux éditions du Seuil, un livre que ma tante avait acheté. Ce fut une révélation pour moi qui n’étais jusqu’alors qu’un lecteur assidu de John Steinbeck ! Barthes devînt pendant une dizaine d’années le guide de mes lectures en littérature et sciences humaines...
L’avant-propos était consacré à la Recherche du temps perdu de Marcel Proust. Une lecture inoubliable ! Les Essais critiques portaient sur les écrivains qui passionnaient Barthes, comme Alain Robbe Grillet, Bertolt Brecht… J’ai gardé dans ma mémoire cette phrase : « On écrit pour être aimé, on est lu sans pouvoir l’être. C’est cette distance qui constitue l’écrivain. » Il y avait également la comparaison entre Orphée et l’écrivain. Egalement ce titre « Le dernier des écrivains heureux » à propos de Voltaire ! En 1966 parut un essai plus court, « Critique et vérité », où Barthes guerroyait seul contre les critiques traditionnalistes, nombreux !
Il y eut aussi ce numéro de la revue Communications consacré à la sémiologie où Barthes avait écrit un article qui évoquait une publicité des pâtes Panzani : le signifiant (les couleurs) et le signifié (l’Italie) ; une époque où la publicité n’était pas ce qu’elle est devenue : insignifiante !
Plus tard, S/Z, un essai à partir d’une nouvelle méconnue de Balzac : Sarrasine et du mythe de Pygmalion ! et un livre d’art sur le Japon : l’Empire des signes. Parmi d’autres essais critiques, celui sur le livre de Pierre Loti « Aziyade ».
Et bien sûr « Mythologies », critique fondamentale des mythes de la petite bourgeoisie, que je découvris bien des années après sa publication : il contenait un article sur Poujade père du populisme actuel ; un autre qui éreintait l’Abbé Pierre, ce qui ne plairait pas à nos post-modernes d’aujourd’hui ! Un autre article consacré à Minou Drouet , enfant-poète de l’époque ! Et bien sûr l’article sur la DS Citroen ! L’article, élogieux finalement, sur le "Tour de France comme épopée" reste mon favori !
Je me souviens aussi des lieux barthésiens : le siège du Centre d’Etudes des Communications de Masse (CECMAS), rue de Tournon ; cette salle de l’avenue Rapp où se tenaient les conférences de Barthes pour l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, où je suis allé souvent, où de nombreux étudiants et étudiantes entouraient Barthes ! Parmi lesquels sans doute Antoine Compagnon son plus illustre disciple. Une année où ses conférences portaient sur l’ « endoxa », son ennemi de toujours ! Et son appartement dans une petite rue proche de Saint-Michel, d’où il parlait lors d’une émission de France Culture qui lui était consacrée ! Et son bureau où je suis allé pour parler de mon sujet de thèse à propos du discours des médias sur l’économie que j’ai soutenue en 1974 sous la direction d’Hubert Brochier.
Je fus choqué d’apprendre la nouvelle de son décès accidentel en 1980 : je lis aujourd’hui que l’accident où il fut renversé par une voiture s’est produit le jour d’un repas auquel il était invité par Mitterrand et Jack Lang et qu’il avait quitté de son propre chef, prématurément : décidément Barthes n’aurait pas été du genre à adhérer à l’Automobile Club ni à la doxa sociale-libérale de nos jours !
Mon dernier souvenir est cette surprise de découvrir, vingt ans après, dans une petite boutique en bas de notre appartement familial sur la petite rue Otello Kamil à Gayrettepe , un quartier d’Istanbul, une revue littéraire turque dont Barthes faisait la couverture, avec une phrase de lui sur sa mère… Barthes est un intellectuel mondialement reconnu, n’en déplaise à ses nombreux contempteurs de l'« endoxa » française !