Entre Loire et Loiret : 5 & fin
Carnet de bord et de doute
La der des ders
Toutes les histoires, fussent-elles belles et enthousiasmantes, ont une fin. Alain Tissier tirait sa révérence avec cette ultime représentation. Est-ce pour lui signifier le plaisir qu’ils avaient tous eu à partager cette belle aventure que les figurants firent assaut d’inventivité ? Je ne sais, mais toujours est-il, que du haut de mon perchoir, je souriais sous cape (le terme est juste tant il faisait un froid glacial) de voir à chaque scène de légères modifications, des libertés que s’octroyaient les figurants pour ajouter encore à la qualité du spectacle.
Il est bon de revenir sur les conditions de cette dernière séance. La pluie avait renoncé à nous contrarier en laissant la place à un vent glacial et à une température digne d’un mois de novembre. Le nombre de spectateurs en fut certainement réduit de ce fait. Ce dimanche soir, la chambrée n’était qu’à demi capacité, mais quelle volonté de répondre présents pour ceux qui affrontèrent les frimas !
Tout se déroula à merveille comme si chacun avait pris ses marques après de longues semaines d’une tournée triomphale. C’est dire que les gens se sentent rapidement à leur aise en pareilles circonstances. Il n’est que la lumière qui manquait de réactivité à moins qu’elle ne fut contrariée par l’humidité ambiante. Sur l’eau, les bateaux se lançaient désormais dans une belle pavane, une danse lente et harmonieuse qui enchantait le public. Décidément, quel beau décor que ces mariniers à distance dans la brume et la pénombre, caressés par quelques lumières rasantes. Un tableau à la Turner en somme.
Rien à dire de cette ultime séance. Tout s’y déroula comme sur de roulettes pour conduire à ce clap de Fin que chacun semblait redouter. Alain Tissier avait décrété la fin de son parcours de titan, de sa débauche d’énergie et de folie pour mener à terme des aventures insensées. Paradoxalement sa der des ders ne fut pas son spectacle sur la Grande guerre mais cette plongée magnifique dans l’histoire de la Loire et du Loiret. Il voulait léguer un message aux générations futures, leur passer le témoin en quelque sorte.
Je ne peux douter que quelqu’un reprenne alors le flambeau. Les équipes sont prêtes, formées, compétentes et motivées. Il ne reste plus qu’à trouver un guide ou, ce serait sans doute plus raisonnable, une équipe pour continuer l’œuvre de leur ami. Le final fut dans ce contexte chargé d’émotions, sans doute de larmes et d’un immense pincement au cœur.
Une vidéo hommage avait été préparée dans le plus grand secret, des témoignages d’anciens, des pionniers qui, il y a 33 ans, avaient suivi ce doux rêveur. Que d’éloges certes avec en toile de fond, l’admiration pour son inflexible volonté à obtenir l’impossible en renversant montageset obstacles. Puis un nouveau bouquet pyrotechnique salua le metteur en rêve.
Alain Tissier sombrait alors dans une vague d’émotion qui lui fit perdre pied tandis que les deux cent soixante bénévoles, les spectateurs et tous les techniciens lui faisaient une ovation. Il se releva et chacun espérait secrètement que ce fut pour repartir une fois encore ou bien guider à distance la prochaine épopée. Il ne peut abandonner ainsi tous ceux qui l’ont tant aimé !
Je regardais à distance tout cela moi qui n’était qu’un néophyte dans l’histoire. Alain m’avait écouté conter et l’idée folle lui prit de me glisser dans son dernier programme, me laissant carte blanche pour dix minutes en équilibre sur le fil de mon inspiration. Je le remercie encore d’avoir osé ce que je n’imaginais même pas il y a quelques jours encore. Cet homme est un visionnaire à n’en point douter. Merci à lui et longue vie à son association.
Reconnaissancement sien.