Entretien avec Daniel Habrekorn
Daniel Habrekorn a publié une quinzaine de recueils de poèmes. Semeur de la bonne parole, il distribue les dépliants de ses ouvrages dans les cercles littéraires. Dandy baudelairien de la vie parisienne ou vrai militant de la cause poétique, qui est Daniel Habrekorn ?
Partons à la rencontre de l'esprité poète à travers sept questions. Secrètes, discrètes et indiscrètes. - Celles qu'un poète pose à un autre poète.
- « Militant de la cause poétique ». L'expression est-elle idoine à vous décrire ?
Pourquoi pas, cependant, comme vous le savez, la meilleure façon de défendre la « cause poétique » est d’être poète, de vivre la poésie. Quant à moi je n’ai pas écrit que des recueils de poèmes, mais des livres d’humour comme le Petit dictionnaire de l’hypocrisie, Mes biographies, Les splendeurs du progrès, ou encore Flore & bestiaire imaginaires. Dans tous les cas j’ai cherché à m’approcher de ce que j’appellerais l’humour lyrique qui n’a pas grand-chose à voir avec le comique ou la rigolade… C’est sans doute ce qu’André Breton essaya de circonscrire par son Anthologie de l’humour noir et qui fut à la fois d’une acception trop étroite et d’une illustration beaucoup trop large.
- La silhouette de Léon Bloy apparaît sur le dépliant que vous semer ça et là dans les salons littéraires. Pourquoi promouvoir cet auteur-ci plutôt qu'un autre ?
Connu de nom pour sa réputation de polémiste et fort peu lu en son royaume, je considère Léon Bloy comme l’un des plus grands stylistes de notre littérature. D’un humour féroce et prodigieux, d’un jusqu’auboutisme vertigineux, grâce à son exagération, ses abruptes comparaisons, ses somptueuses métaphores, ses fulgurants aphorismes, il est pour moi le plus grand portraitiste du XIX° siècle et un considérable poète, encore très mal évalué sous cet angle. C’est pourquoi, l’ayant intégralement lu, j’ai publié une édition critique du Pal, sa correspondance avec Villiers et Huysmans, et un essai Du style de Léon Bloy (DMM) qui comporte un glossaire des mots rares de son richissime vocabulaire.
- Léon Bloy est notamment connu pour son anti-germanisme. Quelle relation personnelle entretenez-vous avec le monde germanique en général ? Et l'Alsace en particulier ?
On peut en effet parler d’anti-germanisme de Léon Bloy dans Sueur de Sang. Il s’agit d’une série de nouvelles, fictions qui s’appuient sur ses souvenirs du franc-tireur qu’il fut lors de la guerre de 1870. Je parlerai plutôt de détestation du Prussien que d’anti-germanisme. Partant, il ne faut pas faire d’anachronisme, cette guerre, pour ceux qui la vécurent ou qui la subirent fut particulièrement cruelle et humiliante. Dans une France, alors occupée, qui allait connaître le siège de sa capitale, suivi d’une guerre civile, est née l’expression très commune « sale Boche ».
Personnellement je considère la civilisation germanique comme très importante. Un peuple qui nous a offert Goethe, Schiller, Novalis, Hölderlin, Büchner, Trakl… sans parler des philosophes et surtout des musiciens, devrait passer outre la culpabilité qu’on lui a imposée après la dernière guerre mondiale, et particulièrement pour les générations qui ne l’ont pas connue. Hélas, avec une dénatalité pire que celle de la France, ce peuple risque fort de disparaître ! Quant à mes relations avec l’Alsace, elles sont d’abord génétiques puisque la famille de mon grand-père paternel était originaire du Bas-Rhin, où plusieurs de ses ancêtres reposent.
- Selon un vieil adage, un poète se découvre poète à travers deux rencontres : La muse et le mentor. Qu'en est-il de Daniel Habrekorn ?
S’agit-il d’Érato qui, à travers Polymnie, peut devenir Melpomène, ou bien l’égérie ? J’ai écrit mon premier poème à treize ans, un sonnet, je ne me souviens pas d’avoir eu alors une muse ou un mentor. Cela dit j’ai beaucoup aimé et beaucoup admiré !
- Inspiratrice de Louis-Ferdinand Céline et dédicataire du Voyage au bout de la nuit, Élisabeth Craig n'aurait, parait-il, jamais ouvert le maître-ouvrage de Céline ! De telles déconvenues ne sont pas rares dans la vie des poètes. Que vous inspirent-elles ?
Nos amantes, nos inspiratrices, sont rarement lectrices et admiratrices de nos œuvres. C’est un fait avéré. Peut-être une question de proximité, de manque de recule ? Pourtant certains poètes les ont immortalisées : Dante, Pétrarque, Scève, et Baudelaire avec son « Je te donne ces vers afin que si mon nom… »
- Vous aussi, vous avez effectué un voyage au bout de la nuit ; plus précisément, un voyage au bout de la mer. « A bord d'une goélette » (précise votre page wikipedia). Un Ulysse sommeille-t-il en Daniel Habrekorn ?
Ma passion de la mer vient sans doute de mon père qui avait fait la guerre comme médecin sur un torpilleur. J’ai pas mal navigué : pour la dernière pêche d’un thonier ligneur que nous avions racheté, en Bretagne, avec des copains ; sur beaucoup de dériveurs, de côtres ; et surtout avec la goélette de vingt-deux mètres d’un ami qui m’a pris comme équipier pour plusieurs saisons, en Méditerranée. Une fin de journée de grand frais, qui avait été épuisante, le croirez-vous, nous avons mouillé devant Ithaque. Je me suis aussitôt jeté à la mer pour nager jusqu’à la côte abrupte. Je suis monté pieds nus, difficilement, jusqu’à deux moulins à vent qui dominaient l’ile, j’ai attendu, j’ai attendu jusqu’au profond de la nuit. Eh bien, la déesse aux yeux pers ne m’a pas assisté, nul Eumée ne m’a hébergé, Télémaque n’est pas rentré de son voyage pour me visiter, je n’ai pas plus croisé Mentor (encore lui !), aucun Argos n’est paru pour me reconnaître et grand bien lui fasse, et la vieille Euryclée ne m’a point donné le bain. Quant à Pénélope, interlope, elle est demeurée assise à sa tapisserie toujours recommencée qui n’est pas la moindre des odyssées, car sa lisse vaut bien celle d’Ulysse.
- Vous êtes en voie de publier une anthologie de la poésie. Quel travail de longue haleine ! Pouvez-vous citer un poème que vous avez particulièrement à cœur de sauver de l'oubli ?
Vous me demandiez un poème à sauver de l’oubli, mais aussi de l’inculture crasse de nos contemporains. J’en ai révélé des centaines. Mais en voilà un du géant belge Max Elskamp, très inconnu des Français, pour provisoirement finir :
J’ai triste d’une ville en bois,
Tourne foire de ma rancœur,
- Mes chevaux de bois de malheur -
J’ai triste d’une ville en bois,
J’ai mal à mes sabots de bois.
J’ai triste d’être le perdu
D’une ombre et nue et mal en place,
- Mais dont mon cœur trop sait la place -
J’ai triste d’être le perdu
Des places et froid et tout nu.
J’ai triste de jours de patin
- Sœur Anne ne voyez-vous rien ? -
Et de n’aimer en nulle femme ;
J’ai triste de jours de patins,
Et de n’aimer en nulle femme.
J’ai triste de mon cœur en bois,
Et j’ai très triste de mes pierres,
Et des maisons où dans du froid,
Au dimanche des cœurs de bois,
Les lampes mangent la lumière.
Et j’ai triste d’une eau-de-vie
Qui fait rentrer tard les soldats.
Au dimanche ivre d’eau-de-vie,
Dans mes rues pleines de soldats,
J’ai triste de trop d’eau-de-vie.
contact : [email protected]