mardi 8 février 2011 - par Libalel

Esquisse de la scène artistique au Liban

« L’art est le seul médium capable d’écrire les contradictions ». Ces mots, du cinéaste libanais Akram Zaatari, nous laisse entrevoir l’expérience de toute une génération d’artistes qui entretient une relation passionnée avec l’histoire récente et conflictuelle de leur pays. En prise avec une réalité historique difficile, les artistes libanais n’ont eu de cesse d’être déstabilisés. Ils ont aussi su transformer la violence et l’urgence de la guerre en une énergie créatrice d’une intensité rare.

Histoire
Au cours des années 60-70, la scène artistique libanaise est connue pour être un véritable laboratoire d’expérimentation particulièrement actif. Elle attire les intellectuels et opposants de toute la région.

Cependant, seize ans de guerre civile (1975-1991) mettent un coup d’arrêt à cet « âge d’or » bouleversant toute la structure du monde artistique. De nombreux artistes quittent le pays pour aller travailler à l’étranger. Parallèlement, on assiste à l’atomisation du public de connaisseurs alors que les galeries d’art et les salles d’exposition ferment leurs portes.
Au sortir de la guerre, le paysage artistique se restructure et se réinvente péniblement. Les artistes ayant fui le pays reviennent peu à peu, avides d’expérimenter de nouveaux langages et conscients d’avoir un rôle à jouer dans ce Liban meurtri par la guerre. Les galeries reprennent tant bien que mal leurs activités et les manifestations artistiques fleurissent.

Mais en 2005, le Liban est affecté par de graves attentats qui perturbent la vie socio-économique. Le monde de l’art s’immobilise à nouveau. Au début de l’année 2006, la vie artistique redémarre de manière impressionnante, des expositions d’art contemporain de prestige se développent et les festivals s’internationalisent : le marché de l’art se porte pour le mieux. Alors qu’en 1990, le nombre d’artistes plasticiens, de peintres et de sculpteurs s’élève à peine à une centaine, en 2006, ils sont près d’un millier.

En 2006, le Liban est frappé par une nouvelle guerre et connaît 34 jours de conflit avec Israël. Le paysage artistique subit de nouveau l’effondrement de la situation économique. Aujourd’hui et comme à chaque lendemain de guerre, la reprise de la création artistique sonne comme une urgence. Le Liban redevient un terrain fertile pour la production artistique.

Enjeux
Ce lourd passé a bien sûr influencé le travail de la jeune génération d’artistes au Liban, dans un va et vient incessant entre utopie et réalisme. Cette « génération d’après guerre » s’empare et s’approprie les enjeux de la mémoire, de l’histoire et des archives. Les artistes questionnent aujourd’hui de manière critique leur expérience de la guerre et dénoncent ses silences.

Si la scène artistique libanaise a subi depuis 30 ans des bouleversements politiques intenses, elle se révèle être un extraordinaire incubateur de talents. Multiconfessionnel et multiculturel, le Liban trouve aussi sa force dans le brassage des cultures et des idées, le mélange des genres et des styles.

Cependant, l’Etat et les politiques de mécénat restent largement en retrait par rapport à l’effervescence du monde artistique. La vie artistique au Liban est donc principalement façonnée par l’histoire de trajectoires individuelles et d’expériences personnelles : chaque artiste évolue à sa manière, cherchant parfois des financements étrangers et des partenaires en fonction des opportunités rencontrées. Ce sont aussi les galeries et les initiatives privées qui ont joué un rôle capital et qui ont compensé l’absence d’institutions et de soutien publics. Ils ont su soutenir les initiatives novatrices, donner une visibilité aux artistes et leur trouver des espaces de travail.

La scène artistique contemporaine au Liban, intense, instable et inspirée, est à l’image de ce pays aux identités multiples ébranlé par les conflits et les tensions politiques.

Barbara Coffy




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