mercredi 13 avril 2011 - par Vincent Delaury

« Essential Killing » : l’homme est un loup pour l’homme

Capturé semble-t-il en Afghanistan ou en Irak, un homme, prénommé Mohammed (Vincent Gallo), est transféré dans un centre de détention secret en Europe. Lors d’un transfert, il parvient à s’échapper. Une chasse à l’homme commence alors au cœur d’une forêt enneigée abritant animaux sauvages et mythes. Essential Killing* : enfin un bon film à voir sur les écrans actuellement ! Dans la médiocrité ambiante des films sortis dernièrement, on commençait à désespérer et puis voilà que nous arrive le nouveau, et surprenant, film du Polonais Jerzy Skolimowski. Son survival movie aurait pu s’appeler La Mort aux trousses, Traquée ou Le Fugitif, titres comme on le sait déjà pris, alors il s’appelle Essential Killing. Titre à prendre, à l’image du film, selon différents sens : « meurtrier essentiel », c’est l’homme à abattre, l’étranger qu’il s’agit d’écarter de la communauté, mais on peut également le traduire par « meurtre capital, destruction indispensable de l’ennemi ». On doit le tuer, l’abattre comme un chien ; killing en anglais pouvant aussi prendre le sens d’abattage d’animaux. Pour survivre, c’est en animal d’ailleurs que le « héros » devra se transformer et ruser pour éviter la capture. En mode survie, il se fond tel un animal dans le décor enneigé pour sauver sa peau. Le camouflage lui sert de viatique pour rester en vie.

Essential Killing raconte sans gras – le film ne dure que 83 minutes - l’histoire d’une traque, de canyons désertiques du Moyen-Orient jusqu’à une forêt enneigée d’un pays de l’Est. Récit globe-trotter pour un film qui est lui-même cosmopolite. Coproduction européenne (long métrage irlando-norvegio-polonais), le film de Skolimowski évite pour autant la mollesse de ce genre de coproductions internationales, façon Vatel, qui peuvent perdre toute singularité à force de passer entre plusieurs mains. Film racé, tour à tour nerveux et zen, Essential Killing est un film d’auteur. On retrouve ce qui fait la marque de fabrique de Skolimowski (Signe particulier : néant, Le Départ, Travail au noir, Le Bateau-phare…), cinéaste polonais formé aux côtés de Polanski à la fameuse école de cinéma de Lodz : le thème de l’errance et le regard décalé de l’éternel étranger sur la société contemporaine et le monde. L’emploi minimal du dialogue (ses deux acteurs principaux, Vincent Gallo et Emmanuelle Seigner ne disent pas un mot dans le film), la difficulté à communiquer, l’expatriation, l’isolement et la plongée possible dans la folie, autres caractéristiques notoires d’un cinéma oscillant entre fatalisme et goût pour l’absurde, sont également présents dans Essential Killing. C’est un film surprenant à plus d’un titre. On va le voir en salle, on s’attend à voir très peu de monde (il ne joue à Paris que dans quatre salles et il ne repose aucunement sur une opération marketing de grande ampleur style Le Discours d’un roi) et pourtant la salle est pleine. Ses prix internationaux (du Jury et de la Meilleure interprétation masculine pour Vincent Gallo au 67e Festival International du Cinéma de Venise 2010) et son excellent accueil critique dans la presse y sont certainement pour quelque chose. Tant mieux. On ne s’en plaindra pas.

Essential Killing, film surprenant également parce que ce n’est pas le film à thèse que pouvait laisser craindre son sujet… politique. Certes, ici, on a affaire à un probable taliban traqué, ou présumé terroriste, qui a maille à partir avec une armée, machine de guerre lancée à ses trousses, qui a toutes les apparences des forces militaires américaines. Mais on n’en saura pas plus. Les lieux ne sont pas nommés. En fait, c’est en creux qu’il lorgne vers des faits géopolitiques contemporains, notamment vers l’existence de sites secrets de la CIA en Europe afin de permettre au gouvernement américain d’étendre sa lutte contre le terrorisme. C’est uniquement par petites touches (un désert du Moyen-Orient, les fameuses combinaisons oranges des prisonniers du camp de Guantánamo, la technique du waterboarding (torture par l’eau) employée par les Américains pendant la guerre d’Irak, les flash-backs) qu’on peut établir une comparaison avec l’actualité récente. Des indices distillés tout au long du film, nous aident à y voir plus clair ; le plus éclairant étant certainement le flash-back où Mohammed s’entend dire - « Ce n’est pas toi qui tue, c’est Allah. ». Là on comprend qu’il est certainement au service d’un endoctrinement. A part ces quelques signes manifestes, ce bon vieux Jerzy (72 printemps au compteur) préfère la métaphore et on lui en sait gré. Evitant le piège de l’idéologie politique pouvant enfermer un film dans les tenailles d’une pensée univoque qui prend le risque de le rendre au fil du temps incroyablement daté, ce cinéaste n’enferme pas son film dans un scénario didactique. Préférant s’ouvrir à la métaphore, Essential Killing fuit le discours politique volontariste. Il s’ouvre à d’autres champs que la politique, bien plus grands, il raconte en parallèle une lutte pour la survie mâtinée d’une quête existentielle.

L’ambiguïté à l’œuvre se retrouve également dans la facture même du film. Petit film sans gros budget, il démarre sur les chapeaux de roue. Ses scènes d’action, dans le premier quart d’heure voire les premières quarante minutes, n’ont rien à envier aux productions hollywoodiennes. On démarre ainsi sur un rythme endiablé pour peu à peu glisser vers un film contemplatif et naturaliste. Comme si la facture hollywoodienne standard était peu à peu grignotée par un filmage plus lent, à l’européenne, ou à la nippone. Avec sa musique avant-gardiste (impressionnant travail du son dans ce film), son intérêt manifeste pour la nature et sa grande économie de moyens tendant vers l’abstraction, Essential Killing ressemble à un haïku. Sa narration est flottante, on n’a pas affaire à un scénario cadenassé. Au fil du film, l’action s’effiloche, le but du « voyage » s’évapore. On a l’impression d’un film qui, contrairement à bon nombre de films formatés actuels, se refuse à être la simple application d’un scénario, il semble s’ouvrir volontiers aux chemins buissonniers de l’improvisation. Le grand dénuement qu’il donne à voir est la grande affaire du film : montrer l’inscription d’un homme dans l’espace. Aussi, on n’est pas prêt d’oublier le superbe plan pictural d’un homme perdu dans l’immensité d’un canyon enneigé sous un ciel rose. Cette inscription d’un corps dans l’espace, être humain ramené fatalement à sa propre solitude, se retrouve d’ailleurs dans les toiles de Jerzy Skolimowski, cinéaste et peintre. Long métrage de l’entre-deux, entre film d’action et film poétique, Essential Killing montre un homme qui, pour survivre, doit comprendre qu’il est un élément parmi d’autres du vaste ensemble qu’est la Nature. On pense alors au cinéma naturaliste de Malick et aux écrivains transcendantalistes (Thoreau, Whitman, Emerson). Pour autant, cette balade sauvage signée Skolimowski n’a rien d’une promenade de santé, on n’est pas dans l’angélisme rousseauiste. La vie sauvage, si elle peut de par sa beauté sidérante déboucher sur la sérénité, est également le théâtre de la cruauté. Pour survivre, cet homme traqué est prêt à tout : manger des fourmis, la mousse sur les arbres, un poisson vivant volé ou encore boire goulument le lait du sein d’une femme apeurée tenant son bébé. Puisqu’une meute de soldats ou de miliciens le traque comme un chien, cet homme aux abois se fait bientôt chien. Une cohorte de chiens-loups vient d’ailleurs à un moment l’encercler et on ne sait s’il s’agit pour eux de le célébrer ou bien de le dévorer ; c’est d’ailleurs un autre chien qui le sauve quelque temps auparavant. C’est peu dire qu’avec Vincent, le naturel revient au Gallo. Avec son intensité animale, cet acteur, dont je ne suis pas fan d’habitude, tient là à mon avis son meilleur rôle. Son ego d’ordinaire démesuré se dissout avec bonheur dans l’immensité du sublime de la nature offerte par le film. Dans le dernier plan du film, au sein d’une nature définitivement indifférente, l’acteur a d’ailleurs totalement disparu. 

Essential Killing offre vraiment de très beaux moments. Aussi, on oubliera facilement certains passages répétitifs (vers la fin on finit un peu par tourner en rond avec Mohammed) et quelques plans symboliques un peu lourdingues (le rouge sang souillant le blanc immaculé du cheval, la levée de sa chaise de Gallo coïncidant en arrière-plan avec le décollage d’une fusée diffusé sur l’écran d’une télé dans la maison de la femme qui le soigne) pour se laisser transporter par un film artistiquement et philosophiquement solide. Du 4 sur 5 pour moi.

* En salle depuis le 6 avril 2011.



3 réactions


  • BABAYAYA BABAYAYA 13 avril 2011 09:50

    et bé !!! enfin un film qui me donne envie de retourner au cinéma...


    j’espère qu’il me plaira, au vu de la description que vous en faite...

    bonne journée

  • Alain-Goethe 13 avril 2011 12:20

    Phrase que j’ai découverte voixi X années 

    X ( hélas..) pas très élevé ...

    J’avais accordé ma confiance .. et du fric .. 
    mais Déceptions

    «  de ta main droite ignore ce que fais ta main gauch e

    Baise la main que tu ne peux couper ..

    Phrases indiquées par certains de mes patrons .. au cours de ma carière

    et » Plus P que moi , tu meurs .. «  locaux de ANPE à DUNKERQUE !!

    etc ..

     » Que c’est beau la vie "  ?? à la BARRIERE ..

    have a ggood day !


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