lundi 16 février 2015 - par Bernard Pinon

Est-ce que ça mettra du vent dans les voiles ?

C’est un spectacle comme on en fera plus. Trop long (4h30), trop cher (on parle de 700 000 dollars), trop difficile à jouer. Mais qui heureusement a été capté pour la première fois en vidéo lors de sa dernière représentation en France au théâtre du Chatelet 

(lien vers YouTube)

Einstein on the beach est un opéra en quatre acte de Robert Wilson (mise en scène), Philip Glass (musique) et Lucinda Childs (chorégraphie) qui a été créé en 1976 au festival d’Avignon. Le pitch ? Einstein, qui était violoniste et amateur de voile, est sur une plage, jouant du violon. Sur scène, des tableaux illustrent la pensée du physicien.

Albert Einstein n’est qu’un prétexte à cette débauche de couleurs, de mouvements et de musique, n’espérez pas apprendre quelque chose sur la théorie de la relativité, sinon qu’il y est question de pendules et de trains.

La magie du spectacle tient en un mot : hypnose. Einstein on the beach est une gigantesque machine à hypnotiser. Et on en redemande tellement on a l’impression que le temps s’arrête. On en a les larmes aux yeux, et c’est complètement addictif (vous êtes prévenu).

La musique et la mise en scène sont « minimalistes », ce qui ne veut pas du tout dire réduite au minimum, au contraire ; cela signifie que les changements sont apportés graduellement : dans la plupart des morceaux, les mesures sont répétées quatre fois avant d’être légèrement modifiées, ce qui donne cette impression fausse d’immobilité alors que ça change continuellement.

Les paroles chantées reprennent soit la métrique en anglais (one-two-three), soit les noms des notes en français (do-ré-mi) mais l’effet hypnotique fait que vous entendrez autre chose. Des textes sont aussi récités, la plupart sans sens précis (Would it get some wind for the sailboat. And it could get for it is. Est-ce que ça mettra du vent dans les voiles ? Et ça le pourrait parce que c’est.), répétés en boucle comme un mantra, presque une prière, ce qui ajoute encore à l’effet hypnotique.

La chorégraphie est millimétrée et on est pris de vertige quand on imagine le travail qu’il faut faire pour retenir tous les gestes et les placer au bon moment dans ces musiques sans repère – les acteurs/danseurs ont des oreillettes et sont probablement guidés.

Les différents tableaux sont séparés par des intermèdes appelés « knee play » (jeu de genoux) car il font l’articulation entre les scènes.

Knee 1

Knee 1

Le premier intermède commence alors que les spectateurs arrivent. Deux récitantes sont assises à droite de la scène, et récitent le texte (Will it get some wind…) de manière décousue entrecoupées par des nombres pendant que les musiciens et les choristes se mettent en place. Lentement, le silence se fait dans la salle.

 

Acte I

Scène 1 : Train 1

Première grosse claque. Une chaise vide, une grue de chantier et une locomotive qui fait lentement son entrée pendant qu’une barre lumineuse verticale descend dans sa cheminée. Un enfant qui joue sur la flèce de la grue avec un cube lumineux. Un personnage à droite qui mime l’écriture de formules sur un tableau imaginaire. Des personnages divers qui font de petites scènes. Et surtout, la première récitante qui parcours la scène en diagonale en brandissant un crayon tout en dansant.

Scène 2 : Trial 1

Une salle d’audience. Un procès, mais de qui, de quoi ? Trois parties (Entrance, Mr. Bojangles, All Men Are Equal). Les choristes à gauche qui font les jurés. Einstein qui joue du violon. La première récitante sur une chaise haute. La deuxième qui déclame un texte sans queue ni tête. Un juge qui se lance dans une grande tirade pour se moquer des suffragettes. Une choriste qui aboie. Un représentant de commerce qui fait des sourires de vendeur de voitures d’occasion. Des spectateurs à droite dont un qui n’arrête pas de tourner la tête (bonjour les cervicales). Et tous qui jouent avec des crayons. Au premier plan, un grand lit lumineux. A l’arrière, des pendules, des boussoles, une barre lumineuse horizontale et une éclipse

Knee 2

Einstein joue de plus en plus vite. Les récitantes reprennent leur texte en boucle en faisant une curieuse chorégraphie sur leurs chaises.

Acte II

Scène 1 : Dance 1

Un ballet en apesanteur, très géométrique et finalement assez classique. Les danseurs traversent la scène dans tous les sens en donnant l’impression de planer.

Scène 2 : Night Train

L’arrière d’un wagon, la nuit. Un couple chante. Derrière, la lune change de phase. A la fin, elle le menace avec une arme.

Knee 3

Intermède choral. Les deux récitantes font des gestes devant un panneau lumineux changeant. Les choristes agitent les mains comme s'ils conduisaient.

Acte III

Scène 1 : Trial 2/Prison

La première récitante est allongée sur le lit et répète un texte en boucle où il est question d’un supermarché prématurément air-conditionné où on trouve des accessoires de plage. Deux prisonniers sur la droite. La récitante se lève et pointe une mitraillette sur le public. Trois parties (Prematurely Air-Conditioned Supermarket, Ensemble, I Feel the Earth Move), la dernière étant un récitatif mélancolique (I feel the earth move, I feel the tumbeling down, tumbeling down – Je sens la terre bouger, je sens l’effondrement, l’effondrement).

Scène 2 : Dance 2

Deuxième ballet en apesanteur, aussi beau que le premier.

Knee 4

Autre intermède choral. Les récitantes font une danse allongées sur le dos.

Acte IV

Scène 1 : Building

Une femme à la fenêtre d’un bâtiment. Des personnages arrivent et se figent. On retrouve le personnage qui n’arrête pas de tourner la tête et l’enfant qui jouait avec un cube.

Scène 2 : Bed

Trois parties (Cadenza, Prelude, Aria). Seule la tranche du lit lumineux est visible. Lentement, elle se redresse à la verticale. Une soprano entame des vocalises et la barre lumineuse s’élève. Bon, les psychanalystes de comptoir y verront une allusion sexuelle un peu lourde, et alors ? C’est juste majestueux.

Scène 3 : Spaceship

Ce n’est pas le final mais c’est le dernier grand tableau. Un empilement de cases lumineuses où s’affairent des travailleurs. Est-ce une usine atomique ou un vaisseau spatial ? Des ascenseurs avec des pendules. Les deux récitantes qui sortent de terre sur fond d’explosion nucléaire.

Knee 5

Un arrêt de bus. Le chauffeur raconte une histoire d’amour. Le spectacle se finit sur un baiser. Et on a l’impression d’une belle et grande aventure qui se termine. Vite, un Kleenex…

La vidéo disponible sur YouTube est de très bonne qualité. Elle risque par contre de disparaître sur demande des ayant-droits, aussi vous savez ce qui vous reste à faire.

Si vous voulez le texte des paroles, c’est ici.

Est-ce que ça mettra du vent dans les voiles ? Ca le peut. Parce que c’est.




Réagir