mardi 28 mars 2017 - par C’est Nabum

Faites-moi la Charité d’un conte !

Au collège, c’est pas gagné.

Mon fleuve de mots m’a conduit dans la cité qui s’est vouée à la célébration du livre, de la langue et des bretteurs : La Charité sur Loire. Je ne dois pas être de ceux-là puisqu’à plusieurs reprises, j’ai adressé mes propositions de service aux organisateurs du Festival du mot, toujours sans réponse car, il ne fait pas bon être un humble pécore quand l’intelligentsia parisienne prend en main le destin d’une manifestation.

C’est ce que je suis allé signifier aimablement à la pauvre dame du Syndicat d’initiative qui bien évidemment n’était en rien responsable d’une telle attitude, lui glissant mon prospectus, ce curieux dépliant qui se refuse obstinément à prendre le nom à la mode et en anglais. Au pays des amoureux du mot il est sans doute préférable de laisser un Flyer plutôt qu’une plaquette informative, je me fais bien des illusions au pays du Français.

J’étais dans la belle cité ligérienne au pied de son prieuré et de son redoutable pont de pierre pour venir conter la Loire et ses légendes à une joyeuse troupe de collégiens. C’est Ismaël, un enfant du voyage, fils de forain et forain luimême, oublieux parfois de ses obligations scolaires pour aller tenir son stand qui découvrit mes contes sur la mystérieuse toile et en apporta fièrement une belle brassée à sa professeure de français.

Celle-ci me contacta par la magie d’un réseau numérique qui permet toujours des miracles quand on veut bien s’en donner la peine. Quelques échanges de messages plus tard et je me retrouvai ce mardi-là devant quarante deux collégiens assis en tailleur sur la moquette d’un Centre d’information et de documentation. Nous avions envisagé d’aller devant les remparts avec vue sur le Dhuy d’où partirent jadis les hydravions de la navale, mais le ciel était chagrin.

Ismaël après un mois et demi d’activité foraine était rentré spécialement pour l’occasion. Il tenait sans doute à entendre celui dont il était à l’initiative de la venue. Je lui glissai devant ses camarades incrédules quelques mots en manouche, nous étions définitivement amis. Je pense qu’il fut l’un des plus attentifs, deux heures durant, alors que naturellement il n’est pas coutumier de pareille attitude. La pédagogie ça tient souvent à si peu de chose …

Deux heures de conte, rendez-vous compte ! C’est une pure folie et pourtant, la plupart ont tenu la distance, écouté, réagi, participé. J’ai expliqué, j’ai donné à comprendre les stratégies employées pour passer de la légende au conte, de l’histoire à la fable. À leur tour, ils devront reprendre un texte pour se l’approprier et lui donner une forme qui leur sera personnelle. Ils me lurent leur version de Vert-Vert, je leur offris la mienne pour leur démontrer qu’il convient de s’affranchir des codes et des trames.

À la fin de cette longue séance, Dominique leur professeure de français, prit la parole pour tancer les quelques trublions qui s’égarèrent dans des digressions tout adolescentes. Comment leur reprocher de n’avoir pas pu tenir aussi longtemps, assis par terre. Je nuançai le courroux de la dame en précisant que même aux adultes, les raconteurs d’histoires ne tiennent pas le crachoir tant de temps !

Je laissai à la bibliothèque du collège mes deux derniers livres. Il n’y en aura désormais plus à distribuer ainsi. Je me trouve dépossédé physiquement de mes contes, ils appartiennent à l’éditeur. Je découvre un peu tard que c’est un étrange marché de dupe, que la propriété d’un bien immatériel comme peut l’être un texte est une hérésie dans une société où l’on trouve normal que tout se vende. J’ai cependant cette liberté de parole que jamais la moindre close ne viendra entraver.

C’est un curieux sentiment que de partir avec cette part de moi-même dans les rayonnages du collège de La Charité. Je repense alors à tous les collèges que j’ai fréquentés comme enseignant et qui eux, à une exception près ne m’auront pas fait cet honneur. Curieux mépris de ce qui ne vient pas de la littérature officielle. Je resterai à jamais dans ce milieu, l’enseignant de la classe des fous, celui qui ne peut sans doute pas écrire bien et faire des choses intéressantes. On s’étonne ensuite que l’éducation nationale ne fasse que reproduire indéfiniment les inégalités sociales et culturelles !

Je reprends mon bâton de Bonimenteur. J’attends de nouveaux appels pour venir à la rencontre des élèves. Je sais que je retournerai à La Charité, je l’ai promis au directeur de la Segpa, on ne peut se refaire. J’aime la marge, je suis né dedans et je me moque de la vilaine appréciation en rouge que certains mettent à mon propos ou bien à celui des élèves cabossés par le loterie des chances..

Ismaël retournera peut-être à son stand, je le devine désormais capable de jouer à son tour le bonimenteur pour attirer le chaland et amuser la galerie ! Merci à lui et à ses enseignants qui ont su prendre la balle au bond et laisser filer le sable en ricochets.

Forainement sien.



13 réactions


  • 77777 28 mars 2017 13:51

    Si tous les professeurs des écoles ou mieux les instituteurs avaient le temps, ou prenaient sur leur temps ce qui n’est pas si simple avec les tâches supplémentaires qu’on leur imposent, les élèves seraient peut être plus enclin à lire qu’à jouer aux jeux videos.


  • juluch juluch 28 mars 2017 14:25

    Une bonne expérience Nabum.....  smiley


  • Pale Rider Pale Rider 28 mars 2017 15:45

    Je connais bien La Charité, ville au patrimoine architectural et naturel exceptionnel. J’ai même photographié le panneau de librairie que vous présentez.
    C’est une petite ville à recommander chaleureusement.


    • C'est Nabum C’est Nabum 28 mars 2017 16:45

      @Pale Rider

      C’est donc fait et si ça se trouve, c’est votre photo


    • Pale Rider Pale Rider 28 mars 2017 18:56

      @C’est Nabum
      Comme je n’ai pas mis cette photo sur Internet, ça m’étonnerait. Mais je vois très bien où c’est (on devine le clocher de l’abbatiale en fond). Nous avons même une petite maison très ancienne non loin de là... C’est un lieu dont nous ne nous lassons pas. Entre la forteresse, les promenades pédestres ou vélocipédiques en bord de Loire, la forêt des Bertranges, les quelques vignerons à visiter dans les terres, etc., plus les librairies à explorer, c’est génial. Il est bien rare que j’en revienne sans avoir acheté un livre. smiley


    • C'est Nabum C’est Nabum 29 mars 2017 07:24

      @Pale Rider

      C’est effectivement un très beau lieu, une ville qui a une âme

      je m’en suis rendu compte en voyant les élèves réagirent
      Ils ne sont pas pollués par l’air du temps


  • ricoxy ricoxy 30 mars 2017 10:21

     
    J’ai assez longtemps habité La Charité – plus exactement au-delà du pont de Loire – et je retire de cette cité, qui a vu naître le fameux Max Favalelli, un souvenir assez morose.
     
    Il est vrai que c’étaient des années de scolarité à l’ancienne, qui n’étaient pas réjouissantes du tout. Cela dit, La Charité est une assez jolie petite ville, qui accueille son Festival du Mot. Ça change de son ancienne industrie : une fabrique de parapluies.
     


Réagir