lundi 25 février 2019 - par Theothea.com

« Fanny et Alexandre » Julie Deliquet offre Bergman à La Comédie-Française

A l’occasion de l’entrée d’Ingmar Bergman au répertoire de La Comédie-Française, la prestigieuse Maison en a profité pour renouer avec la notion traditionnelle de « l’entracte » qu’elle semblait avoir délaissée depuis plusieurs saisons… au profit de représentations effectivement écourtées prévenant d’éventuelles déperditions de spectateurs.

Cependant, en l’occurrence, la rupture dramaturgique est, ici, suffisamment pertinente pour qu’y soulignant judicieusement un changement existentiel radical le public puisse effectuer, lui-même, en cet instant, une pause synchrone bénéfique. 

 

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FANNY ET ALEXANDRE
© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

  

En effet, après cette interruption, la récente veuve Emilie Ekdahl (Elsa Lepoivre) reviendra sur scène en ayant abandonné par dépit le monde théâtral, s’être remarié à l’Evêque Edward Vergerus (Thierry Hancisse) et avoir emmené avec elle ses deux ados, Fanny (Rebecca Marder) et Alexandre (Jean Chevalier) dans son nouveau foyer conjugal.

Mais face à l’intransigeance rigoriste de son second époux exerçant une autorité de substitution abusive avec l’appui pernicieux de sa sœur Henrietta (Anne Kessler), cette expérimentation tournera court rapidement en suscitant un véritable psychodrame domestique dans lequel le spectre paternel originel viendra jouer les empêcheurs de tourner en rond.

 

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FANNY ET ALEXANDRE
© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

  

Julie Deliquet ayant trois ans auparavant mis en scène, avec grande réussite, « Vania » au Vieux-Colombier, est donc invitée à nouveau pour une création Salle Richelieu, qu’elle a ainsi dédiée au grand réalisateur suédois grâce à son adaptation scénique partagée en compagnie de Florence Seyvos et Julie André, d’après le roman, la série télévisée et le film formant le puzzle testamentaire voulu par Bergman.

S’appuyant sur l’improvisation travaillée en amont pour que sa direction d’acteurs aboutisse davantage à l’incarnation des rôles plutôt qu’à leur interprétation, Julie incite les comédiens à être eux-mêmes prenant présentement en charge la troupe du Français afin d’en constituer le clone de la famille Ekdahl jusqu’à faire correspondre ces deux entités chorales. 

 

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FANNY ET ALEXANDRE
© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

  

Si l’intrication de la réalité et de l’imaginaire court, bel et bien, tout au long de la représentation, la première partie du spectacle se veut avant tout « hommage festif » à la grande famille du Théâtre se présentant formellement au spectateur de manière impressionniste, c’est-à-dire en se projetant de l’autre côté du miroir de la « vraie vie » au sein des coulisses, des loges et du plateau sur lequel l’ensemble des partenaires fêtera joyeusement Noël avant que ne s’élaborent les répétitions d’Hamlet dirigées par Oscar (Denis Podalydès) dans une esthétique singeant à son insu le réel.

Après l’entracte, c’est une toute autre histoire qui se jouera à la suite précisément de la soudaine disparition du chef de Troupe. L’enjeu dramatique progressif s’y révèlera tangible au beau milieu de fantômes plus ou moins identifiés, alors que l’esprit du Théâtre tenterait à nouveau d’aspirer à lui ceux qui auraient malencontreusement déserté son labyrinthe pleinement métaphorique.

  

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FANNY ET ALEXANDRE
© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

  

Fanny, Alexandre et leur mère se verront alors l’objet d’une attention familiale réitérée visant à les exfiltrer du piège carcéral s’étant refermé sur eux trois.

Quelle sera la part fictionnelle dans ce sauvetage in extremis des griffes de l’obscurantisme ?

Quel en sera le tribut réaliste fustigeant les principes disciplinaires à outrance ?

Où commence et se délimite la sphère onirique ? Serait-ce celle de l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte se confondant en une seule et même aspiration où « fiction » et « vécu » s’allieraient pour le meilleur et le pire tout à la fois ?

 

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FANNY ET ALEXANDRE
© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

  

En ce geste éminemment artistique, Julie Deliquet associe avec talent la démarche théâtrale au prisme cognitif permettant ainsi d’englober l’univers mental. Si donc l’œuvre d’Ingmar Bergman trouve force et crédit dans sa dimension autobiographique, tout un chacun peut y retrouver sa propre vérité en assumant les rapports de force ludiques, enjeu de toutes les destinées.

Julie Deliquet, elle, a trouvé la sensibilité ainsi que la technique pour nous les rendre perceptibles et même palpables.

  

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FANNY ET ALEXANDRE
© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

   

Sur les planches et dans la salle, la troupe, actuellement managée par Eric Ruf cosignant lui-même la scénographie de cette création emblématique, investit les cœurs et les esprits sous la houlette visionnaire et protectrice d’Helena (Dominique Blanc), la doyenne de la tribu Ekdahl, garante de la continuité identitaire symbolisant l’âme du Théâtre et cautionnant la mesure de toutes choses…

Sociétaires, pensionnaires et comédiens de l’Académie, tous sont à l’unisson de cet ambitieux objectif faisant de ce spectacle Bergmanien, sinon un manifeste, une véritable profession de foi… en leur vocation et leur Art sublimant la solidarité créative.

  
photos 1 à 6 © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française 
photos 7 & 8 © Theothea.com
   
FANNY ET ALEXANDRE - **** Theothea.com - de Ingmar Bergman - mise en scène Julie Deliquet - avec Veronique Vella, Thierry Hancisse, Anne Kessler, Cecile Brune, Florence Viala, Denis Podalydes, Laurent Stocker, Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Hervé Pierre, Gilles David, Noam Morgensztern, Anna Cervinka, Rebecca Marder, Dominique Blanc, Julien Frison ou Gael Kamilindi, Jean Chevalier et les comédiennes de l’académie Noémie Passager et Léa Schweitzer - Comédie Française Salle Richelieu 

    

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FANNY ET ALEXANDRE
© Theothea.com

  

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FANNY ET ALEXANDRE
© Theothea.com

   




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