Festival des inclusions
Récit par le bout de ma lorgnette.
Avec l’ami Yves, trublion patenté, zébulon du travail social et de l’agitation d’idées, nous étions conviés à participer à la table ronde de ce forum, le samedi 18 février dans la salle Hessel. Curieux clin d’œil du destin pour celui qui eut ce grand témoin du XX° siècle comme préfacier de son livre : « Vie cabossée ». Nous arrivons bien avant l’ouverture des portes du centre social. Les habitudes étant ce qu’elles sont, Yves va vers les jeunes qui sont regroupés là, sur les bancs, prenant le soleil.
Ce diable d’éducateur se permet d’inviter la joyeuse et bruyante troupe dans la salle. Cela provoque immédiatement la réaction du cerbère local. Il est des préjugés qui ont la vie dure, des réflexes conditionnés qui sont sans aucune doute d’origine pavlovienne. Le jeune portant casquette n’a pas spontanément sa place dans les structures sous le contrôle de municipalités républicaines. Les jeunes gens s’installent pourtant, le cerbère vient plusieurs fois pour les déloger, Yves s’interpose.
La salle finit par se garnir. Longtemps, nous avons craint d’avoir fait tout ce chemin pour rien. Le public arrive ; il y a dans la salle une remarquable diversité : des personnes en précarité, des jeunes du quartier devenus acteurs de théâtre, des travailleurs sociaux, des citoyens ordinaires. Le sujet pourtant est ardu : l’accès à la culture pour les publics qui en sont exclus.
Nous sommes cinq sur le devant la scène. Je n’aime guère cette position. Je vais vite m’y sentir mal à l’aise, tant mes voisins sont bavards ; trop bavards, discoureurs et ratiocineurs. Ils parlent d’eux-mêmes plutôt que de se concentrer sur le thème et d’offrir une place au public. Yves, le chantre des ateliers éphémères, oublie parfois le sens de l’adjectif. Je lui donne des coups de coude, il refrène son flot de paroles. Hélas, pas nos compagnons de micro.
Dans la salle, quelques personnes partent, les jeunes finissent par capituler. Nous avons sans doute manqué une occasion de leur donner la parole. La culture, c’est si compliqué. Je m’aventure à deux envolées lyriques sur le sujet. Je suis repris de volée par un savant organisateur de festivals de jazz avec l’argument incontournable de cette rieuse période électorale : « Propos populistes et présentation clivante ! » Il vaut mieux en rire ; le conte est un art populaire ou n’est pas.
Je garde mes cartouches pour le coup d’après. Le débat continue à côtoyer les lisières du soporifique. Je tâche de ne pas m’assoupir, il est vrai que je ne suis pas parlementaire et que la chose aurait mauvais effet ici. Je reprends la main sur l’imaginaire et la curiosité : les grands absents de nos débats assommants. « Ouvrez vos yeux, osez la découverte, ne vous installez pas dans une chapelle quelconque (ça pour l’amateur éclairé de jazz !), la culture c’est d’abord la découverte fortuite, inopinée, le choc imprévu et non pas la rencontre d’un genre ou d’un artiste connu ... »
Voilà, j’en ai fini de ma participation à une table ronde qui n’a pas pris son envol. Il me tarde de passer à l’étape suivante. Je suis attendu au Prado : l’équivalent nivernais de notre Relais, pour conter aux quelques personnes qui se seront déplacées. Je découvre, stupéfait, un lieu accueillant, propre, largement ouvert sur la rue par des baies vitrées, des espaces d’accueil, une belle salle de restauration, des dortoirs et des douches, le tout d’une propreté impeccable ; tout le contraire du cloaque orléanais organisé et voulu par les politiques locales de relégation et d’exclusion. J’aimerais que des élus un peu plus humains d’Orléans (il doit bien en exister), viennent visiter cet endroit et fassent comparaison avec le Relais orléanais.
Yves et moi comprenons à quel point nos discours étaient en décalage avec nos amis de la Nièvre. Il n’y a aucune comparaison possible entre une politique de prise en compte des précarités, comme celle menée à Nevers, et la chasse organisée à la misère, décrétée en Orléans. Les chiens aboient et mordent les pauvres au mollet avant de leur sauter à la gorge au moyen de leurs escouades policières. J’ai encore plus honte à ma ville à ce moment précis.
Puis c’est le conteur qui prend le relais. Ce n’est pas à moi de décrire l’écoute de ces personnes. Il suffisait de voir leurs sourires, de les écouter ensuite, me dire leur fierté d’avoir été ainsi mises en récit au travers de mes histoires. Tous mes auditeurs sont venus me serrer la main ou m’embrasser. Des larmes ont coulé quand j’ai donné des disques. Les gueux avaient retrouvé leur dignité ; le rêve était passé par là ; la magie d’une fée avait fait le reste …
Je reviendrai, c’est certain, proposer un spectacle plus complet à Nevers. Si un responsable politique d’Orléans veut profiter de l’aubaine pour découvrir comment on peut traiter dignement les exclus de la galette, qu’il en profite. Je ne sais qui, ce soir-là, fut le plus heureux. Je ne peux qu’une nouvelle fois remercier l’équipe du Prado et surtout les responsables, bénévoles et bénéficiaires de l’association la Pacode. Ce sont eux qui m’ont donné une leçon d’humanité et de tolérance, d’optimisme et de bonheur. Merci à tous et à très bientôt.
Inclusionnement vôtre.