François Feldman reconsidéré. A-t-on bien entendu et vu « Wally Boule Noire » et « Valses de Vienne » ?
Qui fêtera – ce novembre – les 27 ans de « Wally Boule Noire » ? Probablement un nombre dérisoire de fidèles du chanteur François Feldman. Pas un article wikipédia, pas un brin d’analyse sur cette chanson novatrice tant sur le fond que sur la forme. Il faut dire que l’indigence de l’article consacré au chanteur lui-même est propre à faire frémir.
François Feldman reconsidéré.
A-t-on bien entendu et vu « Wally Boule Noire » et « Valses de Vienne » ?
« Feldman est passé près de nous et on est passé à côté »
On peut dire sans exagérer que le public français est passé à côté de François Feldman. La reconnaissance critique tient à peu de choses et le chanteur aura sans doute pâti d’un grave défaut d’analyse. En 30 ans de carrière pas un article de Télérama ou des Inrokuptibles à son sujet, pas un article sérieux d’analyse critique.
Il y aurait sans doute plusieurs articles à écrire sur les aléas de la reconnaissance et l’injustice de la postérité mais ça n’est pas mon propos. Mon propos est ici beaucoup plus pratique, concret. En prenant deux exemple précis dans la carrière de François Feldman je me propose d’illustrer en quoi le corpus du chanteur aurait mérité qu’on s’y intéressât plus tôt. Cette démonstration – puisque c’est de ça qu’il s’agit – s’articule autour de deux morceaux de Feldman « Wally Boule Noire » et « Valses de Vienne » ainsi que sur leur mises en images (leurs clips).
« N'aie pas peur, c'est un breaker »
Premier moment d’importance dans la carrière de François Feldman, « Wally Boule Noire » est sortie en France en 1984, soit trois ans avant la sortie de « You’re Under Arrest » de Serge Gainsbourg. Que le lecteur s’il le veut bien écoute ici les deux morceaux à la suite il lui apparaîtra rapidement ce qu’ils ont en commun. Sauf que Feldman a ici trois ans d’avance sur le grand Gainsbourg. C’est bien Feldman qui a introduit l’éléctro-smurf dans la pop française. Voici déjà donc les critiques pris en défaut. Intéressons-nous maintenant au propos de Feldman dans cette chanson à niveaux.
Le personnage éponyme, Wally est un jeune danseur des rues, il pratique la break dance et la danse smurf, « c’est un breaker ». Le refrain lancinant répète ces quelques mots comme un mantra1 « Faut que tu t’en sorte Wally, Wally boule noire ». C’est bien à la jeunesse déshérité des quartiers que s’intéresse déjà Feldman au début des années 1980, onze ans avant que La Haine mette l’accent sur ce problème. Wally est noir, même si la chanson ne le dit jamais explicitement au contraire, c’est un réseau rigoureux de métaphores filées qui nous en informe.
Wally fait tout d’abord son apparition dans la nuit comme un chat noir pris dans la « lumière des phares » qui sont les spots lights de sa scène urbaine. On retrouve la thématique du noir comme élément de Wally dans la piaule « sombre » de Wally. Wally est noir, oui son seul moyen de s’en sortir ce sont donc ses émotions, son ressenti : Ton seul espoir/Pour t'en sortir/C'est ton feeling. Mais naturellement Wally et sa petite amie ont le rythme dans le sang : « Ils ont ça dans la peau » puis plus loin « la folie du Bronx coule dans tes veines ». Chez Feldman la question de l’identité est traitée de manière incroyablement complexe pour l’époque (qui est celle de La Zoubida et de Michel Leeb), ainsi Wally fait son apparition dans la lumière des phares d’une voiture et porte des « gants blancs » (référence explicite à Michael Jackson).
Wally boule noire, le titre même de la chanson est énigmatique. Wally est – il Wally Badarou spécialiste du synthétiseur, proche de Chris Blackwell qui a collaboré avec Alain Chamfort ? Et quelle est donc cette « boule noire » ? S’agit-il de sa tête ? de sa coiffure « afro » ou bien de son postérieur (ce qui ferait de Feldman l’inventeur de ce mot d’argot des banlieues aujourd’hui si fréquemment utilisé).
Wally est un exclu qui se retrouve hors de son élément à Paris (« station d’métro ») dans les beaux quartiers (« quartier réservé »). Dès lors il n’est pas étonnant qu’il suscite des réactions de peur (« panique la foule ») que le chanteur s’attache à désamorcer à travers le langage de Wally, ainsi l’injonction « mec n’aie pas peur » est-elle répétée pas moins de huit fois à travers la chanson.
Sur le plan formel, la chanson prolonge cette réflexion sur la question de la voix. A travers le morceau, la voix de Feldman est altérée de deux façons et devient donc, toutes proportions gardées, une symphonie urbaine à trois voix. Il y a d’abord le vocodeur (à partir de 2 :20) 2 puis le chœur féminin qui reprend le refrain et se fait aussi pressant qu’un coryphée dans une tragédie grecque.
Ce jeu sur les voix souligne la volonté d’articuler les points de vu. Dans la chanson Feldman s’adresse à la fois à un public ignorant et craintif et au jeune smurfer, il est un pont entre deux rives.
Quelques considérations rapides sur le clip de la chanson. Dans un premier plan presque subliminal, on aperçoit Feldman qui à l’instar de Wally apparait dans « la fumée ». Il est ici un DJ qui mixe sur des platines.
Dans le plan suivant il devient « breaker » pénétrant à pas chassés dans le champ de la caméra,
ses mouvements sont raides et crispés, il est « l’automate », une fois encore il est Wally.
Enfin dans un des derniers plans du clip on a la confirmation que Wally est bien la voix au vocodeur.
Aujourd'hui quand tu danses/Dis, à quoi tu penses ?
Sorti en décembre 1989, Valse de Viennes est une chanson beaucoup plus connue (la plus connue ?) de Feldman c’est pourquoi j’y consacrerai moins de place. J’insisterai simplement en quelques mots sur sa mise en image. On ne le répétera jamais assez « Valses de Viennes » est le « Lemon Incest » de François Feldman. C’est interprétation de la chanson passe cependant totalement inaperçu si on n’a pas le clip en tête. Après avoir vu le clip une bonne vingtaine de fois, il est impossible d’ignorer qu’il baigne dans une hallucinante ambiance hamiltonienne. La tonalité du morceau est romantique mais les deux personnages du clip sont François Feldman et une petite fille qui danse seule dans la nature sous la pluie d’un sprinkler (dans une préfiguration saisissante du Lady Chaterley de Pascale Ferrand)
puis, mutine, vient rejoindre Feldman dans son lit
avant de se laisser embrasser langoureusement.
Il devient claire à travers tout le morceau que le couple de la chanson est constitué de Feldman et de sa fille.
Comment alors peut-on dire que François Feldman mérite son image d’auteur plat et consensuel ? Je travaille actuellement à une monographie de Feldman intitulée Tout le monde debout. Mon plus vif souhait est qu’à la lecture de cet article et prochainement de mon livre on reconnaitra en lui ce qu’il est vraiment : un autre Gainsbourg.
[1] tandis que la circularité de la chanson qui se termine sur la répétition du premier couplet rappelle implicitement la philosophie hindouiste. Une autre interprétation mystique de la chanson peut voir Wally mourir dès le premier couplet écrasé par une voiture et revenir sous la forme d’un fantôme dans un monde qui l’a rejeté. Ce serait son apparence de fantôme qui effrayerait les passants.
[2] dont soit dit en passant Feldman est l’un des premiers artistes pop français à faire usage.