Grande symphonie caractéristique pour la paix avec la République française
Tel est l’étonnant titre de l’opus 31 du compositeur bohémien Paul Wranitzky (Pavel Vranický). Composée en 1797, cette œuvre est, par sa forme et son contenu, originale à bien des égards…
C’est dans la ville de Moravie autrichienne de Nová Říše (Neureisch) qu’est né le 30 décembre 1756 – la même année que Mozart – ce compositeur de grand talent aujourd’hui bien oublié. Wranitzky a pourtant connu un très grand succès à Vienne, notamment avec son singspiel Oberon, Roi des Elfes (1789) que le Cosi fan tutte de Mozart, mis en scène quelques mois plus tard, ne parviendra pas à détrôner. Un singspiel dont l’immense Mozart – membre de la même confrérie franc-maçonne que Wranitzky – s’inspirera pour créer deux ans plus tard, en collaboration avec le librettiste Schikaneder, l’une des plus géniales œuvres composées pour la scène : La flûte enchantée. À noter, et ce n’est sans doute pas un hasard que c’est dans le théâtre Auf der Wieden de Schikaneder qu’a été créé l’Oberon de Wranitzky.
Outre sa carrière de compositeur, Wranitzky – ancien élève de Haydn –, a été un grand chef d’orchestre et, eu égard à ses qualités notoires, le directeur des deux plus grandes scènes impériales de Vienne, le Burgtheater et le théâtre de la porte de Carinthie. Des responsabilités qui n’ont pas bridé sa créativité : outre sa vingtaine d’œuvres scéniques, ses multiples partitions de musique de chambre pour cordes ou de divertissement pour bois et vents, sa dizaine de concertos et quelques œuvres de musique sacrée, Wranitzky a composé 51 symphonies dont beaucoup ont été publiées, et parfois rééditées à plusieurs reprises, dans les principaux pays d’Europe. Un constat qui illustre l’estime dont jouissait alors sur le vieux continent ce compositeur ami, non seulement de Mozart, mais également de son professeur Haydn, dont il dirigea la première de l’oratorio La Création, et de Beethoven qui fit appel à lui pour conduire sa Première symphonie.
On doit notamment à Wranitzky des œuvres symphoniques de circonstance dont plusieurs ont été écrites ou jouées lors d’importantes cérémonies, à l’image de son opus 2, choisi par la cour de Habsbourg pour célébrer, en 1790, le couronnement de Leopold II à la tête du Saint-Empire romain. Même chose deux ans plus tard pour l’accession de François II sur ce même trône du Saint-Empire romain (ce monarque sera couronné Empereur d’Autriche en 1804 sous le nom de François 1er). À ces musiques dédiées à la couronne impériale s’ajoutent d’autres partitions événementielles liées notamment à des mariages princiers.
Que Wratnitzky ait été proche des Habsbourg, c’est une évidence. Et c’est à ce titre qu’il compose en 1797 une nouvelle symphonie destinée à saluer la signature – le 18 octobre – du Traité de Campo-Formio actant entre la France de Napoléon et l’Autriche de François II une paix qui se révélera bien éphémère. Mais en cette fin d’année, l’heure est, malgré les pertes de territoires subies par l’empire autrichien, au soulagement et aux manifestations de rapprochement.
C’est dans cet esprit que Wranitzky compose sa Grande symphonie caractéristique pour la paix avec la République française. Hélas pour lui, l’empereur craint une contagion de la Révolution française en Autriche où les idées des Lumières séduisent une partie des élites. Qui plus est, l’œuvre à programme écrite par le compositeur contient des images – notamment les exécutions de Louis XVI et de sa tante Marie Antoinette – qui lui agacent la nuque. La symphonie est donc interdite par décret impérial le 20 décembre 1797, peu après qu’elle soit sortie des presses de l’éditeur Gombert à Augsbourg.
Interdite, mais jouée ailleurs qu’à Vienne à l’initiative d’intellectuels aristocrates allemands acquis aux idées de la Révolution française. Ici sous la forme réduite d’un quintette à cordes ou d’un trio de claviers, là sous sa forme symphonique dont la Première est donnée à Leipzig par le Concert des Dilettantes*. Une forme symphonique qui respecte l’ordonnancement en quatre mouvements, mais dont chacun d’eux, outre les habituelles indications de tempo, comporte des éléments programmatiques (énoncés en français dans la partition originale) :
I. Andante maestoso / Allegro molto / Tempo di marcia / Piu maestoso / Piu allegro
La Révolution – Marche des Anglois – Marche des Autrichiens et des Prussiens
II. Adagio affetuoso, con sordini
Le destin et la mort de Louis XVI – Marche funèbre
III. Tempo di marcia. Movibile / Allegro
Marche des Anglais – Marche des Alliés – Tumulte d’une bataille
IV. Andante grazioso / Allegro vivace
Les négociations de Paix – Manifestations de joie pour la Paix retrouvée
Comme on peut le constater à l’écoute de cette œuvre originale (cf. lien musical ci-dessous), les structures traditionnelles de la symphonie classique popularisée par Haydn sont mises à mal. Ainsi le premier mouvement bouscule-t-il la forme sonate pour décrire le chaos révolutionnaire – solennel dans les premières mesures puis résolument joyeux – avant de laisser la place aux deux marches militaires, en alternance avec le thème de la Révolution. Suit l’adagio dont la tonalité constamment sombre, sur fond d’incarcération puis d’exécution du Roi, est principalement caractérisée par une marche funèbre – annonciatrice de la 3e symphonie de Beethoven (cf. « Eroica » ou la révolution symphonique) – entrecoupée de deux brefs passages dissonants qui marquent les décapitations de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Quant au menuet, il est totalement absent de l’œuvre et remplacé, non par un scherzo comme le fera, là encore, Beethoven dans l’Héroïque, mais par deux marches aux allures martiales que prolonge un épisode de combat épique. Vient enfin le dernier mouvement dans lequel Wranitzky use avec un grand talent des couleurs de l’orchestre pour illustrer les négociations puis la Paix revenue dans le cadre du Traité de Campo-Formio.
Chose inhabituelle, la partition originale comportait des parties déclamées destinées à introduire chacun des mouvements. Une pratique abandonnée en concert et dans les différents enregistrements de cette symphonie. Cela n’empêche pas les férus d’histoire d’écouter cette œuvre en se référant mentalement aux épisodes décrits en musique par Wranitzky. Mais il va de soi que l’on peut également se contenter – et c’est probablement le cas de la majorité des mélomanes – d’apprécier à sa juste valeur cette composition symphonique parfaitement emblématique des magistrales qualités de mélodiste de son auteur.
* Le mot « dilettante » est ici employé au sens qu’il avait au 18e siècle. En l’occurrence, ce mot désignait des instrumentistes non professionnels mais très bien formés et le plus souvent talentueux.
Lien musical : Grande symphonie caractéristique pour la paix avec la République française op. 31 par les London Mozart Players dirigés par Mathias Bamert.
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