Hagiographie de... Séraphin Lampion
Parmi tous les personnages des albums de Tintin lequel vous fascine le plus ? Pour ma part, j'avoue un faible pour Séraphin Lampion.
Celà parceque Séraphin Lampion est en même temps hors norme dans les albums de Tintin et... d'une banalité affligeante !
Le Monde de Tintin, à l’origine, est un monde binaire : il y a les bons et les méchants.
Les bons peuvent être malins (Tintin), intelligents (Tournesol) ou stupides (Les Dupondt), ils sont variés, colorés, mais on les reconnaît, on les classe comme bons.
Il en va de même pour les méchants, machiavélique comme Rastapopoulos, droit comme le Colonel Sponsz. La diversité ne manque pas. Mais il n'y a pas d'ambigüité. Ils sont catalogués : méchants !
Au départ, Tintin est conçu pour les enfants, par un auteur catholique. Il est donc assez logique de retrouver cette dichotomie. La coloration que lui donne Hergé fabrique l’intérêt de ses récits.
Mais si on s’en était tenu là, Tintin serait aujourd’hui tombé dans l’oubli.
Ce qui a fait le succès de cette bande dessinée, ce qui fait qu’elle fascine encore tant d’adultes, c’est l’irruption dans ce conte pour enfants, un peu simpliste que sont les premiers albums du monde du réel.
L’irruption du monde matériel et de ses contraintes arrive au grand jour avec le capitaine Haddock. C’est lui qui aura droit à toutes les tuiles ! Une marche cassée sur laquelle on se casse la figure, c’est pour le Capitaine. Un sparadrap qui ne vous lâche pas du début à la fin de l’album : c’est pour lui.
Cette intrusion des contraintes du monde du réel enrichit évidemment le récit et bâtit son intérêt. Incontestablement, le Capitaine Haddock intéresse plus le monde des adultes. Car il a ses faiblesses (le whisky, mais pas seulement, il est aussi émotif). D’ailleurs ici même sur ce site, un des participants a pris pour avatar, un personnage de Tintin : le capitaine Haddock ! Pas Tintin !
Mais cette première intrusion à ses limites. Le Capitaine Haddock reste profondément bon. Lorsqu’il a des faiblesses alcooliques, il demande pardon.
La mécanique continue à fonctionner sans anicroche.
Cette mécanique cependant, somme toute plutôt ennuyeuse, va commencer à se dérégler, pour notre grand bonheur avec le Professeur Tournesol qui, par sa distraction va aussi gêner le bon déroulement des événements. Contrairement au capitaine, il ne demandera pas pardon pour cela. En ce sens, c’est le premier personnage qui en déraillant parfois, en faisant le zouave, ramène les personnages et le récit… sur Terre, sur Terre où tout n'est pas parfait.
Mais comme le capitaine Haddock, Tournesol reste un gentil. Même s'il lui arrive de faire dérailler un peu les récits il est à sa place.
Wolf, l’ingénieur, sera un cas atypique. C’est un gentil qui a une faiblesse, non pour un vice, mais pour le mal. Par là, Hergé donne un tour dramatique à son œuvre. Il reprend cette recette avec le personnage qui le trahira chez les Picaros.
Dramatiques certes, mais on est toujours dans le conte de fées. Des gentils affrontent des méchants. Simplement certains gentils, comme dans la tradition chrétienne, sont parfois tentés par le Diable.
Mais comme Haddock, comme Tournesol, ces personnages sont bien à leur place dans cet affrontement du Bien contre le Mal. Il s’écartent parfois, mais retrouvent au final leur juste place.
Et c’est vers la fin de l’œuvre de Tintin que va paraître le personnage hors-norme qui va, à notre plus grand bonheur, replonger Tintin, totalement dans le Monde du Réel.
Le personnage ne peut pas être catalogué parmi les bons ou les méchants. Il n’obéit pas à leur code.
Les bons, comme les méchants, reconnaissent la valeur de Tintin, sa suprématie.
Lorsque les bandits photographient Tintin au pied d’un escalier, c’est pour écrire sous la photo « Tintin, se méfier » ! Les méchants craignent Tintin !
Séraphin Lampion, car c'est de lui qu'il s'agit ! ne craint pas Tintin.
Lorsque ce dernier lui adresse un poli « Bonjour Monsieur Lampion », ce dernier répond « Salut galopin ». Bref, pour Lampion, Tintin n’a pas d’importance particulière. Dans ce sens, c’est lui, Séraphin Lampion qui nous ramène dans le monde du réel ! Qui que vous soyez, aussi grand que soyez – De Gaulle disait, je n’ai que Tintin comme rival – il existe toujours quelque part un Séraphin Lampion qui se moque comme d’une guigne de ce que vous croyez être votre renommée ! Séraphin Lampion, vous ramène à l’humilité !
Et Séraphin Lampion ne va pas s’arrêter là ! Non seulement il se moque de votre aura, des vos gallons, mais il va vous mettre des bâtons dans les roues, mieux qu’aucun méchant ne l’a jamais fait !
Lorsqu’il poursuit des bandits, le Capitaine Haddock depuis son hélicoptère, tente d’appeler du secours ! Manque de bol, entre lui et les secours, il y a Séraphin Lampion, et jamais le capitaine ne franchira cet obstacle !
Si le méchant fini toujours par être battu, il n’en est pas de même de Séraphin qui, comme son nom l’indique, se tient droit comme un lampion et ne bougera pas quoiqu’il arrive !
Séraphin Lampion c’est la fin de la victoire programmée, c’est l’atterrissage pour tous… au niveau des pâquerettes !
Là aussi, quelle leçon d’humilité !
Séraphin Lampion travaille pour les assurances Mondass, mondasse comme mélasse, comme poisse comme pétasse ! Ni son nom ni celui de son employeur ne le désigne comme un gentil ou comme un méchant ! Il est juste un casse-pieds !
Ce casse-pieds, c’est le monde réel qui émerge dans les albums de Tintin ! Séraphin Lampion a un employeur qu’il nomme, c’est le premier personnage de la série dont on connaisse l’employeur (hors Tintin pourrait dire, mais on l’a si peu vu écrire, alors qu’on voit régulièrement Séraphin essayer de placer ses assurances !). C’est un personnage aussi qui a une famille, nombreuse d’ailleurs !
Et comme malgré cette irruption tragique, du monde du réel dans ses albums Tintin doit triompher, il convient quand même que de temps en temps M. Lampion se fasse claquer le bec !
A la manière des invincibles envahisseurs Martiens de la Guerre des Mondes, c’est finalement un microbe, celui de la scarlatine, ou plutôt la peur de ce dernier qui le fera fuir à la fin d’un album. Dans un autre, c’est l’inattendu Castiafiore qui le remet à sa place. Ce personnage fantasque réussit là où les ruses et l’intelligence classique des gentils échouent !
C’est pour toutes ces raisons que je garde une certaine tendresse pour le personnage de Séraphin Lampion ! Ni bon, ni mauvais, souvent stupide, mais pas toujours, il ramène nos héros favoris dans notre Monde, il les mets à notre portée ; et c’est pour cela que je l’aime.
Il est en même temps une leçon d'humilité et... un immense espoir ! Il nous montre aussi que rien n'est impossible pour qui ose, pour qui refuse qu'on lui assigne une place à tout jamais !
Alors vive Séraphin Lampion, vive les assurances Mondass et c’est bien heureux qu’elles n’assurent pas contre les casse-pieds !