lundi 10 novembre 2008 - par Vincent Delaury

« Hellboy 2 » : la monstrueuse parade

La monstrueuse parade dans Hellboy 2, les Légions d’Or maudites s’avère passionnante, jusqu’à une certaine limite.

On ne sait plus où donner de la tête tant l’écran,
riche de mille et une merveilles dantesques, est rempli de monstres en tout genre : démons, trolls, elfes et demi-dieux. Bien sûr, parmi tout ce métal hurlant (cf. la magnifique chambre des turbines du générique et du final avec ses poulies, boulons, machines, rails et autres roues dentelées), le clou du film c’est son étrange marché aux trolls, situé sous le pont de Brooklyn, une véritable galerie de monstres. A travers la monstration foisonnante de ce bestiaire fantastique, entre Bosch et Lucas, on y sent la générosité du cinéaste Guillermo Del Toro à l’égard des monstres et des chimères. On devine également sa tendresse, voire empathie, envers l’Autre, celui qui se révèle différent, mais que l’on peut tout de même, par respect ou crainte, nommer, définir, malgré son inquiétante étrangeté. Par exemple, dans cette cour des Miracles, la petite chose zarbie lovée dans la poitrine d’un monstre à la peau tannée n’est pas un nouveau-né comme d’aucuns le pensent, mais un être mutant, « Je ne suis pas un bébé, je suis une tumeur », tient-il à préciser avec sa petite voix d’histrion – tenons-nous le pour dit ! De même, le luxe de détails pour camper et singulariser les monstres témoigne bien de la volonté de Guillermo de prendre le (Del) taureau par les cornes, histoire de nous emporter dans ses histoires gigognes, véritables hommages rendus à la monstruosité plus vraie que nature. On a l’impression d’un monde monstrueux qui serait bel et bien réel.

Oui, c’est certainement ça la marque de fabrique de ce cinéaste hybride, Mexicain travaillant dans le système hollywoodien et en périphérie (Mimic, L’Echine du diable, Blade 2, Hellboy, Le Labyrinthe de Pan) : rendre les monstres aussi vivants, voire attachants, que les humains et, bien sûr, mais ça c’est moins original, révéler la part d’humanité en eux et la part de monstruosité, style l’humain trop humain, en l’homme. Dans cette direction-là, on ne compte plus les bandes filmiques s’y aventurant (de Freaks à The Host via La Fiancée de Frankenstein, Zombie et autres The Fly), ce n’est pas nouveau. Par contre, de toute évidence, le parfum d’originalité de Del Toro c’est qu’on le sent vraiment travaillé par sa propre identification, entre attrait et répulsion, au monstre. Lui, le « gros » geek, ado attardé collectionnant à l’instar de son compère Peter Jackson des jouets et des figurines appartenant au cinéma de genre, et parfois de série Z, se montre fort habile pour parler des problèmes existentiels de ses doubles monstrueux.

Prenons Hellboy par exemple, voilà bien un bonhomme sympathique, mais mal dans sa peau. Il est marqué au fer rouge par son statut de monstre. Sa petite amie pyromane, la « monstrueuse » Liz, le définit par sa couleur, elle l’appelle « Rouge ». Nonobstant, et Del Toro le montre bien, on ne peut cantonner Hellboy, ce Fils des enfers tiré du comics de Mike Mignola (1994), à son apparence (cornes sataniques limées, queue de rat et peau rouge). Cet agent baraqué, et soi-disant top secret, du BPRD (Bureau de recherche et de défense paranormal), malgré son côté éternellement râleur, est doué de raison, de sentiments, et il cherche souvent à faire bonne figure en se montrant humain plus humain. Dans la rue (Hellboy II), des badauds l’arrêtent pour le narguer, il devance alors les critiques (« oui oui, je sais, j’ai une sale gueule  »), se rêvant en mec lambda passant enfin inaperçu. D’ailleurs, à bien des égards, il l’est : il glande devant la téloche avec ses chats, il aime l’alcool, les pizzas, le chocolat, les cigares et prend peur à l’idée de tomber amoureux ou de devenir papa. Ce mutant tiraillé, entre le Bien (sauver le monde dans un comique de situation proche du Bruce Willis de Die Hard) et le Mal (une sorte d’Antéchrist), entre l’humain et le freak (il est né d’une relation entre une humaine et un démon) et entre l’anonymat (se fondre dans la masse) et la gloire (star grande gueule), est un paradoxe ambulant.

C’est cet entre-deux continu qui donne envie de le suivre. Entre-deux qui est à l’image d’Hellboy 2. Film-fusion naviguant entre l’animation japonaise style Miyazaki (le monstre végétal rappelant le Génie de la forêt de Princesse Mononoke) et le numérique à tous crins de Lucas & Cie, il ne cesse de multiplier les figures du double : pour Hell-Boy, né des flammes de l’enfer et invoqué par les nazis pour faire régner la terreur, « sauver le monde est un boulot d’enfer » - il combat depuis le n° 1 (2005) les forces du Mal aux côtés de l’homme amphibie Abe Sapien et de la femme inflammable Liz Sherman. Comme dans Blade 2, un fils (ici, le prince Nuada) tue son père et, pour atteindre son objectif (la guerre contre l’humanité afin de reconquérir la Terre), il marche de pair avec sa sœur diaphane, la princesse Nuala, sur fond de gémellité mortifère et de dualité Eros-Thanatos. Et l’amour déchiré entre Hellboy et Liz se double ici de l’impossible amour entre la princesse Nuala et l’homme-poisson Abe Sapien, qui se verrait bien homo sapiens amoureux, sur fond de Barry Manilow, de sa Belle. En fait, on pourrait énumérer ad libitum les exemples d’entre-deux dans ce film (le gobelin cul-de-jatte, mi-humain mi-outil, la roche devenant golem, le scaphandre habité par un fantôme) et d’entre-trois (l’acteur Doug Jones jouant trois rôles ici, Abe Sapien, le Chambellan et l’Ange de la mort), et on peut savourer, parce que Del Toro est un orfèvre en matière d’images fluides, toute la jolie réflexion sur la matière et « l’informe mode d’emploi » des antres d’Hellboy 2. Le Dr Krauss, génie de la lampe logeant dans un scaphandre, évoque, de par son immatérialité, les nuages de sable dans les rues new-yorkaises de l’Homme-Sable de Spiderman 3, et les bestioles grouillantes dans Hellboy 2 de la vente aux enchères rappellent aussi le symbiote malléable s’attaquant à l’Homme-Araignée. On peut penser également aux 4 Fantastiques (2004, Tim Story) où les différentes phases matiéristes des superhéros (l’Homme-Elastique, la Femme invisible, la Torche et le géant de pierre) viennent quelque peu parasiter la société américaine matérialiste et consumériste, la matière glissant sans cesse entre les doigts. Via ces métamorphoses multiples et ces nouvelles approches perceptives du réel et du surréel, proches de l’esprit surréaliste ainsi que de multiples sources d’inspiration (Dürer, Goya, Edgar Allan Poe, H.P. Lovecraft…), on prend plaisir dans Hellboy II à quitter le monde quadrillé des choses matérielles pour s’aventurer dans l’irréel, dans des mondes en miroirs.

Pour autant, dans ce jeu de la surenchère (plus de monstres bigger than life, de décors vertigineux, de sons qui cognent, d’effets spéciaux tous azimuts), le n° 2 s’aventure par moments dans des terres déjà bien fréquentées (le nec plus ultra du numérique genre Star Wars, Harry Potter et autres Seigneur des Anneaux), il gagne alors en efficacité pyrotechnique (combats dantesques et effets visuels à gogo) ce qu’il perd en poésie. Certes, on n’est pas dans le beaucoup de bruit pour rien parce que Del Toro a suffisamment d’imagination débordante pour nous embarquer dans sa fête foraine filmique. Mais, in fine, un trop-plein tonitruant prend le risque d’une certaine vanité. Ainsi, je préfère le 1er Hellboy parce que je le trouve un peu moins lisse, davantage « bourru » à l’instar de son héros, et surtout, avec Hellboy 2, on n’atteint jamais la « vérité émotionnelle » poétique qui émanait de son crépusculaire Labyrinthe de Pan (2006). Dans ce film fantastique, hanté par la guerre civile espagnole, on naviguait étrangement entre le numérique dernier cri et un je-ne-sais-quoi de plus artisanal, pas si éloigné des effets spéciaux de bric et de broc de Méliès, de Cocteau ou du duo Buñuel-Dalí. Je me dis alors qu’un Del Toro, afin d’éviter au maximum de tendre vers un film standard de major états-unienne, devrait y aller mollo avec l’aspect désincarné du high-tech et davantage truffer son film d’animatronique, vous savez ce système de trucage lo-fi (constitué d’un robot recouvert d’une « peau » afin de lui donner une apparence vivante) que l’on peut croiser dans les monstres réels d’un Dante (Gremlins) ou d’un Carpenter (The Thing). Puisque Del Toro veut donner une concrétude à sa foire de monstres, il devrait mâtiner son tout-numérique façon Lucas d’une poésie de bazar style film bricolé à la Gondry afin de toujours garder son âme de pervers polymorphe et d’être au plus près des peurs enfantines qu’il sait nous faire revisiter avec maestria lorsqu’il est à son meilleur, (re)voir le mystérieux Labyrinthe de Pan pour s’en convaincre. Bref, Hellboy 2, du 3 sur 5 pour moi au compteur, pas plus !



7 réactions


  • Zawgyi 10 novembre 2008 11:16

    J’ai moi-aussi préféré le 1er opus pour plusieurs raisons, qui rejoignent vos critiques. J’ai trouvé le 1er plu sombre, plus profond dans sa simplicité, le fond étant privilégié sur la forme, qualité que je n’ai pas retrouvé dans le 2e. Dans le 2e, le scénario est indéniablement plus léger. Mais, c’est surtout le fait que les nombreuses références au réel, à l’histoire permettaient bien mieux de s’approprier le 1er. Il y avait les références visibles à Lovecraft. Il y avait les personnages (Nazis, Rasputine, etc.). Il y avait enfin le secret. Toutes ces références que nous nous approprions car elles renvoient à des connaissances historiques, à des symboles culturels intériorisés qui nous parlent et qui quelque part projètent l’histoire dans notre monde réel : c’est là le fantastique, se demander où commence et où s’arrête la réalité.

    Dans le 2e, le scénario ne nous parle pas intimement, du coup on garde l’impression de vide à certains moments, d’explications laissées en suspens, notamment sur les motivations des personnages, alors que l’on pouvait facilement s’en référer à nos cours d’histoire pour combler les vides quant aux personnages du 1er. L’histoire est également moins fluide : Del Toro a clairement voulu se faire plaisir en insérant un maximum de monstres. La forme prenant le pas sur le fond, on trouve beaucoup des entre deux dont vous parlez, mais du coup je dirait qu’on se retrouve un peu le cul entre deux chaises, ce qui rend évidemment insatisfait. En voulant faire plaisir à tout le monde (il visait clairement un public plus large que dans le 1er), en voulant se faire plaisir, il ne fait finalement plaisir à personnes. L’histoire d’amour des personnages prend beaucoup de place sur le reste, mais on est malgré tout insatisfaits quant à la psychologie de Abe Sapiens ou à la relation entre Liz et Red. N’aurait-il pas mieux valu faire sauter l’histoire d’Abe et de la Princesse. Quand au docteur Krauss, caricatural dans la vision de l’allemand psycho-rigide, il est clairement de trop et empêche de creuser le reste de l’histoire. Enfin, je regrette également l’éclatement au grand jour du secret de Hellboy, car du coup, je trouve que sa relation avec le monde extérieur, sa motivation pour sauver l’humanité ne sont pas non plus assez approfondies.

    Voilà, je trouve que Del Toro a voulu en faire trop et faire peut-être en un seul film ce qui aurait mérité d’être traité en deux opus. Du coup, je préfère le 1er pour son attachement à une seule histoire, pour sa plus grande simplicité et ses références au réel, pour son côté plus sombre clairement orienté public adulte fan de gothique et non tout public aimant la féérie... bref parce que c’était un film fini, bouclé, ne laissant pas sur la faim, avec un goût de reviens-y. Autant de choses que l’on ne peut pas dire à propos du 2e malgré toutes ses grandes qualités. Car, je dois avouer que malgré tout cela, j’ai beaucoup aimé.


  • morice morice 10 novembre 2008 11:19

     On ne sait plus où donner de la tête tant l’écran, riche de mille et une merveilles dantesques, est rempli de monstres en tout genre : démons, trolls, elfes et demi-dieux.
    Bref, pas du cinéma, ou alors pour les demeurés. C’est marrant comment vous faites des portraits en miroir . " : il glande devant la téloche avec ses chats, il aime l’alcool, les pizzas, le chocolat, les cigares et prend peur à l’idée de tomber amoureux ou de devenir papa. Ce mutant tiraillé.."... serait-ce vous ?


  • E-fred E-fred 10 novembre 2008 18:06

    Je viens d’aller voir ce film "avec les 2 gros" qui ont bien aimés le premier opus...et aussi pour voir si la cinéma us nous prend encore et toujours pour des naïfs...OUI !!!
    Effectivement, le premier est "mieux" que ce numéro 2 qui part dans tous les sens...surtout le sens de Dr Krauss avec les bonne blague (ach mein gott) Dr Cras !! Nein, Krauss ? mit deux S ...ah ah ah...humour plus que douteux, comme le reste du film...qui n’est qu’une apologie de la médiation par les armes et par la destruction (je reste poli, sans S) de tout ce qui n’est pas "aux normes".

    "Quand au docteur Krauss, caricatural dans la vision de l’allemand psycho-rigide, il est clairement de trop et empêche de creuser le reste de l’histoire" le paradoxe, c’est lui qui devient le héro, mais encore plus paradoxal et de mauvais goût, il est sous forme gazeux... !!!


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 10 novembre 2008 18:29

      Zawgyi : " Voilà, je trouve que Del Toro a voulu en faire trop et faire peut-être en un seul film ce qui aurait mérité d’être traité en deux opus. "

      Oui, pas faux, c’est toujours le risque des suites : vouloir en faire trop. C’est rare qu’une suite dépasse ou égale l’original. Enfin, ça peut arriver (Et pour quelques dollars de plus, Le Parrain II, Mad Max 2, Toy Story 2...).


  • morice morice 11 novembre 2008 00:16

     . "C’est rare qu’une suite dépasse ou égale l’original. Enfin, ça peut arriver."
    le sixième épisode de "Oui-oui" est le meilleur, de loin.


  • LoneSlonono 11 novembre 2008 01:27

    ceci dit le 1 comme le 2 restent tout de même deux navets de belle facture.


  • médy... médy... 16 novembre 2008 22:29

    On vous manipule : en faisant l’éloge de la tumeur et de la déformation du corps, on vous fait accepter la mutation post-OGM


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