« Hellboy 2 » : la monstrueuse parade
La monstrueuse parade dans Hellboy 2, les Légions d’Or maudites s’avère passionnante, jusqu’à une certaine limite.
On ne sait plus où donner de la tête tant l’écran, riche de mille et une merveilles dantesques, est rempli de monstres en tout genre : démons, trolls, elfes et demi-dieux. Bien sûr, parmi tout ce métal hurlant (cf. la magnifique chambre des turbines du générique et du final avec ses poulies, boulons, machines, rails et autres roues dentelées), le clou du film c’est son étrange marché aux trolls, situé sous le pont de Brooklyn, une véritable galerie de monstres. A travers la monstration foisonnante de ce bestiaire fantastique, entre Bosch et Lucas, on y sent la générosité du cinéaste Guillermo Del Toro à l’égard des monstres et des chimères. On devine également sa tendresse, voire empathie, envers l’Autre, celui qui se révèle différent, mais que l’on peut tout de même, par respect ou crainte, nommer, définir, malgré son inquiétante étrangeté. Par exemple, dans cette cour des Miracles, la petite chose zarbie lovée dans la poitrine d’un monstre à la peau tannée n’est pas un nouveau-né comme d’aucuns le pensent, mais un être mutant, « Je ne suis pas un bébé, je suis une tumeur », tient-il à préciser avec sa petite voix d’histrion – tenons-nous le pour dit ! De même, le luxe de détails pour camper et singulariser les monstres témoigne bien de la volonté de Guillermo de prendre le (Del) taureau par les cornes, histoire de nous emporter dans ses histoires gigognes, véritables hommages rendus à la monstruosité plus vraie que nature. On a l’impression d’un monde monstrueux qui serait bel et bien réel.
Oui, c’est certainement ça la marque de fabrique de ce cinéaste hybride, Mexicain travaillant dans le système hollywoodien et en périphérie (Mimic, L’Echine du diable, Blade 2, Hellboy, Le Labyrinthe de Pan) : rendre les monstres aussi vivants, voire attachants, que les humains et, bien sûr, mais ça c’est moins original, révéler la part d’humanité en eux et la part de monstruosité, style l’humain trop humain, en l’homme. Dans cette direction-là, on ne compte plus les bandes filmiques s’y aventurant (de Freaks à The Host via La Fiancée de Frankenstein, Zombie et autres The Fly), ce n’est pas nouveau. Par contre, de toute évidence, le parfum d’originalité de Del Toro c’est qu’on le sent vraiment travaillé par sa propre identification, entre attrait et répulsion, au monstre. Lui, le « gros » geek, ado attardé collectionnant à l’instar de son compère Peter Jackson des jouets et des figurines appartenant au cinéma de genre, et parfois de série Z, se montre fort habile pour parler des problèmes existentiels de ses doubles monstrueux.
Prenons Hellboy par exemple, voilà bien un bonhomme sympathique, mais mal dans sa peau. Il est marqué au fer rouge par son statut de monstre. Sa petite amie pyromane, la « monstrueuse » Liz, le définit par sa couleur, elle l’appelle « Rouge ». Nonobstant, et Del Toro le montre bien, on ne peut cantonner Hellboy, ce Fils des enfers tiré du comics de Mike Mignola (1994), à son apparence (cornes sataniques limées, queue de rat et peau rouge). Cet agent baraqué, et soi-disant top secret, du BPRD (Bureau de recherche et de défense paranormal), malgré son côté éternellement râleur, est doué de raison, de sentiments, et il cherche souvent à faire bonne figure en se montrant humain plus humain. Dans la rue (Hellboy II), des badauds l’arrêtent pour le narguer, il devance alors les critiques (« oui oui, je sais, j’ai une sale gueule »), se rêvant en mec lambda passant enfin inaperçu. D’ailleurs, à bien des égards, il l’est : il glande devant la téloche avec ses chats, il aime l’alcool, les pizzas, le chocolat, les cigares et prend peur à l’idée de tomber amoureux ou de devenir papa. Ce mutant tiraillé, entre le Bien (sauver le monde dans un comique de situation proche du Bruce Willis de Die Hard) et le Mal (une sorte d’Antéchrist), entre l’humain et le freak (il est né d’une relation entre une humaine et un démon) et entre l’anonymat (se fondre dans la masse) et la gloire (star grande gueule), est un paradoxe ambulant.
C’est cet entre-deux continu qui donne envie de le suivre. Entre-deux qui est à l’image d’Hellboy 2. Film-fusion naviguant entre l’animation japonaise style Miyazaki (le monstre végétal rappelant le Génie de la forêt de Princesse Mononoke) et le numérique à tous crins de Lucas & Cie, il ne cesse de multiplier les figures du double : pour Hell-Boy, né des flammes de l’enfer et invoqué par les nazis pour faire régner la terreur, « sauver le monde est un boulot d’enfer » - il combat depuis le n° 1 (2005) les forces du Mal aux côtés de l’homme amphibie Abe Sapien et de la femme inflammable Liz Sherman. Comme dans Blade 2, un fils (ici, le prince Nuada) tue son père et, pour atteindre son objectif (la guerre contre l’humanité afin de reconquérir
Pour autant, dans ce jeu de la surenchère (plus de monstres bigger than life, de décors vertigineux, de sons qui cognent, d’effets spéciaux tous azimuts), le n° 2 s’aventure par moments dans des terres déjà bien fréquentées (le nec plus ultra du numérique genre Star Wars, Harry Potter et autres Seigneur des Anneaux), il gagne alors en efficacité pyrotechnique (combats dantesques et effets visuels à gogo) ce qu’il perd en poésie. Certes, on n’est pas dans le beaucoup de bruit pour rien parce que Del Toro a suffisamment d’imagination débordante pour nous embarquer dans sa fête foraine filmique. Mais, in fine, un trop-plein tonitruant prend le risque d’une certaine vanité. Ainsi, je préfère le 1er Hellboy parce que je le trouve un peu moins lisse, davantage « bourru » à l’instar de son héros, et surtout, avec Hellboy 2, on n’atteint jamais la « vérité émotionnelle » poétique qui émanait de son crépusculaire Labyrinthe de Pan (2006). Dans ce film fantastique, hanté par la guerre civile espagnole, on naviguait étrangement entre le numérique dernier cri et un je-ne-sais-quoi de plus artisanal, pas si éloigné des effets spéciaux de bric et de broc de Méliès, de Cocteau ou du duo Buñuel-Dalí. Je me dis alors qu’un Del Toro, afin d’éviter au maximum de tendre vers un film standard de major états-unienne, devrait y aller mollo avec l’aspect désincarné du high-tech et davantage truffer son film d’animatronique, vous savez ce système de trucage lo-fi (constitué d’un robot recouvert d’une « peau » afin de lui donner une apparence vivante) que l’on peut croiser dans les monstres réels d’un Dante (Gremlins) ou d’un Carpenter (The Thing). Puisque Del Toro veut donner une concrétude à sa foire de monstres, il devrait mâtiner son tout-numérique façon Lucas d’une poésie de bazar style film bricolé à