samedi 26 décembre 2020 - par Sylvain Rakotoarison

Hommage à Michel Piccoli (1925-2020), monstre sacré du cinéma français

« C’est un acteur qui a donné le goût de la liberté à beaucoup d’acteurs et actrices. Partout où il est passé, il a réussi quelque chose : être un homme libre. On ne doit pas oublier cette génération. On ne doit pas oublier à quel point ce métier a besoin de liberté. » (Charles Berling, 18 mai 2020 sur France Inter, évoquant Michel Piccoli).

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L’acteur français Michel Piccoli est mort le 12 mai 2020, il aurait eu 95 ans ce dimanche 27 décembre 2020. Michel Piccoli, par sa longévité (à partir de 1945), par ses nombreuses participations, a eu un parcours étonnant puisqu’il fut à la fois une jeune star du premier rôle et un acteur moins star jouant sur de registres très différents, tant au cinéma qu’au théâtre.

Dans les années 1970 et 1980, Michel Piccoli faisait partie des ces "artistes de gauche" qui avaient soutenu la candidature de François Mitterrand comme "allant de soi". On peut voir l’origine de cet engagement contre les "puissances de l’argent" dans la carrière de son grand-père maternel Charles Expert-Bezançon, sénateur radical et industriel de la peinture accusé d’avoir intoxiqué au plomb ses employés.

Cette longévité artistique s’est traduite par la proximité d’acteurs et de réalisateurs, mais aussi d’artistes (plus généralement) de légende, on peut citer (sans être exhaustif) Juliette Gréco (bien sûr), qu’il a épousée, Brigitte Bardot, Madeleine Renaud, Luis Bunuel, Jean-Pierre Melville, Jean-Luc Godard, Jean Renoir, Costa-Gavras, Hitchcock, Agnès Varda, etc.

Pour rendre hommage à ce grand acteur dont j’ai adoré l’un des tout derniers rôles en 2011, celui d’un (vieux) cardinal élu pape qui renonce à son élection (interprétation d’autant plus remarquable et crédible qu’il était paradoxalement plutôt athée), je reprends ici quelques éléments éparses d’un hommage très soutenu que la radio France Inter avait fait lors de l’annonce de ce décès, le 18 mai 2020 (annonce avec six jours de décalage).

Dans la soirée du 18 mai 2020, en effet, a été rappelée l’excellente interview par Laure Adler du 17 janvier 2009 au Studio Théâtre. Marqué par un frère qu’il n’a pas connu, Michel Piccoli expliquait qu’il concevait la liberté comme un changement permanent de ses modes d’expression (cinéma, télévision, théâtre qu’il préférait) et comme une prise de risques. Notamment au théâtre où il a joué des rôles très différents, ou lu des poèmes, etc. (Courteline, Paul Claudel, Racine, Félicien Marceau, Molière, Tchekhov, Bernard-Marie Koltès, Arthur Schnitzler, Marivaux, Shakespeare, Ibsen, René Char, Sacha Guitry, Thomas Bernhard, etc.). Il a même fait de la scène à Avignon pour Pierre Boulez né quelques mois avant lui. En somme, se remettre toujours en cause pour progresser. Michel Piccoli a aussi prêté sa voix à Chateaubriand dans le film "Le Souper" d’Édouard Molinaro avec Claude Brasseur et Claude Rich.

Interviewé par Vincent Josse le 15 janvier 2009, Michel Piccoli évoquait le trac au théâtre de manière assez simple : « Je n’ai jamais eu peur de monter sur scène. Je monte sur scène depuis l’âge de 9 ans. J’ai extrêmement peur pendant les répétitions. Dès qu’elles sont terminées, quand je suis soi-disant prêt à exécuter, tout va très bien. Le public m’amuse et ne m’angoisse pas. C’est très amusant d’avoir le culot de se retrouver devant dix-sept ou mille spectateurs, oui, vraiment, ça m’amuse ! Être là devant des gens muets et raconter à haute voix une histoire que je crois extraordinaire et les voir fascinés. ».

Hommage à Michel Piccoli

Dans l’émission "Hors-Champs" diffusée le 18 décembre 2009 sur France Culture, Michel Piccoli racontait encore sa passion du théâtre et des grands auteurs et metteurs en scène.

Quarante ans plus tôt, il était l’invité de l’émission fameuse de Jacques Chancel "Radioscopie" du 29 octobre 1968 à l’époque où il jouait le premier rôle dans une adaptation d’un roman de Françoise Sagan, "La Chamade" d’Alain Cavalier (sorti le 30 octobre 1968), avec Catherine Deneuve. Dans cette émission, il a parlé de son lancement au cinéma par un film de Jean-Pierre Melville, puis par un film de Jean-Luc Godard, son réalisateur préféré, aux côtés de Brigitte Bardot ("Le Mépris").


Ces quatre émissions, on peut les retrouver sur Internet grâce à cette mémoire vivante de l’audiovisuel. On peut aussi retrouver cette émission spéciale du journal de 13 heures, animé par Bruno Duvic, le 18 mai 2020 sur France Inter, qui avait rassemblé un certain nombre d’invités pour évoquer la mémoire de Michel Piccoli.

Charles Berling, par exemple, disait : « Au fond, c’est l’homme de tous les contraires, et je crois que la société a besoin de ça, elle a besoin de cette contradiction. ». Il confiait ainsi que ce cardinal élu pape ("Habemus papam"), c’était un film où les assureurs avaient refusé de l’assurer pour le tournage, mais il l’a quand même tourné. Et d’ajouter : « On avait toujours l’impression, quand on le voyait, que ça sortait comme ça. Piccoli, c’est ‘insaisissable. Il va faire ce que doit faire un acteur : c’est-à-dire rentrer dans un univers, servir un univers. ».

Jane Birkin aussi a été très touchée par l’annonce de sa disparition : « Une des personnes les plus formidables dans tous les sens, comme être humain et comme acteur. C’est quelqu’un qui était tellement présent. Travailler avec lui était génial. Il était fantasque dans sa performance, et en même temps, très modeste dans ses rapports avec les autres. En revanche, très exigeant de lui-même. ».

De son côté, le réalisateur Yves Jeuland pouvait témoigner : « Il était à la fois triste et farceur. Sa faculté d’aller dans toutes les directions m’a attiré. Ce qui l’intéressait dans ses choix, c’était la relation qu’il allait avoir avec le réalisateur. Par exemple, c’est un acteur qui n’avait pas d’agent. (…) Plus de soixante-dix ans de théâtre, télévision, cinéma, sa carrière est gigantesque. Pour autant, c’est un acteur qui n’était jamais là où on l’attendait. Il était pudique d’une certaine façon. Et pourtant, il avait aussi ce côté exubérant. C’était aussi un homme de troupe. ».

Critique de cinéma, Laurent Delmas confirmait : « C’est quelqu’un qui a pris des risques. Il n’a jamais coulé dans un moule facile de cinéma à succès. ». Journaliste sur France Inter, Eva Bettan aussi le peignait de cette manière : « Il y a l’image du grand bourgeois par moment, et il la casse le lendemain. ».

Probablement que la réaction la plus touchante est venue de l’actrice Emmanuelle Béart, qui a joué avec le peintre Michel Piccoli dans le très beau (et long) film de Jacques Rivette "La Belle Noiseuse" (sorti le 4 septembre 1991) : elle était le modèle du peintre, et était en scène aussi Jane Birkin, la femme du peintre qui était l’ancien modèle pour un tableau inachevé.

Dans une lettre lue par Augustin Trapenard le 19 mai 2020, Emmanuelle Béart parlait du monstre sacré : « Tes gestes tes regards tes mots, ta voix résonnent comme la beauté du cinéma en plein soleil, toutes générations entremêlées. (…) Loin du bruit et de la fureur, sans mépris, toi, si limpide, au rythme tranquille, au sourire ravageur que traduit ma tendresse de deux grands yeux rieurs. ».

L’ancienne modèle fut modelée : « Michel, tu les aimes, mes fesses ? Pardon de cette indélicatesse, tu as rendez-vous, je ne veux pas te retenir, juste te dire que le combat continue, que ce corps que tu as pétri et pétri et repétri (…) n’oublie rien de ce que tu lui as insufflé. Le combat continue entre l’ombre et la lumière, entre la lucidité et la ferveur. En désaccord avec notre temps, c’était, dis-tu, notre raison d’être. ».

95 ans, c’était l’occasion très modeste d’un retour à ce montre sacré, que son souvenir reste vivant chez les cinéphiles…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (20 décembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu



Pour aller plus loin :
Le mari de Brigitte Bardot.
Michel Piccoli.
Robert Hossein.
Claude Brasseur.
Jean-Louis Trintignant.
Jean-Luc Godard.
Michel Robin.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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