samedi 4 mars 2023 - par Sandro Ferretti

Jeanne Added : supplément de talent

Elle est installée depuis 10 ans dans la « niche » des icônes classieuses et atypiques du chant : un charme à déclencher les bagarres, de l’élégance, un zeste de classe. Pudique, discrète, cérébrale. Du mystère à tous les étages. Jeanne Added déteste les grands axes : avec elle, faut prendre les contre-allées. Ancienne chanteuse lyrique très précoce, puis de jazz, elle n’est venue qu’à 33 ans à « la chanson », même si c’était uniquement en anglais,...

« Pour se planquer », dit-elle. « Moins les gens comprennent mes textes, mieux je me porte, sinon, j’ai l’impression d’être à poil sur une place publique ».. Elle n’est pas de celles qui rameutent tout l’étage avec leurs vocalises, ni ne déclenchent les alarmes d’incendie du faux plafond des hôtels. Celle qui eu longtemps le look d’une punkette androgyne persiste, en interview, à faire des phrases avec « sujet/verbe/complément ». Bref, une rareté...Vous l’aurez deviné, on ne va pas parler ici « chansonnette » ( la belle a tout de même deux victoires de la musique au compteur du flipper -et presque trois, diront ceux qui ont vu sa prestation du 10 février dernier, où elle était encore « nominée »- )

Non, on va parler musique, émotion, « note bleue ». D’un « supplément de talent », comme on parle pour un livre ou certaines personnes d’un « supplément d’âme ».

Avec votre accord, je vais « vous la faire à l’envers » : partir de la fin, pour reculer jusqu’au début du film, comme lorsqu’on appuyait sur « rewind » au temps des K7, lorsque, en voiture, on se retourne, la main autour de l’appuie-tête du passager, pour faire la route à l’envers.

 

 Alors l’instant actuel, c’est cette courte interview en février 2023 au bar des « Victoires de la musique », quelques minutes avant la cérémonie, dans l’attente d’un troisième couronnement (qui ne viendra finalement pas cette année).

J.A, c’est aussi cela (actuellement sur les bonnes platines et radios).

Pour ceux qui ne connaîtraient Jeanne Added (« ajout », ou « supplément », en anglais) que par ce morceau, le risque est grand de passer à coté de la miss. On croirait à une banale séquence un peu sucrée sur le thème de la séparation, une version moderne de « The winner takes it all », exécutée par une fille à jolie voix, au « body langage » minimaliste mais très travaillé.

Erreur. Jeanne Added est plus dans le salé que dans le sucré, celui des larmes ravalées de la rémoise arrivée avec larmes et bagages dans le « Ach, Parisss », sans y croire vraiment.

 Et surtout, chanteuse de jazz dès 17 ans, elle a appris à lire et comprendre la musique dans une école spécialisée dès 7 ans, bien avant de maîtriser les chiffres et les lettres. C’est sans doute une des rares « chanteuses » de moins de 40 ans (42, pour être exact) qui soit capable de chanter uniquement à la lecture d’une partition. Et qui, jusqu’à 2021, ne composait qu’en anglais.

De formation classique, chanteuse lyrique à ses débuts, cette fille étrange « envoie dulourd » à 10 mètres et dispose d’une culture musicale étendue : elle peut parler des heures d’un morceau du Velvet Underground de Lou Reed comme de Nick Cave, de Patti Smith comme de Lord Huron, d’Otis Redding comme de ...Michael Jackson (si, si, personne n’est parfait…)

A 30/ 35 ans, elle n’aimait pas qu’on lui dise qu’elle ressemblait à Agnès Soral dans son rôle de « punkette au grand cœur » de « Tchao Pantin », de Claude Berri.

Les années ont passé, la coupe a changé, mais elle n’aime toujours pas. Ni qu’on évoque son « hypersensibilité », ou qu’on la désigne comme « l’écorchée vive du solfège », « l’androgyne de l’électro » et autres poncifs à trois balles.

Ni qu’on aborde avec elle au bout de cinq minutes le féminisme, sa féminité masquée dans les vestes floues, comme d’autres planquent la poussière sous le tapis, ou les thématiques LGBT. Même si elle en parle volontiers quelques heures plus tard, au café, si on a « réussi les tests préliminaires » et qu’elle est en confiance.

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Elle fuit les déontologues auto-proclamés des terrasses de Boulogne.

Sous le jean prometteur, comme une frangine de Bashung : pas celui de l’icône classieuse et vénéneuse de la fin des 90’s et des années 2000. Non, celui de « Martine boude », de « bijou, bijou » et de « j’sors avec ma frangine » (pour ceux qui ont encore un peu de mémoire reptilienne dans le cortex.)

La coupe à la Jeanne Mas - version blonde - et le bomber était une fausse piste : elle tient plus, vocalement au moins, de la Carmel de « I am not afraid of you », ou de Hannah Reid, des « London Grammar ».

Du reste, Jeanne Added, qui n’a longtemps chanté qu’en anglais, c’est notre « London Grammar » à nous, extirpée des caves crayeuses de sa Champagne natale pour nous envoyer du bon son dans nos sonotones, quand sonne l’automne.

En continuant en marche arrière, on en arrive à ces deux « classiques » de 2019, froids et sophistiqués, une sorte de David Bowie au féminin.

 Ou encore -Mutate- sans doute sa plus belle :

 Ou encore -falling hearts- ( aux nuits de Fourviere)

Et on arrive enfin à cette belle interview de 2015, sa première un peu « fouillée », où sont esquissées les pistes de ce que sera finalement la Jeanne Added d’aujourd’hui.

Un zeste de timidité, une gestuelle un peu embarrassée, une émotion mal maitrisée mais une belle interview :

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Crédit photo : Marikel Lahana, SDP

 



30 réactions


  • S.B. S.B. 4 mars 2023 16:05

    Elle dit certaines choses très vraies, et qu’on entend peu, dans des interviews écrites. Mais je crois que son art n’est pas pour moi.

    Bonjour.


  • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 4 mars 2023 19:10

    Bonsoir Sabine,

    Un diner avec un personnage de ce genre, ce sont deux heures volées à la vulgarité, aux « rezocosio », aux Kevin, aux Bac moins 12... La grâce, les mimiques, les nuances de gris, pas de noir et blanc.On l’écoute, on regarde, on ne dit rien.

    PS:ce qu’elle dit dans la 1ere interview ( « Vinyle », avec Juan Massenya) sur Rachid Taha ( et de façon assez sensible) semble très partagé avec tous ceux qui l’ont connu. Jean Fauque, qui a écrit pour lui, en parle encore avec émotion. Rudolphe Burger aussi.


  • S.B. S.B. 5 mars 2023 10:55

    Dans la dernière interview de l’article, on lui dit tout de suite qu’elle est « atypique ». On aimerait donc savoir ce que signifie être... « typique »... ?

    Pour un artiste, être pris dans un tourbillon médiatique, devoir répondre à ces réflexions ou à des questions du genre « D’où vous vient votre inspiration ? », comment dire... à moins d’être vraiment blindé, ça doit être à la fois très vain et très difficile.


  • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 5 mars 2023 14:07

    Pour connaitre un (très) peu la dame,ou plutôt la deviner, je pense qu’elle s’en moque un peu, sans être dupe pour autant.

    Qu’est-ce qu’être « typique » dans la musique / chanson, (même celles des rivages un peu marginaux ?)

    « J’sais pas , pas », comme disait le grand en allé.

    Peut être tatouages, tik tok,Noël aux Maldives, février« à Courch. » , juillet à Monaco , selfies retouchés au filtre, ou « je vous le dis en exclusivité : c’est fini avec Kevin, et après une période ressourcement sur moi-même de 2 jours et demi (...), suis heureuse de vous présenter Jimmy, rencontré à la fashion week, qui est l’homme de ma vie » ( sic). Enfin, jusqu’au mois prochain....Voui, voui..

    Sinon, (même si l’intervieweuse est moins pointue et plus « généraliste »/ tous public) il y a aussi des questions moins con qui lui sont posées, comme ici.

    https://www.youtube.com/watch?v=S7LW8ZmF3YA


  • S.B. S.B. 5 mars 2023 15:24

    C’est fini avec Kévin ?

    Non ?!

     smiley


  • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 5 mars 2023 17:23

    En ré-écoutant l’interview « Vinyle », au passage où elle dit qu’elle ne veut pas utiliser la séduction comme « outil de travail », ne pas faire de la musique de fille mais de la musique tout court, qu’elle veut qu’on l’écoute, pas qu’on la regarde, je pense aussitôt (quand on voit le charisme de la miss), à ce vieux Noir Dez , « Où veux-tu que je regarde » ? ( « mais y ’a que toi, là »..etc)

    https://www.youtube.com/watch?v=ZUm9on9pbmc


  • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 7 mars 2023 08:16

    Vocalement (mais pas que), Jeanne Added me fait immanquablement penser à deux OVNI du chant, dont je parle dans l’article :

    Carmel, dans « I am not afraid of you » ( 86 quand même, vocalement cà ne bouge pas, mais pour ceux qui comprennent les paroles...La soumission aux violences conjugales... passé de mode.)

    https://www.youtube.com/watch?v=fgkw47HLxH8

    -London Grammar et la voix d’un autre monde d’Hanna Reid

    https://www.youtube.com/watch?v=on1QEcz1sTI


  • S.B. S.B. 7 mars 2023 18:35

    Bonjour,

    De la performance vocale, pas d’émotion.

    Sauf chez Carmel, mais pas dans ce morceau.

    Définitivement je n’aime pas cette froideur.


  • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 11 mars 2023 19:10

    Au studio Harcourt, avec la belle guitare de Maxime Delpierre

    https://www.youtube.com/watch?v=wRoLfDOSfas


  • Pauline pas Bismutée 12 mars 2023 00:29

    Bonjour,

    C’est marrant les ressentis…for Jeanne added, something is missing, je ne sais quoi..

    Mais pour celui qui voyage en solitaire, c’est toujours là.


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 12 mars 2023 00:44

      @Pauline pas Bismutée
      Man , c’est...


    • Pauline pas Bismutée 12 mars 2023 01:28

      @Aita Pea Pea

      Salut Aita, homme de peu de mots, et qui ne s’étale pas.
       smiley


    • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 12 mars 2023 09:22

      @Pauline pas Bismutée
      Difficile de comparer un Brouilly avec du Sprite.
      Les deux sont la même autoroute, mais pas sur la même file.
      Y’en a même une qui est sur la bande d’arrêt d’urgence.
      Faut de tout : du vieux diesel régulier et fiable, et puis des Ferrari fulgurantes mais fragiles.


  • chat maigre chat maigre 12 mars 2023 00:30


    La chanteuse et violoncelliste Jeanne Added, formée au Conservatoire de Paris et à la Royal Academy de Londres, choisit de s’orienter très tôt vers la musique. C’est un violoncelle et non une guitare électrique qu’on lui colle entre les mains à l’âge de 7 ans


    ça explique beaucoup de chose et je comprends mieux cette grande maitrise qui se dégage d’elle et de sa musique smiley


  • S.B. S.B. 14 mars 2023 20:44

    Ca n’a rien à voir mais, un chic type non ?

    https://www.youtube.com/watch?v=Y5KWzJyEwLI 


    • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 15 mars 2023 11:29

      Oui. Il y aurait pas mal à dire sur beaucoup de ce qu’il évoque, mais pas ici, même sous pseudo.
      (Sur une terrasse, peut être, avec soleil mais pas de vent, ça renverse les verres de rosé sur la table et ça tache les vêtements...—)
      Le concernant (même si je ne suis d’ordinaire pas fan du tout de Léa Salamé, mais là elle joue bien sa partie) je préfère cette itw de lui ( moins de pathos, plus de justesse, y compris sur la définition de l’art, à la fin).
      https://www.youtube.com/watch?v=En5Zl_Nb27s

      Pour moi, ce ne sont pas les personnages de Mickey sur les murs en papier peint qui passent parfois me voir la nuit, c’est un sac plastic avec une bouillie de cerveau dedans, et un plastic scotché au dessus du canapé, pour ne pas tacher. L’élégance...


    • S.B. S.B. 15 mars 2023 13:01

      @Sandro Ferretti

      « ce qui nous permet de nous débarrasser du reste du monde »...
      Ou ce qui nous permet, dans ce monde, d’être nous-même, enfin.

      De très chics types ces Sandro.
      (Le vent est fantastique. C’est la vie.)


  • Pauline pas Bismutée 25 mars 2023 00:16

    @ S.B et Sandro

    Merci d’avoir mis ces interviews (Olivier Marchal) en ligne (celui-la, dans la vraie vie, aucun problème !).

    Une crise en chasse une autre, les manifs chassent la guerre en Ukraine, qui chasse la Covid, qui..

    Beaucoup de russes (les riches, comme d’hab) déferlent maintenant en Asie, pour rester.

    Il faut se réserver des plages (des vraies ou imaginées, pour survivre les prochaines dix secondes ?)...

    L’interview de Marchal…à un niveau bien, bien, bien moindre, on est quelques-uns (unes) à avoir des images tatouées au fer rouge au fond des rétines….(je comprends presque trop bien ce qu’il raconte, je devrais commencer à picoler)

    J’ai un faible pour les écorchés vifs, ceusses qui ne se remettent pas tout à fait d’être encore en vie dans un monde de plus en plus glauque.

    PS Un énorme astéroïde vient de manquer la terre, so far, so good....


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