vendredi 19 avril 2019 - par Noël P.

Kiev, futur centre névralgique de l’art européen ?

Six ans après le début du mouvement populaire européiste qui accéléra l’Histoire du pays, l’Ukraine est en passe de devenir un élément moteur de l’art contemporain du continent. Le temps des grandes statues soviétiques représentant la kolkhozienne et l’ouvrier brandissant la faucille et le marteau semble révolu. Dorénavant, l’art ukrainien, ses artistes et ses mécènes se tournent vers des modèles tenant de New-York, de Londres, de Berlin et de Paris.

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Depuis la chute de l’URSS et l’indépendance de l’Ukraine, la culture du pays restait fortement pétrie par le “grand frère” russe. Les séries télévisées étaient les mêmes des deux côtés de la frontière. Les enfants lisaient en grande partie les mêmes classiques, les adultes se rendaient au cinéma pour voir les mêmes films. Bref, la culture unissait les deux pays sous couvert de la bonne entente de leurs dirigeants respectifs.

Le critique d’art ukrainien Kostyantyn Dorochenko explique que « Moscou a toujours eu plus d'argent, plus d'opportunités » et que « la vieille vague d'artistes ukrainiens a été influencée par le public russe, les goûts russes et le secteur russe  ». Les événements de la fin 2013 et de 2014 ont changé la donne. En réponse aux tensions entre les deux pays, des artistes ukrainiens ont boycotté une biennale d'art en Russie. Ce boycott fut décisif dans le réveil de l’art ukrainien. Kostyantyn Dorochenko le confie : « le prestige russe s'est effondré en un instant ».

La redécouverte

Depuis cette cassure, l’Ukraine a entrepris un travail de redécouverte et de valorisation de son patrimoine culturel, historiquement riche. C’est ainsi que la capitale ukrainienne a été au cœur du monde de l’art moderne à la fin du mois de février. Pour célébrer le 140e anniversaire de la naissance du peintre ukrainien Kasimir Malevitch, une magnifique exposition lui a rendu hommage à travers ses œuvres au sein du M17 Contemporary Art Center de Kiev. Parmi les partenaires, on retrouve le prestigieux Malevitch Institute, le Musée d’art national d’Ukraine ou encore l’UART, la Fondation pour la diplomatie culturelle de l’Ukraine, fondée par Serge Ossipenko. L’événement a été une réussite et a permis au public de se réapproprier une histoire de l’art ukrainien longtemps minimisée. « Il est temps de rouvrir et de découvrir des pages inconnues de la vie créative malevitchienne, l’influence de l’arrière-plan ukrainien sur son style et la scène d’avant-garde mondiale » a d’ailleurs déclaré Serge Ossipenko, à l’occasion du forum international.

Nouvel art contemporain

Mais le bouillonnement culturel ukrainien ne s’arrête pas à la redécouverte de figures artistiques du passé. Loin de l’ancienne tutelle de l’encombrant voisin, la jeunesse se tourne vers d’autres horizons. Les groupes électro, électro-pop se multiplient et enflamment les clubs huppés. Le street-art habille les murs de Kiev. Le prix Pintchouk - du nom de l’homme d’affaires et mécène ukrainien Viktor Pintchouk - qui existe depuis 2010 a pris une ampleur internationale ces dernières années. Ouvert à toutes les nationalités, ce prix permet de mettre en avant Kiev comme un véritable centre artistique à l’échelle du continent. Cette année, c’est la réalisatrice lituanienne Emilija Škarnulyté qui a remporté le prix et les 100 000 dollars de récompense (dont 40 000 au moins doivent être consacrés à la création).

En 2018, 32 millions d’euros - un record depuis l’indépendance du pays - furent attribués à l’industrie nationale du cinéma. Le législateur a également fixé des quotas télévisuels et radiophoniques : ainsi, les chaînes de télévision doivent diffuser au moins 75% de programmes ukrainiens alors que les radios sont dans l’obligation de diffuser 35% ou plus de chansons en ukrainien. Cette politique volontariste a permis l’émergence de nouvelles formations artistiques, au talent indéniable.

Exemples frappants de cette nouvelle scène ukrainienne, les projets artistiques de Vladislav Troitskiy - directeur du théâtre Dakh, fondateur du groupe ethno-chaos « DakhaBrakha » - ont essaimé à travers le monde. Le groupe, dont le nom signifie « Donner / Prendre », marie dans un maelström envoûtant et bigarré des éléments issus des cultures ukrainienne et du monde : violon et djembe, zgaleyka et didjeridoo, garmoshka et accordéon. Après les États-Unis et l’Asie, DakhaBrakha s’est récemment produit à Paris, au théâtre du Châtelet, où il a charmé une foule d’auditeurs, fascinés par l’ambitieux mélange de modernité et d’authenticité. Un métissage qui sert de boussole à l’art ukrainien d’aujourd’hui.



3 réactions


  • sls0 sls0 19 avril 2019 14:10

    L’art contemporain est l’art pour placer du fric, l’art des spéculateurs.

    Je ne vois quand même pas quelqu’un investir des 100 000$ dans une croix gammée en grafiti.


  • Doume65 19 avril 2019 15:24

    Bien, l’art ukrainien s’émancipe de l’influence Russe pour passer sous celle des USA. On ne sera pas étonné, c’est dans le vent de l’histoire imposée par l’atlantisme. Du reste le prix Pintchouk

    n’est pas en grivnas, ni même en euros (alors que l’Ukraine prétend vouloir rejoindre l’UE)

    mais en dollars. l’Ukraine aurait pu devenir indépendante mais ne le sera pas.


  • V_Parlier V_Parlier 19 avril 2019 21:52

    J’imagine que cet article traite des préoccupations principales de l’ukrainien moyen en ce moment...


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