jeudi 28 juillet 2011 - par NewsofMarseille

L’abbaye Saint-Victor

Ben Laden, Saint-Victor des temps modernes ? Un soldat, un martyr dont le cadavre a été jeté à la mer… Mais la comparaison s’arrête là ! Au contraire de l’ancien chef taliban, Saint-Victor a, lui, été exécuté pour avoir refusé de persécuter des êtres humains au nom de leur foi (1).

Nous sommes au tout début du IVe siècle. À Marseille commence une nouvelle persécution contre les chrétiens à laquelle refuse de participer un certain Victor, militaire qui se revendique croyant.

Ce Victor : une légende des siècles qui finit comme un Misérable… Puisque après avoir été supplicié, la légende dit que son corps a été jeté au Vieux-Port où des chrétiens l’auraient récupéré pour l’inhumer. Et c’est à proximité de sa tombe que Jean-Cassien, apôtre du monachisme, fonde l’abbaye Saint-Victor, un siècle plus tard, vers l’an 415.

L’abbaye Saint-Victor de Marseille a donc le même âge que la basilique Sainte-Sophie d’Istanbul qui s’appelait à l’époque Constantinople… Mais à la différence du monument turc qui est devenu mosquée et aujourd’hui musée, l’édifice d’art roman provençal demeure un lieu de culte.

Pourtant, la Révolution a porté un baiser de Judas au monastère qui avait déjà été sécularisé en 1739. Détruit pierre par pierre pendant plusieurs années, Saint-Victor n’est aujourd’hui plus qu’une église abbatiale, seul vestige de l’ancienne abbaye médiévale, rendue au culte en 1804.

Ainsi, Saint-Victor revient en odeur de sainteté… Et à peu près à la même époque, le site s’apprête d’un autre arôme : celui de fleur d’oranger ! En effet, à l’image de ses confrères Nectaire ou Marcellin devenus fromages ou de son collègue Emilion admirablement vinifié, Saint-Victor veut sa spécialité gastronomique. Elle sera locale : la navette de Marseille !

La plus vieille boulangerie marseillaise, voisine du sanctuaire, « Le four des Navettes », doit alors une fière chandeleur à Saint-Victor ! Et réciproquement. En effet, en 1781, le maître boulanger Antoine Lauzière ouvre sa boulangerie… et l’appétit des marseillais ! Il fabrique des biscuits oblongs qui rappellent soit la forme d’une nef, comme celle de Saint-Victor, soit celle d’une barque, comme celle empruntée par les premiers chrétiens arrivés en Provence qui compteraient, d’après la tradition, Marie Madeleine et Lazare, l’évangélisateur de la Provence et futur saint-patron de Marseille.

Depuis, à chaque chandeleur, l’archevêque de Marseille vient à l’aube à Saint-Victor éclairé de cierges verts, bénir la ville, puis la première fournée des navettes, en remontant de quelques mètres la rue Sainte. Mais, sur la recette copiée depuis Lauzière, son successeur Aveyrous, ou l’actuelle dynastie Imbert, on reste au fournil muet comme une tombe… Comme celle exhibée à l’entrée de l’église voisine !

Plusieurs sarcophages sont effectivement exposés à Saint-Victor. Incompréhensibles pour le commun des mortels, ces vieilles dalles funéraires riches d’inscriptions latines rappellent la scène d’ « Indiana Jones et la Dernière croisade » dans les sous-sols de Venise… Et en attendant la réouverture de la crypte, les lettrés qui préfèrent le Da Vinci Code pourront nourrir leurs insolites divagations de la présence de la vénérée Vierge Noire dans la chapelle de confession : si la vierge Marie peut être noire, alors pourquoi son fils ne l’aurait-il pas été ? Jésus noir, ce sont des théories qui se multiplient comme les petits pains sur internet, et ce serait également une remise en cause de certaines doctrines racistes…

- Raciste ! Moi raciste ? Salomon… Raciste ! Enfin, Dieu merci, Antoinette épouse un français bien blanc !

Ainsi piaille Louis de Funès dans Les aventures de Rabbi Jacob, jouant le rôle d’un autre Victor : Pivert ! Mais ce sont davantage les pigeons qui rôdent aujourd’hui autour de la place Saint-Victor. Cette petite esplanade, et ses six bancs, si rares à Marseille, offre un beau panorama sur le Vieux-Port. Sur sa rive opposée, s’élève majestueusement la néobyzantine cathédrale de la Major, entourée de la romane église Saint-Laurent et du rescapé clocher des Accoules. Surtout, à l’entrée du Lacydon, les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas semblent être la continuité naturelle de Saint-Victor et ses tours crénelées, édifiées sous l’abbatiat de Guillaume de Grimoard, devenu pape sous le nom d’Urbain V.

Moins imposant et moins voyant est le médaillon sculpté juste au dessus de la petite porte d’entrée de l’édifice. Il représente la légende selon laquelle Saint-Victor a terrassé un dragon qui hantait les rives du Vieux-Port. Le monstre des calanques a depuis disparu, de même que la belle fontaine qui ornait la place Saint-Victor de 1773 à 1877. Formée d’une colonne surmontée d’un chapiteau, elle était un point de rencontre pour les habitants du quartier mais elle servait aussi aux musulmans de passage à Marseille désireux de faire leurs ablutions. De quoi doucher les ardents espoirs de feu Ben Laden…

Michel Callamand - News of Marseille

(1) A noter que par la suite, les chrétiens n’ont pas tous suivi l’exemple de Saint-Victor… Comme l’indique Frédéric Lenoir : « Un grand tournant a eu lieu lorsque le christianisme est devenu la religion officielle de l’empire romain. De persécutés à cause de leur foi, ils sont rapidement devenus persécuteurs au nom de leur foi. » (Frédéric Lenoir, Le christ philosophe, Plon, 2007, p. 19.)



3 réactions


  • Laratapinhata 29 juillet 2011 03:06

    Oh la la... et quelque décennies après Saint Victor... retournement de situation... Le Christianisme devenait religion d’Etat , et partout dans l’empire romain on fermait, saccageait les temples païens, et commençait la longue persécution de tous les non-chrétiens... le baptème ou la mort !


  • Marseillais1954 1er août 2011 21:16

    Vivant et amusant !


  • lolo13 14 novembre 2011 16:56

    Ben laden, De funes, saint emilion !!!!! C’est osé ! Et pourtant, ça marche ! fluide et ludique


Réagir