mardi 24 avril 2012 - par jack mandon

L’équipier...sentiments croisés du bout du monde

Philippe Lioret livre ici un film solide, profond qui marque et donne envie de se plonger dans la nature bretonne pour y retrouver les parfums d'embruns et la violence de la mer...

www.youtube.com/watch ?v=s5I2_pQ11Go

A Ouessant, Camille passe une dernière nuit dans la maison de son enfance dont elle a décidé de se séparer. Un livre providentiel lève le voile sur un secret familial. Avec la magie de l'image, nous sommes entraînés par la lectrice dans une quête introspective.

1963, à cette époque, un jeune homme est venu faire équipe avec son père, gardien du phare de la Jument. Son séjour fut bref, deux mois... L'homme bouleversa cependant l'existence des habitants de l'île. C'est avec une infinie délicatesse que le metteur en scène P. Lioret jongle merveilleusement dans un jeu contrasté avec l'âpreté insulaire. Grâce à lui, l'amorce gestuelle, les sentiments naissants émerveillent jusqu'aux larmes tant la communication se fait par delà les mots. Composé sous la forme d'un retour en arrière englobant l'ensemble de la narration du film, "l'équipier"se déroule sur un mode intimiste. Il est porté par des acteurs en parfaite adéquation avec leur rôle.

Sandrine Bonnaire, « Mabé »effacée et mystérieuse est submergée, éperdue, envahie par une passion qu'elle ne comprend pas. Face à face dans un registre verbal surprenant, Philippe Torreton « Yvon » et Grégori Derangère « Antoine »s'affrontent sur le mode conciliant et combatif. Duels silencieux, propos laconiques à multiples sens et plusieurs degrés qui captent notre attention, piègent nos émotions et stimulent notre curiosité. . Philippe Torreton campe sans conteste, un breton plus vrai que nature. Trois merveilleux acteurs, personnages sincères pris dans une triangulation complexe, comme dans un filet, la situation cornélienne.

Quand il composa la musique du film, Nicola Piovani garda toujours à l'esprit la notion de délicatesse et discrétion. "Sentiments retenus, regards à peine prononcés, passion contenue : rien de crié, juste de brefs éclairs qui laissent imaginer la vie intérieure des personnages, riche en émotions retenues. Cette musique avait le devoir de ne jamais envahir le champ, de ne pas "chanter" les sentiments, de se limiter à les suggérer. J'ai ainsi imaginé qu'en travaillant principalement par petites touches tout au long du film, je pourrais comprendre et percer l'intimité de ces êtres perdus dans les brumes bretonnes. Ces brumes et ces climats qui avaient à mes yeux de visiteur méditerranéen un charme inouï auquel je devais résister pour composer une musique dont la discrétion serait le point de départ esthétique. Pour aider à raconter cet amour fulgurant, cette amitié naissante et ces affections muettes. Tout ce qui se cache, en somme, dans un regard de Sandrine Bonnaire."

Et nous voici malgré nous embarqués dans ce pays du bout du monde intrigués et séduits par le charme naturel des personnages et des lieux En abordant la vie difficile des insulaires, le film déroule l'évidence interactive entre le monde réfractaire des hommes et la lande aride et battue par le vent.

Antoine, « l'équipier »  est aussi « l'étranger » au milieu des celtes endurcis. Ce néophyte tombé d'une autre planète, (originaire de Touraine...) C'est un garçon aimable, curieux, confiant et pacifique. Que vient-il faire sur cette île rocailleuse, abandonnée à tous les vents, à tous les temps, dans ce pays du bout du monde ? Mystérieux, différents, il intrigue et charme les femmes, malgré lui, il devient en revanche encombrant, équivoque et dérangeant aux regards des hommes, pour les mêmes raisons. Ils se montrent ombrageux, voir agressifs, indélicats et même haineux à son endroit.

Cette collectivité solidaire d'hommes et de femmes vivent un combat de tous les instants contre la nature et l'austérité de leur condition. Pour toutes ces raisons, ce personnage insolite sera un révélateur, un véritable catalyseur des sentiments profondément enfouis qui animent les natifs de ce front d'océan. La réalisation est dépouillée, essentielle, à l'image de son sujet. Le regard, la gestuelle et les silences suppléaient aux dialogues vifs, lapidaires et souvent à double sens. Cela donne une épaisseur aux personnages, mais aussi une profondeur de caractère. L'intériorité naturelle des îliens, ancrés dans un passé lointain de navigateurs redoutables descendus des contrées arctiques.

Le cœur de l'histoire se déroule sur l'un des écueils le plus terrible de la mer d'Iroise. Situé à 2 km au sud ouest sur la roche Ar Gazec, la Jument, il doit sa réputation d'enfer aux nombreux naufrages qui eurent lieu, malgré la vigilance obstinée des gardiens. Ceux ci tournent et vivent héroïquement au rythme du quart et du rituel immuable de l'allumage des feux. « Yvon » gardien incorruptible se positionne obsessionnellement dans une arithmétique tragi-comique. L'humour contraste en déclinaisons subtiles relativement à la gravité des personnages et des lieux. Veilleurs de feu, pierres angulaires de la sécurité, les gardiens ont une vie d'ascètes et se sentent investis d'une véritable mission, une vocation. Leurs échanges laconiques sont en phase, en adéquation avec leur vie spartiate. Partager la vie à deux dans cet espace exigu, dans ce désert aquatique imprévisible relève de l'héroïsme. Sans relâche la mer canonne, livre un combat inégal, souvent se déchaîne, imposant son dictât, ses rythmes insoutenables, ses caprices ravageurs au gré des rafales cycloniques meurtrières. La nature n'a pas d'état d'âme, sa beauté est grandiose mais amorale.

Le phare, l'unique refuge semble dérisoire, perdu, oublié, englouti dans le vaste océan. En son centre, est-ce l'impression d'isolement, la hauteur propice à la chute, ou l'escalier en spirale vertigineux interminable ? C'est un lieu fantastique et angoissant qui décuple les tourments de l'imaginaire. On évolue entre les entrailles de la terre et la perspective céleste et enivrante du feu de veille sécurisant qui étincelle.

La spirale, l'ordre cosmique, le point d'origine, le souffle de vie. Rotation et ascension, révolution et élévation. La spirale ascendante du phare, traversée par la tempête, la mort qui rôde. La force et l'intensité dramatique de la scène finale, Yvon d'abord désemparé, perdu qui bondit dans la spirale ascendante répondant à la vie, à l'amitié, à l'honneur pour porter secours à Antoine.

Et Antoine, l'équipier, l'animateur essentiel ? C'est un personnage avant-gardiste, un homme en recherche qui se remet en question, un aventurier, mais un chevalier de la modernité. Il est confiant, à l'écoute, flexible, momentanément tombé dans un village gaulois bretonnant embrumé. Il a soif de changement, il veut oublier, il a souffert la guerre, la torture, le mépris, le dégoût, la colonisation imbécile et finissante, l'Algérie. C'est un ami loyal patient et tolérant, un amant passionné mais responsable, un passeur en quête d'infini, de justice et d'humanité.

Nous sommes assez proche de Mai 68...

Longtemps après, dans un autre siècle, au fond des yeux de Camille, la secrète nostalgie de l'attente, un livre opportun, le livre du souvenir, de l'éveil et de la présence, la bouteille à la mer reçue et recueillie...la réponse ?

Tant d'amour et d'espérance ne saurait demeurer vains, c'est peut être une invitation à méditer sur l'éternel dont on puisse raisonnablement penser qu'il existe. Tout le reste se mêle et s'embrouille dans l'impermanence.



15 réactions


  • jack mandon jack mandon 24 avril 2012 13:22

    A tous,

    J’ai par habitude de m’entretenir à huis clos avec moi même,
    J’ose plagier grossièrement Paul Léautaud qui clamait à qui voulait l’entendre

    « J’ai dans la tête la plus intéressante compagnie »

    Il était convaincu que ce qui importe, c’est ce qu’on a, ou ce qu’on a pas dans la tête.

    Tous vos articles politiques à la sauce moutarde me donnent des troubles stomacaux.


  • jack mandon jack mandon 24 avril 2012 13:26

    Cela dit, pour parler tout haut,

    La tragédie grecque s’invite encore et toujours dans nos chaumières, dans l’intimité de nos vies mais aussi sur la place publique.

    Les artistes et les philosophes grecs avaient percé et animé les ressorts psychologiques qui participent de la vie humaine.

    C’était aussi les champions de la politique...mais cela formait un tout.


  • jack mandon jack mandon 24 avril 2012 13:28

    et de poursuivre pour m’entendre parler...mais pas seulement

    Dans l’inspiration originelle, c’est toujours le dilemme entre le devoir et l’amour.

    Les familles d’hommes et de femmes sont néanmoins des protagonistes habités par un idéal, nous sommes au fond dans la noblesse de la chevalerie.

    Qu’en est-il aujourd’hui de ce niveau de conscience et d’éthique ?


    oui au fait ?


  • jack mandon jack mandon 24 avril 2012 13:32

    Au XVII è

    Dans la période des règles des trois unités

    de lieu, de temps et d’action, Corneille transpose les mêmes thèmes.

    Il met en scène des personnages prisonniers d’un conflit par exemple entre un devoir envers la patrie ou la famille, et une inclination amoureuse.

    oui mais aujourd’hui ?


  • jack mandon jack mandon 24 avril 2012 13:37

    Je me note en même temps, le zéro m’a toujours effrayé.

    Dans notre XXI è siècle, sacrifier son amour pour la gloire serait presque assimilé à du terrorisme au pire et à de l’inhumanité au mieux.

    On ne peut écarter une dimension névrotique, voire même psychotique mais je crois que nos ancêtres ne s’y trompaient pas d’autant qu’ils avaient inventé par la même occasion la psychologie et la philosophie.

    Oui car enfin il faut bien se résoudre à penser que nous ne sommes pas

    vraiment inventif, nous adaptons au gré des modes


  • jack mandon jack mandon 24 avril 2012 13:42

    Oui alors aujourd’hui ?

    Il est vrai aussi qu’il existe un immense fossé entre l’idéologie de la jeunesse de Mai 68 et le réalisme surprenant d’une certaine jeunesse du XXI è qui pense très sérieusement au plan de retraite...nous sommes très éloignés de la vocation du gardien de phare.

    Mais ça existe encore mais hors publicité, puisque tel est le choix de ceux

    qui poursuivent encore un objectif, ils ne disent point mais agissent.



  • jack mandon jack mandon 24 avril 2012 13:46

    En définitive, il a toujours était de bon ton de railler le passé,
    dans la jeunesse l’on se sent éternel...dans la vieillesse aussi le saviez vous

    Dans un registre d’humour qui traduit néanmoins le décalage culturel de l’époque,

    Brassens, l’anarchiste sympathique mettait en difficulté Corneille dans « Marquise »


    Les trois premières strophes sont reprises


    Marquise


    Marquise, si mon visage

    A quelques traits un peu vieux,

    Souvenez-vous qu’à mon âge

    Vous ne vaudrez guère mieux


    Le temps aux plus belles choses

    Se plaît à faire un affront

    Et saura faner vos roses

    Comme il a ridé mon front


    Le même cours de planètes

    Règle nos jours et nos nuits

    On m’a vu ce que vous êtes

    Vous serez ce que je suis


    Et là, l’humour d’un autre temps, l’évidence réaliste qui n’est pas sans rappeler le Carpe diem d’Horace, ce qui signifie que tout existe depuis toujours, Tristan Bernard le malicieux

    jouisseur d’ajouter, à travers Georges Brassens, la chute inattendue,


    Peut-être que je serai vieille

    Répond Marquise, cependant

    J’ai vingt-six ans, mon vieux Corneille

    Et je t’emmerde en attendant


    Corneille / Tristan Bernard

    <<(1961
    - Les trompettes de la renommée, 10)
    >>

    Avec toute ma sympathie




  • Suldhrun Suldhrun 24 avril 2012 16:12

    Le bonjour Jack

     Votre sujet du jour , un film .... je ne lay point su !
     
    En mélancolies riantes de six strophes ,,,

     Vous voilà revenu !


  • jack mandon jack mandon 24 avril 2012 16:44

    Bonjour l’alchimiste.

    J’ai pour la fiction un grand intérêt, cela me distrait de ces débats discourtois
    qui envahissent les médias en période électorale...c’est à dire souvent.

    Comment faites vous pour me retrouver dans la cohue ?

    Au plaisir de vous revoir


  • robert 24 avril 2012 18:06

    Génial, merci à vous Jack, cela nous donne un peu de fraicheur et de réves


    • jack mandon jack mandon 25 avril 2012 02:55

      Robert, bonjour.

      Vous avez raison, c’est bien de rêve dont il s’agit.

      Le rêve comme nourriture quotidienne qui n’exclut pas le réel
      mais qui le complète. C’est la part d’imaginaire qui vient à manquer.

      Merci


  • Suldhrun Suldhrun 24 avril 2012 18:07

    jack

    Dans la co hue ou dans la co dia !

    Rossinante et plus simple compagnon ....

    De complétude en hagards

    des toquards , les maitres

    ont suivi .


  • jack mandon jack mandon 25 avril 2012 03:04

    Suldhrun,

    Cela fait quelques temps déjà que don quichotte n’était pas venu
    me rendre visite.
    Le bon sens terrien de Sancho m’ennuyait un peu.
    Enfin, des deux personnages nait la magie.

    C’est parce que la lumière du soleil nous dévoile les couleurs de la nature,
    que l’on apprécie mieux les mystères de la nuit qui nous en prive,
    par effet de la mémoire et de l’imaginaire il nous est donné d’y suppléer.

    A bientôt


  • Dora-Rafaella Dora-Rafaella 25 avril 2012 20:32

    Bonjour Sieur,
    Tiens, comme c’est étrange... j’ai visionné ce film il n’y a pas très longtemps ! Effectivement, on prend le large, l’air marin de Bretagne, la puissance de l’Océan, la rudesse des mentalités de ce lieu certes, à part...
    Tout le monde craque pour Antoine... l’étranger, qui réussi, malgré lui puisque c’est sa nature, à bouleverser une petite vie bien tranquille et routinière d’un coin de terre nommé Ouessant.
    La vie est ainsi faite.. les circonstances et les synchronicités arrivent toujours à remettre l’homme en question, à le bouleverser, à le sortir de sa zone de confort pour évoluer, grandir, élargir sa conscience. Et souvent quant on s’y attend le moins.
    Et ce qui paraît un drame au départ, s’avère bien souvent une chance et un don merveilleux à l’arrivée. Camille en est la preuve vivante...
    Clin d’oeil cher Jack, .. au fait, vous avez zappé les guignols de l’info ? C’est pourtant bien plus intéressant... rires...


    • jack mandon jack mandon 26 avril 2012 14:53

      Faut toujours regarder le monsieur quand on s’adresse à lui.

      Que se passe-t-il donc dans le coin droit de la fenêtre ?

      une bébète qui monte ?

      Oui bien vu les lois de la synchronicité harmonise la vie à notre insu.
      On ne peut ignorer les souffrances pendant que s’écoule le temps linéaire
      On a une certaine difficulté à prendre du recul.

      La preuve, il nous arrive d’essuyer une larme.

      Vous avez raison, j’ai même zappé les guignols de mon site.

      Merci de votre visite, mais la prochaine fois regardez le miroir
      après avoir mis la pièce dans la fente...au lieu de presser sur
      le bouton en pensant à autre chose.


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