lundi 29 octobre 2012 - par Taverne

L’étoile de David

Qu'est-ce qui faisait courir David ? Quelle étoile poursuivait-il ? Jacques, Louis, David...Quand on a trois prénoms en guise de patronyme, on est en droit de se faire un vrai nom. Quand on a perdu son père à l'âge de cinq ans, on peut être tendu naturellement vers la quête d'une figure qui saura, sinon combler, du moins panser un peu cette plaie béante, réduire momentanément ce vide originel. Epris des idées révolutionnaires les plus pures, les plus radicales, le peintre voulut mourir avec Robespierre. Puis, voyant Bonaparte pour la première fois, il en peignit le portrait et en fit son héros. Allait-il trouver un jour l'apaisement tant désiré ou bien David poursuivait-il l'Inaccessible étoile ?

Le 14 septembre 1793, David entre au Comité de Sûreté générale, qui n'est ni plus ni moins que l'organe policier de la Terreur. Il cosigne les arrêts de mort des suspects, en profitant peut-être pour éliminer des rivaux. David au service de la propagande ! Il fait un portrait de Bara en jeune martyr, conforme à la version officielle des faits donnée par Robespierre. Bara, enfant de 13 ans, rend son dernier soupir, la cocarde tricolore serrée contre son coeur. Nu, l'enfant dans toute son innocence est livré aux "brigands" (les Vendéens).

Comment l'artiste en est-il arrivé là ?

Le chevalet ou l'échafaud

Déjà quand Robespierre, sentant sa fin proche, déclara qu'il n'avait plus qu'à boire la ciguë, David avait répliqué "je la boirai avec toi" mais il fut providentiellement malade les jours du procès et des exécutions. Il échappa ainsi à l'échafaud et il est mis en prison. Il est libéré en plaidant son erreur mais il y retourne un temps lorsque la Convention réprime les émeutes de la faim de 1795.

David n'a pas suivi Robespierre au tout début. Il fut d'abord un fervent partisan de Marat, dont il peindra la mort. Il représenta Marat tel qu'il le vit la veille de sa mort : "il avait auprès de lui un billot de bois sur lequel était placé de l'encre et du papier, et la main, sortie de la baignoire, écrivait ses dernières pensées pour le salut du peuple." Marat avait le corps dévoré par la maladie et sa fin était prochaine. Son assassinat le rendit célèbre à tout jamais. Quand David prit le sillon robespierriste, ce fut avec un zèle sans faille, avec un jusqueboutisme effrayant.

Reconnaissons que David fut un révolutionnaire de la première heure. Il ébaucha "Le Jeu de paume", qui ne sera pas terminé par l'artiste faute de fonds suffisants. Et puis, les choses vont vite ! Plusieurs des personnages représentés tombent en disgrâce et apparaissent aux yeux des nouveaux dirigeants comme des tièdes ou des traîtres . Enfin la raison esthétique n'est pas la moindre : il eut fallu soit représenter la scène à la manière antique (avec des nus) soit avec des gens en plus beaux costumes que ceux présents ici.

David, qui était jacobin, et qui avait voté la déchéance du roi (pétition du Champ-de Mars le 17 juillet 1791), se radicalise encore. Il est élu à la Convention, devient ordonnateur des fêtes révolutionnaires. Ses amis libéraux le quittent. Trudaine, Lavoisier et surtout André Chénier que le 10 août va plonger dans la clandestinité.

La suite, vous la connaissez : David choisit le chevalet plutôt que l'échafaud. Enfin façon de parler, puisqu'en prison, il dut se contenter d'imaginer des projets et de faire de dessins. Certains camarades le traitèrent de lâche. Mais était lâche à cette époque tout citoyen qui n'allait pas jusqu'à défendre ses idées sur l'échafaud. A ce compte-là, les lâches sont nombreux et, comme dira Brassens, "mourir pour des idées ? D'accord, mais de mort lente". Alors, David laissa parler les exaltés, à défaut de les envoyer chez les Grecs. Justement, à propos des Gres...

David chez les Grecs

Le peintre va opérer deux ruptures essentielles.

- David rompt avec le style rococo du XVIIIe siècle

C'est un style représenté à l'époque par François Boucher et Carl Van Loo. Il revendique l’héritage du classicisme de Nicolas Poussin et des idéaux esthétiques grecs et romains, en cherchant, selon sa propre formule, à "régénérer les arts en développant une peinture que les classiques grecs et romains auraient sans hésiter pu prendre pour la leur". Epris d'hellénisme, il peint "Pâris et Hélène" pour le salon de 1789. Les références à l'Antiquité grecque sont flagrantes : le "Jugement de Pâris" qui décore le médaillon de la lyre, l'"Eros et Psyché" qui orne le pilastre de la cloison centrale. C’est le premier tableau grec de la peinture française, un manifeste du classicisme. Il peindra plus tard les "Sabines" mais, même sous le régime libéral du Directoire, certains s'offusqueront de la nudité - très grecque - des soldats représentés.

- David rompt avec l'Académie

Formé à l'Académie royale de peinture et de sculpture, David prend la tête des dissidents de l'Académie. Il prononça un réquisitoire devant la Convention contre la Bastille académique, "dernier refuge de toutes les aristocraties". Par décret, la Convention supprime, le jour même de son discours, toutes les académies. Il faut dire que le peintre en veut à cette institution. Elle l'a recalé injustement la deuxième fois au Prix de Rome, suite à des intrigues. Ce n'est qu'à la quatrième tentative qu'il obtient le prix, précieux sésame de toute carrière officielle quand on sait que l'Académie fait monopolise aussi quasiment les commandes officielles. David militera pour la suppression de toutes les Académies.

David et ses héros

Le peintre puise dans l'Antiquité les héros, substituts au père qu'il n'a pas eu. Mais aussi des héros qui incarnent la révolution des arts.

1 - Les héros grandis par la mort violente : Bélisaire, Victor, Socrate, Léonidas, Romulus, en sont des exemples.

- Bélisaire  : David emprunte à un roman philosophique à scandale (critique de la monarchie) de Marmontel le thème de "Bélisaire" : l'histoire de ce général byzantin jeté en prison et aveuglé par Justinien, jaloux de ses victoires. La borne du tableau porte ces mots : « Date obolum Belisario » (« donnez une obole à Bélisaire »). Diderot est enthousiaste. L’Académie, qui ne sent pas le sens caché de l’œuvre, l’approuve.

- Hector : La mort d’Hector, vaincu par Achille, qu'il peint, évoque la mort en duel de son père. Une autre mort, « La Mort de Socrate » : le philosophe se saisit sans trembler de la coupe et continue de parler à ses disciples pour achever son enseignement, lequel survivra à sa mort. C’est le triomphe de la philosophie. Le doigt pointé vers le ciel n’est pas conforme aux croyances de Grecs qui ne voyaient pas la survie de l’âme au ciel.

- Les Horaces. David devient en 1785 un peintre renommé avec le "Serment des Horaces". Il a assisté à une représentation d’une pièce de Corneille et décide de se rendre à Rome pour peindre sa version des « Horaces ». Le tableau représente un grand sujet de l’histoire légendaire de la Rome Antique. Les frères Horaces jurent à leur père par ce serment de vaincre ou de mourir dans cette guerre qui les oppose aux Curiaces d'Albe, champions des Albains, cité rivale et voisine. Mais le serment est une invention de David. La scène n'existe ni chez Corneille ni chez les auteurs anciens.

2 - les héros des batailles légendaires

"Léonidas aux Thermopyles" : c'est l'histoire des 300 reprise au cinéma récemment. Le titre "Léonidas aux Thermopyles", renvoie à une célèbre bataille antique des guerres médiques. En 480 av. J.C., les Perses cherchent à envahir la Grèce et doivent passer par le défilé rocheux des Thermopyles (« Portes chaudes »). Après plus de deux jours de combat, les Perses désespèrent de passer quand Ephialtès, un traître leur indique un passage pour prendre à revers les Grecs. Léonidas, chef des Spartiates, renvoie alors ses alliés et garde avec lui ses 300 Spartiates. Ils mènent une résistance héroïque (1 contre 300 à 1 contre 1000 selon les estimations) et se font massacrer jusqu’au dernier permettant par ce sacrifice d’évacuer les populations et de préparer la riposte.

" Les Sabines" dont Léonidas est le pendant grec, présente une bataille célèbre de la légende romaine avec une multitude de soldats agglomérés avec, au premier plan, Romulus qui dispose comme Léonidas d’une arme, d’un casque de chef et d’un bouclier rond. Un autre point commun aux deux œuvres est de représenter non pas le déroulement du combat, mais un moment où l'action est suspendue. Léonidas aux thermopyles ne représente pas le combat mais sa préparation, David refuse de peindre la bataille en train de se dérouler ; il cherche l’originalité.

"Brutus", un héros ambigüe (comme Robespierre ?) : Le tableau représente le premier consul (509 avant JC) de retour chez lui, après avoir condamné à mort ses deux fils pour conspiration. Brutus est un héros de la liberté : il a chassé les Tarquins et fondé la république. Brutus apparaît dans l'ombre et sinistre comme pour faire ressortit son ambiguité. Est-il un modèle de vertu ou un monstre de fanatisme ?

La dernière étoile de David

L'artiste semble tourner le dos à la Révolution quand il devient le peintre officiel de Napoléon, sa nouvelle étoile. Il réalisa pour Napoléon sa plus grande composition (presque dix mètres sur plus de six) "Le Sacre de Napoléon". Le peintre s'est représenté dans les tribunes.

Quand, en 1797, il peignait Bonaparte dans son atelier, il vit un héros antique. Il le dit : "Oh ! Mes amis quelle belle tête il a ! C'est pur, c'est grand, c'est beau comme l'antique  !" Mais par la suite, il faut bien admettre que le coup d'état du 18 Brumaire allait violer l'esprit de la Révolution et son idée de la liberté. David constate avec amertume "j'ai toujours bien pensé que nous n'étions pas assez vertueux pour être républicains" et le peintre de faire aussi le deuil de son étoile.

Sous la Restauration, David sera exilé. Il se réfugie à Bruxelles et continue jusqu'à sa mort en 1825 son activité artistique. Il fut un maître pour deux générations d’artistes, venues de toute l’Europe pour se former dans son atelier dont Girodet, Gros et Ingres furent les plus réputés.

Illustration de l'article : "Brutus désarmé par Vénus", peint par Davis peu avant sa mort.

Voici l'épopée de David en clip vidéo !

 



4 réactions


  • Ariane Walter Ariane Walter 29 octobre 2012 12:05

    Merci taverne,

    Très intéressant. J’ai tt appris. c’est tjrs très agéable d’apprendre.
    Et merci pour le petit musée chez soi !

    Bonne journée


    • Taverne Taverne 29 octobre 2012 12:44

      Merci. Après Delacroix et Géricault, j’ai fait un mini flash back de quelques années en arrière. Avant, je ne « tenais » pas mon sujet.


  • alberto alberto 29 octobre 2012 13:37

    Salut Taverne : toujours sympas tes clips !

    Et puis j’ai bien aimé la musique accompagnant le défilé...

    Mais me trompe-je ? Je n’y ai pas aperçu son auto-portrait ?

    Merci encore pour cette ballade des peintres du temps jadis


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