L’Histoire fantastique et désenchantée de Benjamin Button
D’une nouvelle de Scott Fitzgerald, "The Curious Case of Benjamin Button", David Fincher tire deux heures et demie certainement fidèles à la merveilleuse et modeste superficialité de l’écrivain. Le prétexte, inédit, est servi par une technique d’effets spéciaux qui en rend depuis peu la réalisation crédible : un bébé, né vieillard miniature, au fil des décennies se déride, rajeunit harmonieusement pour vivre à l’envers les étapes de sa vie.
Effets spéciaux et rôle schizophrène
Entre-temps l’attendent des aventures, amoureuses et autres, et d’amusants malentendus provoqués par son apparence. Le bébé monstrueux qui, en 1918, n’aura dû sa survie qu’à l’imminence supposée de sa mort, devient un vieillard sociable, puis un aimable retraité, préretraité, quinqua séduisant, quadra recherché, pour atteindre dans les années 60 le top du bien-être aux alentours de 30 ans.
Mais se sentir de mieux en mieux quand ses pairs s’effondrent n’a pas que des avantages : Benjamin, qui a grandi dans une maison de retraite (!), passe une grande partie de sa vie au cimetière. Le rôle, tenu par Brad Pitt, implique le double tour de force d’entrer dans l’âge oublié des premières découvertes en même temps que dans le corps d’un vieillard atténué. Camper le “petit” Benjamin, ratatiné, atrophié des cinq sens et des jambes, mais à l’appétit d’expériences et de vie de son âge réel, est une gageure à faire rêver les plus grands, que réussit l’acteur en donnant à son personnage un enthousiasme et une humanité intemporels.
De la fugacité des choses et des êtres
Sur le principe de Titanic, la femme aimée, près de sa belle mort, évoque aujourd’hui le disparu et leur histoire d’amour, extraordinaire entre toutes puisque la fillette des années 20 attachée au petit vieillard qui partageait ses jeux le retrouve à divers âges, jusqu’à ce que les deux leurs coïncident, puis qu’elle vieillisse tandis qu’il continue de rajeunir… Cette brève étape de bonheur, où les amants ont 30 ans chacun et se retrouvent pour quelques années comme entre deux trains aux destinations opposées, est hélas trop explicitée : “On a peu de temps, il ne faut pas le gâcher dans l’attente” ;”il faut avoir la force de tout recommencer”, etc. A l’aise dans l’action, le scénario quelquefois se perd à énoncer des vérités qui ne figureront pas dans les anthologies.
Tournée à New Orleans, l’agonie de Daisy (Cate Blanchett), qui rythme l’évocation, a pour toile de fond l’arrivée de l’ouragan de 2005, soulignant le hasard, les coups de théâtre, la précarité.
Fantastique avant tout
La vie à l’envers de Benjamin, provoquée par un horloger espérant remonter le temps en créant pour la gare de la Nouvelle Orléans une pendule marchant à rebours, parle à chacun de sa fuite, de la mort des autres, des petits hasards déclencheurs de grands moments… On navigue du drame au sourire, avec la jeune mère adoptive qui nomme le vieillard “mon bébé”, le premier job de matelot à “l’âge limite pour naviguer”, ou l’apparent vieux qui “dort comme un bébé” parmi les insomniaques de son âge supposé.
Le principe narratif, aux nombreux flash-backs, évoque aussi Mankiewicz. Mais, s’il donne à s’interroger, Benjamin est d’abord, heureusement, de la lignée des films d’aventures fantastiques, où l’on s’étonne et où l’on craint pour l’avenir du héros. Il aurait sans doute mérité un montage plus serré, mais on lui sait gré de nous ramener un genre où primait le merveilleux.