jeudi 9 octobre 2008 - par jack mandon

L’Homme de la Mancha. Le poète rejoint le mythe. Hommage à Jacques Brel

« Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait, il n’y a pas longtemps, un hidalgo, de ceux qui ont lance au râtelier, rondache antique, bidet maigre et levier de chasse », M. de Cervantes.

L’histoire commence avec Miguel de Cervantes en 1605, cet auteur espagnol qui proclame haut et fort « Je vis de mon désir de vivre », rédige un premier roman qui met en lumière un héros monolithique, longiligne, osseux, tendu vers le ciel comme un paratonnerre, car il a, entre autres vocations, d’attirer la foudre du ciel et de la terre. Ce personnage étrange et atypique et invariablement fidèle à lui-même, ne cède à aucune pression extérieure, brave à chaque instant tous les dangers réels, virtuels et imaginaires. Il va par les chemins de sa haute destinée monté sur Rossinante, sa légendaire jument, à l’identique morphologie.

Il est accompagné d’un fidèle écuyer qui lui est antinomique, Sancho Panza, bréviligne, épais et gras, gros mangeur, qui deviendra plus éclairé et plus sage au contact du maître.

 

C’est en 1965, à New York, que, pour la première fois une comédie musicale sera adaptée du célèbre roman.

Un chevalier moderne, Jacques Brel, en rupture de ban avec une société qui l’étouffe, prendra contact légitimement avec ce projet, obtenant un droit d’adaptation en français.

Ainsi le poète rejoindra le mythe pour entrer avec lui dans la légende. Comme le héros, il connaîtra la gloire et la désillusion, il affrontera les dangers et les impondérables, les espaces et les continents, connaîtra l’amour, la noblesse et la vocation pour pénétrer dans l’éternité de son histoire car les héros sont éternels.

 

Un moment fort de la comédie musicale,

L’homme de la Mancha

Ecoute-moi

Pauvre monde, insupportable monde

C’en est trop, tu es tombé trop bas

Tu es trop gris, tu es trop laid

Abominable monde

Ecoute-moi

Un chevalier te défie

Oui c’est moi, Don Quichotte

Seigneur de la Mancha

Pour toujours au service de l’honneur...

 

les prémisses d’antan

La Toison d’or

... Et vous preux chevaliers assoiffés de grandeur

Vous chasseurs de Saint-Graal d’oriflammes d’honneurs

Cherchant la victoire vous ne cherchâtes rien

Que le panache de la Toison d’Or

 

Et vous tous les poètes les rêveurs mal debout

Discoureurs de l’amour pour des cieux andalous

En écoutant vos muses n’avez rien chanté d’autres

Que le vieux rêve de la Toison d’Or...

 

L’égérie envoûtante de la comédie musicale

Chacun sa Dulcinéa

Chacun sa Dulcinéa

Qu’il est seul à savoir,

Qu’un soir de pleurs, il s’inventa,

Pour se garder un peu d’espoir

Aux barbelés du cœur.

 

Les souvenirs obsédants du passé malheureux,

... Moi je t’offrirai

Des perles de pluie

Venues de pays

Où il ne pleut pas

Je creuserai la terre

Jusqu’après ma mort

Pour couvrir ton corps

D’or et de lumière

Je ferai un domaine

Où l’amour sera roi

Où l’amour sera loi

Où tu seras reine...

Ne me quitte pas...

 

La brillante interprétation au centre de la tragédie,

La Quête

Rêver un impossible rêve

Porter le chagrin des départs

Brûler d’une possible fièvre

Partir où personne ne part

Aimer jusqu’à la déchirure

Aimer, même trop, même mal,

Tenter, sans force et sans armure,

D’atteindre l’inaccessible étoile

Telle est ma quête,

Suivre l’étoile...

 

La secrète présence du héros originel,

« Du beau succès que le valeureux Don Quichotte eut en l’épouvantable et jamais imaginée aventure des moulins à vent, avec d’autres événements dignes d’heureuses ressouvenances. »

 

Ils passent pour des illuminés aux hasards des rencontres. Ils croient que les auberges ordinaires sont des châteaux enchantés et les filles de paysans de belles princesses, ils prennent les moulins à vent pour des géants envoyés par les méchants magiciens. Leur Dulcinée, qu’ils ne rencontrent jamais est l’élue de leur cœur... poètes, chevaliers et fous, ils lui jurent à jamais, amour et fidélité.

 

Quand la psychologie s’en empare, ils deviennent des sujets fusionnels avec un idéal. On observe qu’ils veulent dépasser leurs limites, tout être. Ce sont des idéalistes aux aspirations multiples. Leur excitation mentale provoque un élan, un enthousiasme pour les idées qui les passionnent. C’est la flamme amoureuse. Ils verbalisent leurs émotions, expliquent, s’emballent, s’entichent d’une idée, s’exaltent. C’est l’inflation des désirs.

 

Pour les sages observateurs, ce sont des cavaliers singuliers et pittoresques, certains viennent du pays des montagnes et des moulins, d’autres du plat pays...

Avec la mer du Nord pour dernier terrain vague

Et des vagues de dunes pour arrêter les vagues

Et de vagues rochers que les marées dépassent

Et qui ont à jamais le cœur à marée basse

Avec infiniment de brumes à venir

Avec le vent d’Est écoutez-le tenir

Le plat pays qui est le mien...

 

Dans le plat pays de la Manche, le plat pays qui est le sien, d’où je ne peux oublier sa voix, vit encore aujourd’hui, un hidalgo, de ceux qui ont lance au râtelier, poitrine pour unique bouclier, Pégase pour cheval de selle, et le verbe pour levier de chasse.

 

 



17 réactions


  • Sandro Ferretti SANDRO 9 octobre 2008 15:46

    Cela fait plaisir de vous relire, Jack, en ces temps tourmentés pour le site, où moult signatures agréables à lire ont déserté.

    Merci aussi d’avoir fait un clin d’oeil au grand Jacques, car voilà 30 ans qu’il a rencontré la faucheuse, qu’ils sont partis ensemble et qu’on ne les a plus revus.


    • jack mandon jack mandon 9 octobre 2008 18:34

      @ Sandro
      Coïncidence ou ballet secret, l’ambiance horizontale et sombre du monde de la spéculation se heurte au mur fleuri de la verticalité poétique en quète de sommets lumineux et de folles espérances...heureux contrepoids
      Merci Sandro


  • sisyphe sisyphe 9 octobre 2008 17:12

    Jacques Brel, fauché à 49 ans par le crabe, à jamais dans nos oreilles, dans nos esprits, dans nos coeurs..
    La quête



    • jack mandon jack mandon 9 octobre 2008 18:41

      @ Sisyphe
      Merci pour la quète, je n’ai pas été fichu de l’entendre dans le réel, problème technique, cependant, par la magie du souvenir, l’ancrage auditif a pris le quart et tout est bien clair dans ma tête.


    • Viva verde Viva verde 10 octobre 2008 12:38

      Le plus grand chanteur fran.... oups Belge !!!
      Ma préférée : Les marquises !!!


  • zarathoustra zarathoustra 9 octobre 2008 17:51

    Merci pour le clein d’oeil a notre ame d’enfant .


    • jack mandon jack mandon 9 octobre 2008 18:45

      @ Zarathoustra
      Notre âme d’enfant, ce réceptacle précieux ou vivent les fées et les déesses, ou tous les bruits, les couleurs, les odeurs et les gouts prennent la forme de l’amour.
      Merci


  • Annie 9 octobre 2008 19:35

    Comment jamais transmettre le génie de Brel à ses enfants, surtout lorsque vous habitez en Angleterre et que vos enfants ont été nourris au lait de la musique punk, pop, toutes sortes de musique, et certaines que Brel n’aurait pas reniées, celle des Pogues par exemple.
    Brel est vivant et il continue de pleurer sur les femmes infidèles dans une chambre universitaire de Canterbury. Bless you my Julian.


    • jack mandon jack mandon 9 octobre 2008 20:54

      @ Annie
      Intemporel, le message des poètes. La musique, c’est autre chose. Dans les moments de méditation et de solitude, Brel et ses amis sont au rendez-vous pour entendre nos plaintes et nos joies, la confidence, la recherche du sens... et la culture de chacun fait le reste. Les modes changent, le coeur des humains pivote sur lui même depuis le début des temps au son de la même musique sans notes...
      Merci Annie


  • La Taverne des Poètes 9 octobre 2008 22:07

    Là où on serait tenté de poser le mot "démesure", Brel écrit "déchirure" : "Aimer jusqu’à la déchirure". Parce que Brel, c’est la déchirure. Si ce n’étati pas du Brel, la Quête ne contiendrait pas ce mot de déchirure qui résume Brel et qui parle de lui.


    • jack mandon jack mandon 10 octobre 2008 10:34

      @ La taverne des poètes
      La déchirure...le premier acte d’amour est une déchirure, celle du ventre de la mère qui libère son enfant.
      Jacques composait avec son ventre, avec son anima, avec ses entrailles, lui, le penseur intuitif, le philosophe inconnu.
      Merci


  • maxim maxim 9 octobre 2008 23:17

    je vous conseille d’aller sur Deezer ...vous ouvrez un compte ,c’est gratos ,vous avez tout ce que vous voulez en musique .....

    vous retrouverez pratiquement toute l’oeuvre de Brel ....

    écoutez particulierement ses anciennes ,l’air de la Bêtise ,les Taureaux ,la Lumière jailliras ,Mariecke ,la Fanette ,les Bourgeois,j’en appelle ,Bruxelles,les jardins du Casino .....et puis toutes ,parce que Brel ,c’était quand même le plus grand !

    mon seul regret ,qu’il n’ait pas composé le Bruxelles de Dick Annegarn !


    • jack mandon jack mandon 10 octobre 2008 10:41

      @ Maxim
      Jacques, c’est la phalène innocente qui se frotte à la flamme au risque de se perdre.
      Jacques, c’est la quête, par delà cette oeuvre, de l’instant de vérité,
      c’est une vie, c’est une mort...mais c’est la vie.
      Merci


    • jack mandon jack mandon 10 octobre 2008 10:54

      @ Furtif
      Un aspect de la magie poétique ou toute une palette des prédicats de la PNL sont présents en quelques mots.
      Le sourire, la fleur,les éclats de rire, faire jaillir de l’eau. Les mots résonnent, s’illuminent et parfument l’espace.
      Jacques ou "quand la poésie est communication".
      Merci


  • Dora-Rafaella Dora-Rafaella 10 octobre 2008 17:57

    Atteindre l’inaccessible étoile,
    telle est ma quête,
    Suivre l’étoile....

    Cette étoile, mais finalement, quelle est-elle pour chacun d’entre nous ? L’ultime étoile, sans doute, la joie et le bien-être...
    Il s’agit bien, pour ma part, de rechercher cette étoile à l’intérieur de soi, non dans le monde illusoire des possessions. Pas facile, je l’avoue, mais...à force d’y penser et d’y travailler, la lumière se fait.
    A lire Brel, je pense que ce héros souffrait car il était encore trop attacher aux...illusions justement. "Si tu trouves le monde ennuyeux, c’est que tu es toi-même ennuyeux".
    Peut-être...
    Cela dit, c’est peut-être grâce à son ennui que Jacques fut un artiste remarquable. Merci à lui.


    • jack mandon jack mandon 10 octobre 2008 18:30

      @ Dora-Raphaëlla
      Vous portez le voile ? le contraste du symbole dans sa couleur de nuit donne à votre regard
      l’éclat de l’étoile. Comme Jacques, vous vivez dans le paradoxe.
      C’est pour mieux nous éclairer qu’il a vécu la vie comme une prison, voir une souffrance.
      Ses yeux intérieurs avaient sans doute la beauté des vôtres.
      Merci


  • GHEDIA Aziz Sidi KhaledI 11 octobre 2008 18:29

    Merci l’ami pour cet émouvant témoignage ! 


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