L’Homme de la Mancha. Le poète rejoint le mythe. Hommage à Jacques Brel
« Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait, il n’y a pas longtemps, un hidalgo, de ceux qui ont lance au râtelier, rondache antique, bidet maigre et levier de chasse », M. de Cervantes.
L’histoire commence avec Miguel de Cervantes en 1605, cet auteur espagnol qui proclame haut et fort « Je vis de mon désir de vivre », rédige un premier roman qui met en lumière un héros monolithique, longiligne, osseux, tendu vers le ciel comme un paratonnerre, car il a, entre autres vocations, d’attirer la foudre du ciel et de la terre. Ce personnage étrange et atypique et invariablement fidèle à lui-même, ne cède à aucune pression extérieure, brave à chaque instant tous les dangers réels, virtuels et imaginaires. Il va par les chemins de sa haute destinée monté sur Rossinante, sa légendaire jument, à l’identique morphologie.
Il est accompagné d’un fidèle écuyer qui lui est antinomique, Sancho Panza, bréviligne, épais et gras, gros mangeur, qui deviendra plus éclairé et plus sage au contact du maître.
C’est en 1965, à New York, que, pour la première fois une comédie musicale sera adaptée du célèbre roman.
Un chevalier moderne, Jacques Brel, en rupture de ban avec une société qui l’étouffe, prendra contact légitimement avec ce projet, obtenant un droit d’adaptation en français.
Ainsi le poète rejoindra le mythe pour entrer avec lui dans la légende. Comme le héros, il connaîtra la gloire et la désillusion, il affrontera les dangers et les impondérables, les espaces et les continents, connaîtra l’amour, la noblesse et la vocation pour pénétrer dans l’éternité de son histoire car les héros sont éternels.
Un moment fort de la comédie musicale,
L’homme de la Mancha
Ecoute-moi
Pauvre monde, insupportable monde
C’en est trop, tu es tombé trop bas
Tu es trop gris, tu es trop laid
Abominable monde
Ecoute-moi
Un chevalier te défie
Oui c’est moi, Don Quichotte
Seigneur de la Mancha
Pour toujours au service de l’honneur...
les prémisses d’antan
La Toison d’or
... Et vous preux chevaliers assoiffés de grandeur
Vous chasseurs de Saint-Graal d’oriflammes d’honneurs
Cherchant la victoire vous ne cherchâtes rien
Que le panache de la Toison d’Or
Et vous tous les poètes les rêveurs mal debout
Discoureurs de l’amour pour des cieux andalous
En écoutant vos muses n’avez rien chanté d’autres
Que le vieux rêve de la Toison d’Or...
L’égérie envoûtante de la comédie musicale
Chacun sa Dulcinéa
Chacun sa Dulcinéa
Qu’il est seul à savoir,
Qu’un soir de pleurs, il s’inventa,
Pour se garder un peu d’espoir
Aux barbelés du cœur.
Les souvenirs obsédants du passé malheureux,
... Moi je t’offrirai
Des perles de pluie
Venues de pays
Où il ne pleut pas
Je creuserai la terre
Jusqu’après ma mort
Pour couvrir ton corps
D’or et de lumière
Je ferai un domaine
Où l’amour sera roi
Où l’amour sera loi
Où tu seras reine...
Ne me quitte pas...
La brillante interprétation au centre de la tragédie,
La Quête
Rêver un impossible rêve
Porter le chagrin des départs
Brûler d’une possible fièvre
Partir où personne ne part
Aimer jusqu’à la déchirure
Aimer, même trop, même mal,
Tenter, sans force et sans armure,
D’atteindre l’inaccessible étoile
Telle est ma quête,
Suivre l’étoile...
La secrète présence du héros originel,
« Du beau succès que le valeureux Don Quichotte eut en l’épouvantable et jamais imaginée aventure des moulins à vent, avec d’autres événements dignes d’heureuses ressouvenances. »
Ils passent pour des illuminés aux hasards des rencontres. Ils croient que les auberges ordinaires sont des châteaux enchantés et les filles de paysans de belles princesses, ils prennent les moulins à vent pour des géants envoyés par les méchants magiciens. Leur Dulcinée, qu’ils ne rencontrent jamais est l’élue de leur cœur... poètes, chevaliers et fous, ils lui jurent à jamais, amour et fidélité.
Quand la psychologie s’en empare, ils deviennent des sujets fusionnels avec un idéal. On observe qu’ils veulent dépasser leurs limites, tout être. Ce sont des idéalistes aux aspirations multiples. Leur excitation mentale provoque un élan, un enthousiasme pour les idées qui les passionnent. C’est la flamme amoureuse. Ils verbalisent leurs émotions, expliquent, s’emballent, s’entichent d’une idée, s’exaltent. C’est l’inflation des désirs.
Pour les sages observateurs, ce sont des cavaliers singuliers et pittoresques, certains viennent du pays des montagnes et des moulins, d’autres du plat pays...
Avec la mer du Nord pour dernier terrain vague
Et des vagues de dunes pour arrêter les vagues
Et de vagues rochers que les marées dépassent
Et qui ont à jamais le cœur à marée basse
Avec infiniment de brumes à venir
Avec le vent d’Est écoutez-le tenir
Le plat pays qui est le mien...
Dans le plat pays de la Manche, le plat pays qui est le sien, d’où je ne peux oublier sa voix, vit encore aujourd’hui, un hidalgo, de ceux qui ont lance au râtelier, poitrine pour unique bouclier, Pégase pour cheval de selle, et le verbe pour levier de chasse.