La culture a le bourdon
La guêpe n'est plus l'emblème de la cité.
Il semble qu'il y ait une malédiction qui touche tous ceux qui souhaitent se mêler de culture dans une cité qui n'est attirée que par les sirènes de la notoriété, des spectacles susceptibles de servir l'image de l'échevin et de la mégalomanie qui sévit en bord de Loire. Malheur à ceux qui font simplement, humblement œuvre de diffusion d'une production locale, sans paillettes, sérieuse et authentique.
Ici, il n'y a guère de place que pour ce qui brille avec l'estampille des médias tout en étant poussé par le merveilleux souffle de l'ailleurs. Tout ce qui vient de la Capitale ou bien de plus loin encore se voit dérouler le tapis rouge tandis que les malheureux artistes de la place n'ont véritablement aucune chance de se faire une petite place à l'ombre des mastodontes de la scène nationale ou internationale.
Ce n'est pas par hasard si ici, une salle de 10 000 places se propose d'accueillir des spectateurs attirés par la notoriété quand dans le même temps, rien n'est fait, strictement rien pour qu'émerge un autochtone susceptible de se faire une place au soleil. Une politique culturelle qui fait la part belle aux têtes d'affiche et qui met tout en œuvre pour casser, entraver, décourager la création locale relève de l'imposture intellectuelle et du détournement des finances publiques au profit de gens qui n'ont rien à voir avec notre région.
Mais en Orléans, être un artiste local relève de la faute, du fardeau, de l'injure faite à des dirigeants qui ne cherchent qu'à bénéficier de l'aura d'une vedette lointaine pour se faire mousser. Ils sont pathétiques dans leur désir d'être sur le cliché à côté de l'étoile du moment tout autant qu'ils sont odieux dans tous les obstacles qu'ils dressent en travers du chemin des gens d'ici.
Envisager de créer un espace culturel, un lieu qui fait la part belle à la création locale est une folie dans laquelle les aventuriers de la scène alternative se lancent naïvement sans envisager tous les coups tordus, les chausse-trappes, les règlements et les tracasseries qui n'auraient de cesse de mettre en travers de leur chemin une municipalité qui véritablement, n'encourage pas une culture qui s'efforce de n'être pas divertissement et poudre aux yeux.
Bien sûr, écrire pareils propos c'est s'exposer aux représailles de gens qui de toutes manières, n'ont jamais fait l'effort de s'enquérir de ce qui est proposé dans leur zone d'intervention. Ils ne sont curieux de rien, n'ont d'appétence que pour le succès déjà estampillé, se bornent à suivre les grandes tendances qui viennent d'ailleurs sans rien y comprendre véritablement. Mais surtout, ils font tout pour que personne n'émerge du terreau local pour éviter tout risque de critique, de moquerie, de remise en cause.
Je ne peux que leur donner raison sur ce dernier point. Ils sont si caricaturaux dans leur pathétique fatuité culturelle qu'ils s'exposeraient aux saillies d'un humoriste, n'échapperaient pas à la parodie ou la moquerie, seraient vilainement décrits ou dépeints par des regards critiques et acerbes. Ce qu'ils veulent ce sont des moutons, des valets, des obséquieux sans danger ni courage qui jamais ne les dépeindront sur leur sinistre stupidité.
Quiconque a l'intention de faire son miel de l'irrévérence, de la libre parole, de l'expression sans concession ni compromission, de l'humour, de la poésie, de tout ce qui fait une culture non officielle, non inféodée aux rouleaux compresseurs du show-business, tombera impitoyablement sous une réglementation qui censurera opportunément les mal pensants. Des commissions ad-hoc feront tort aux uns et fermeront les yeux sur les irrégularités des autres. Être dépositaire du pouvoir des bâtons, c'est mettre dans les roues selon son bon vouloir.
Les bourgeois de barrique ne sont pas prêts de changer. Ils demeurent des notables étriqués, des atrabilaires notoires baignant encore dans les relents des vinaigreries. Tout ce qui élève le peuple leur est suspect, tout ce qui donne l'occasion de grandir, de s'élever, de réfléchir et de penser ne peut servir leurs desseins. La culture doit être officielle, inodore, incolore, neutre et sans saveur ou n'être pas.
Plus inquiétant encore, un lecteur anonyme s’inquiète à la lecture de ce coup de gueule à charge, du risque éventuel de représailles sournoises et administratives de ce pouvoir local. Cela démontre à l'évidence le climat délétère qui s'insinue dans cette citée où l'auto-censure doit permettre d'éviter toute vague, toute réaction atrabilaire du grand Pharaon. Il est bien loin le temps des guêpins qui se faisaient un point d'honneur à piquer ceux de la haute, désormais, en dépit des coups bas, il convient de courber l'échine et de se taire. C'est me semble-t-il une négation absolue de ce que devrait être la Culture quand on se comporte comme un valet soumis.
À contre-vent.