La culture des sociétés atlantiques (une brève anthropologie du sociétarisme)
On se plaint souvent de la comm' masse-médiatique. La critique consiste à dire qu'« ils ont le pouvoir », quelques magnats, et qu'« ils diffusent ce qu'ils veulent ». N'en doutons pas : il y a des influenceurs de masse, dont les noms de PDG apparaissent régulièrement sous la plume des dénonciateurs, jusqu'aux noms de leurs gros-actionnaires eux-mêmes influenceurs, moins souvent.
Tout ceci, nous n'en doutons vraiment pas, fonctionne sur le mode sociétaire relativement anonyme, au moins pour le commun des mortels (tendance au sociétarisme global, donc). Commun des mortels, d'ailleurs, sans lequel tous ces masse-influenceurs n'influenceraient pas. En France, ce commun des mortels aime chauvinement ses habitudes informatives quoiqu'il s'en plaigne, voire les craigne. Ce même commun des mortels, a d'ailleurs en commun avec ses influenceurs chéris une cupidité, doublée d'une tendance à s'y identifier sadomasochiquement. C'est de morale des société.
Au-delà des francismes, voyons le monde : du social-capitalisme de collaborations germaniques et slaves syndique-entrepreneurial … au libre-capitalisme de corporations américaines et anglaises juridique-entrepreneurial … en passant, donc, par les formes d'état-capitalisme de confessions françaises et plus généralement latines, république-entrepreneurial … on peut évidemment dire qu'il existe une communion libérale-libertaire dans l'âme, au civil, produisant paradoxalement une omerta à caractère totalitaire. En fait, il s'agit d'une néo-culture atlantique, alimentée et entretenue par lesdits influenceurs, mais qui reçoit massivement l'adhésion.
On peut se plaindre et geindre de tels pouvoirs confusionnant la ploutocratie avec l'ochlocratie, le capitalisme avec le populisme : tout y conspire … Que derrière, d'aucuns viennent s'échiner et pleurer contre « la finance » n'y change rien, pas plus que contre « la populace ».
We all live in a yellow submarine
Tout ceci, disions-nous, fonctionne sur le mode sociétaire (tendance au sociétarisme global). Dans la novlangue du management, on parle de stakeholders, de parties-prenantes. Mais, en somme, il faut élargir la notion de sociétaire à l'ensemble de la société telle qu'elle semble devenue organique, depuis son diagnostic par le sociologue Émile Durkheim jusqu'à sa dimension informatique dite de réseaux, notamment soulignée par le socio-philosophe Jean Baudrillard … au point qu'on parle chez les intellos, aujourd'hui, d'ontologie informatique. Pervers ou du moins divers (faisant diversion, divertissante au sens pascalien) ce maillage global, entre organicisme et systémisme, légitime plus ou moins les fantasmes pour ou contre « le système », pour ou contre « les complots », car de toute évidence il y a des influenceurs plus ou moins massifs, travaillant plus ou moins à huis-clos. C'est toujours de morale des sociétés.
Il s'agit donc un vaste sociétarisme, notre yellow submarine à tous, plus ou moins influençant par cercles, plus ou moins toléré voire plébiscité par cercles encore plus vastes, rendant ces premiers cercles possibles. Tout cela est de sociétarisme, et machine dans un vaste collectif technique théorique, en s'enchevêtrant allègrement. Non seulement certains cercles sont concentriques, mais de nombreux cercles se couvrent les uns les autres et se coupent, ou bien s'excluent … mais, tous autant qu'ils sont, ils demeurent sociétaires, en ce vaste giron pour ainsi dire « maternaliste » ou « paternaliste libertarien », injonctif dans son genre.
Non mais allô, quoi
Vraiment, il faut saluer la comm' masse-médiatique, pour le meilleur et pour le pire. Son exemple le plus édifiant (et quelque part le plus probant) concerne l'ingénierie sociale et l'écologie culturelle machinées en France, pays réputé turbulent. Il ne faut pas chercher loin : notre bel et fringant président représente d'abord comme un homme-enfant, époux d'une femme-mère ; ensuite, il s'exprime toujours avec une douceur maternaliste/paternaliste libertarienne injonctive ; enfin, il se met régulièrement en scène dans des contextes puérils. Dans l'ensemble, cela renvoie en miroir l'ensemble du peuple à une condition infantile.
C'est que Edward Bernays, neveu de Freud, a mis en œuvre les découvertes de tonton à tel escient, que chacun jugera plus ou moins bon selon ses velléités. Le plus drôle évidemment, étant toute l'ambiance anti-psychanalytiste de nos sociétés, alors qu'elles ont sombré grâce à une utilisation médiatique de la psychanalyse (voir aussi 1, 2, 3, 4, 5). Tout ceci s'avère particulièrement abouti : se révolter, inconsciemment alors, reviendrait à se révolter contre un heureux amour parental, quoiqu'il serve régulièrement des desseins sans rapport avec le bonheur ni l'amour, ni a fortiori vos parents réels.
En somme ? Vous êtes devenus sans trop le savoir, un(e) sociétaire, et tout le monde croit devoir appeler cela le bon sens, tandis qu'il s'agit d'abductions inférentielles sans fondement d'aucune part. On se canalise, quoi, à défaut de pouvoir se piloter, le pilotage advenant à travers les événements eux-mêmes plus ou moins canalisés. Pour le dire avec une image, les Men in Black jouent en votre âme et conscience, ou bien le G-man, et voguent tous les délires complotistes jusqu'aux extra-terrestres, aux Anunnakis, aux reptiliens ou autres (pédo)satanistes … d'ailleurs, puisqu'il s'agit d'abductions inférentielles sans fondement, et pour la coquetterie cocasse, il est très drôle que le terme d'abduction signifie aussi dans les milieux ufologiques enlèvement par des extra-terrestres.
Le Diable s'habille en Prada et les Associés du Diable
À ce stade, évidemment, on reste néanmoins libre – et il devient même légitime – de se demander si les masse-influenceurs seraient fielleux. Dans l'ensemble, ils ne travaillent dynamiquement ni bien dans l'intérêt de la santé mentale publique, ni dans leurs propres intérêts à terme, en ce sens que l'abaissement médiocratique du niveau général ne peut que lui-même impacter leurs propres enfants par effet d'entraînement (on le constate déjà chez un Emmanuel Macron), sans parler certes de la dégradation écologique naturelle. Mais c'était d'écologie culturelle déjà, depuis l'ingénierie sociale … où hélas, que l'un ou l'autre influenceur y renonce, et ses concurrents toujours-utilisateurs le déborderont.
Ces fieffé(e)s coquin(e)s – Karl Marx le devinait bien, mais comme dans tout village – représentent l'un(e) pour l'autre un enjeu de pouvoir lui-même. Que ce village se nomme Illuminati comme l'assènent des complotistes ou qu'il advint comme par la force des choses, cela revient au même. En fait, la question de savoir s'il s'agit d'un complot(isme) ou non, n'a aucun intérêt, elle n'a même pas besoin qu'on lui fournisse de réponse. Les historiens statueront dans un ou quelques siècles, peu importe.
C'est une longue histoire !
En tout cas, dans ce sociétarisme obligatoire, obligataire, obligateur et logiquement obligé (sur un mode capitaliste-devenu-socialiste comme diagnostiquait Joseph Schumpeter, ainsi que sociétaliste dans la morale humanitaire) … dans ce sociétarisme, donc, règne une obligativité génératrice d'obligations et incitatrice d'obligeance mère<->enfant, ou père libertarien<->enfant. Pour le dire avec une antique image, nous nous ébaubissons sous l'administration du Liber Pater : on veut vivre d'insouciance rationnelle, « papa sois sympa allez ». Tout ceci raccorde d'ailleurs allègrement avec la figure héritée de Jésus « bon dieu », dans un pays de Cocagne infini.
Il y a égotisme complaisant et pragmatisme arrogant, aboutissant à un économisme moral et un post-œcuménisme religieux. Cela fait anthropologiquement corps, nous nous trouvons là, avec le sociétarisme, au cœur du réacteur « occidental », c'est-à-dire au cœur du réacteur des sociétés atlantiques, Empire du Soleil couchant. Vraiment, c'est toute une culture dont nous parlons ici sous divers noms (libérale-libertaire, néo-culture atlantique, sociétaire, etc.) dont les racines sont romaines judéo-chrétiennes. C'est assez fou, et d'ailleurs notre époque n'a pas réinventé la poudre, quoiqu'elle l'ait mondialisée*.
Comme on l'a compris, ce sociétarisme, sur la base d'un tel héritage, est humanitariste, fonctionne à travers des morales humanitaires – seraient-elles véreuses – à valoriser un indigénisme bizarre et tordu, des luttes affolées et affolantes, du transgenrisme aveugle et dingue, le tout sur un vieux fond anti-russe habitué, se trompant sur ses craintes quant à un retour aux années 30, et son anti-nazisme prônant des bâtardises génétiques finalement néo-nazies dans leur genre (1, 2), sans parler de « la fin de la philosophie (mentalité ingénierique occidentale) » en transhumanisme (après l'ingénierie sociale et l'écologie culturelle : l'ingénierie biotechnologique de l'animal humain), dans nos têtes échaudées. Tout cela machine en tant qu'Empire du Bien, comme aurait dit l'encore-néanmoins chrétien Philippe Muray …
L'humanitarisme, visage simili-humaniste du sociétarisme, prône en effet l'avènement planétaire d'une forme de Liber Pater romain judéo-chrétien – indépendamment de ses procédures réelles, et vécus conséquents dans les masses ... quitte à confiner la planète entière à votre santé !**
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* Pour tout dire, c'est la raison de ma re-tradition archéofuturiste celtique contemporaine (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10). Et concrètement, le présent article me résume, depuis que j'interviens sous AgoraVox.
** En passant, l'islamisme ne promet rien d'autre, encore que culturellement différentiant vers l'arabique.
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