samedi 8 octobre 2011 - par Fabienm

La femme et l’ours, et réciproquement

La rentrée littéraire, quelle plaie. Tous ces livres, toutes ces émissions, tous ces superlatifs. Il doit bien exister quelque part un moyen de tout faire péter, de dire stop à cet acharnement à nous faire croire qu’un tel ou un tel a écrit « le bouquin le plus important depuis Gutenberg » (vu et entendu à la télé).

Ce n’est pas de la rébellion, c’est juste une question de survie.

Après cette avalanche de nouveautés, j’ai autant envie de lire que d’aller chez mon ancienne dentiste qui avait une sorte d’accent bulgare mal dissimulé et qui était contre toute forme d’anesthésie (inutile de préciser qu’elle ne proposait pas non plus de whisky avant un arrachage de dent. Non non, à peine détournait-elle mon attention (« vous zafez déchà fizité tes prizons turcs ? ») et allez hop, en voiture Simone et fais pas ta fillette chochotte, non mais oh j’ai pas que ça à faire moi).

Mais de quoi on va parler alors ?

Et pourtant. Et pourtant, je vais vous parler d’un livre. Ha ben oui, tout ça pour ça, c’était bien la peine. C’est ma force, on me voit pas arriver (ça marche pas trop mal avec les filles non plus, vu que la plupart ont le flair d’une huître morte).

En fait, je suis un (double) menteur, car plus que d’un livre, je vais vous parler d’un auteur.

Arrêtons-là ce suspens insoutenable, cet auteur c’est Philippe Jaenada.

(Silence).

Qui ?

Je répète : Philippe Jaenada.

Je vais pas vous faire sa biographie, il a un site ( http://www.jaenada.com/ ), une page facebook, et même sa fiche (succincte) sur Wikipedia (c’est dire s’il est célèbre).

Ma première fois

La première fois que j'ai lu un bouquin de Jaenada (vous pensiez à quoi bande de pervers ?), je me suis d’abord demandé si je n'étais pas tombé sur un exercice de programmation en lisp (trop de parenthèses tuent la parenthèse).

Ha ça, il les aime les parenthèses, il en met partout, il les imbrique même. J’avoue m’être déjà amusé à les compter dans un sens et dans l’autre pour vérifier qu’il s’était pas gouré. Mais non, il se trompe jamais dans son nombre de parenthèses (un peu comme Rainman se goure jamais dans le nombre d’allumettes). Quand il en ouvre une, tu peux être qu’un jour il la ferme, c’est magique (vous pouvez donc lire ses bouquins tranquilles sans les compter comme un con comme moi). Une autre chose qui m’a frappé, c’est que c’est la première fois que je lisais un bouquin où on pouvait lire des mots comme « baiser », « niquer », « chatte », j’en passe et des meilleurs, sans que cela paraisse vulgaire.

Pour tout dire (au-delà de l’effet « chatte »), j’ai surtout trouvé ça très drôle. Prenez son premier bouquin « Le chameau sauvage » (Prix Flore 1997), c’est à mourir de rire (oui, je suis encore vivant, mais je suis résistant (c’est mon ancienne dentiste qui m’a endurci pour ceux qui suivent)), mais pas le rire gras, plutôt le rire qui libère, celui qui donne envie de bouffer la vie, de sortir de chez soi. Et pourtant, je suis dur à la rigolade. Genre, l’humour est une chose trop sérieuse pour laisser ça à des rigolos, comme disait l’autre.

Mais encore

Entre autres caractéristiques facilement identifiables, les livres de Jaenada possèdent aussi des héros qui disent « je » et qui sont toujours un peu les mêmes, mais quand même souvent un peu autres, des losers magnifiques à qui il arrive pleins de choses extraordinaires, bien que crédibles (on a une fâcheuse tendance à se demander si c’est pas vaguement autobiographique, mais ça fait quand même beaucoup pour un seul bonhomme). Plus que de lui, en lisant ses livres, on a surtout l’impression qu’il parle de nous, de la vie, avec des mots vrais, et un style. Franchement, essayez d’écrire une phrase jolie avec « niquer », « cul » et « chatte » (bien sûr), et on en reparle, ok ? Ha oui, ça il a un style inimitable. C’est comme ça un livre de Jaenada : ça parle de la vie et ça envoie le bois.

Et son dernier bouquin ?

Dans « La femme et l’Ours » (Grasset), son dernier bouquin dont on ne parle pas assez bordel, c’est surtout l’histoire d’une errance. Toujours ce même héros, en quête de lui-même (ou pas), et qui sombre dans une dérive alcoolique (on pense parfois à « After hours » de Scorcese, là où après une certaine heure tout devient différent … et possible). Les femmes sont toujours là, mais elles ne sont que des passages vers quelque chose d’autre.

Au bout de sa quête tragique (on pourrait discuter longtemps de la fin du bouquin, mais je vous laisse juge), le héros revient à son point de départ, comme souvent chez Jaenada, mais différent (bel exemple de cette circularité dans un autre de ses bouquins « Le cosmonaute », même si pour le coup j’étais pas trop fan de la fin).

On a beaucoup de mal à laisser la lecture, tellement ce loser qui sombre nous semble proche de nous, quand on a envie de lâcher prise, d’aller voir ailleurs (même si nous on espère parfois que tout reviendra dans l’ordre à la fin). Outre la proximité que l’on ressent assez immédiatement avec le héros, on est fasciné par la force descriptive de Jaenada.

Bref, un bouquin que je vous conseille fortement, ne serait-ce que pour découvrir quelle est cette histoire de la femme et de l’ours (oui, il y a souvent une histoire dans l’histoire). Petit conseil cependant, essayez de ne pas trop faire traîner le bouquin s’il y a des enfants dans les parages, et c’est là que je vous gonfle avec ma deuxième fois. J’étais en vacances chez mes vieux en Bretagne, y’avait pas mal de monde dans la baraque (genre auberge espagnole, mais près de Quimper) et j’ai laissé (sans faire exprès, promis) en évidence « Néfertiti dans un champ de canne à sucre » sur la table (le 2ème bouquin du monsieur dont je parle depuis 50 lignes). Je ne souviens plus trop qui a lu la première page (page qui envoyait velu il faut bien le dire), qu’est-ce que j’ai pas entendu le reste des vacances.

C’est un peu ça aussi Jaenada : un choc.

Et ça fait du bien, à notre époque de consensus moelleux.



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