jeudi 26 janvier 2017 - par la Singette

« La fille du 6E » sème son image en vidéos pornos et en carnage !

Un roman dont l’héroïne représente l’appel à jouir par son image animée par caméra porno sur la toile a de quoi intriguer pour son sujet peu banal. A. R. Torre, jeune auteure américaine nous livre tout cru ce personnage à l’humeur criminelle, qui préfère se murer au sixième étage de son appartement pour ne pas passer à l’acte. Et quand elle sort à l’air libre, saura-t-elle frustrer ses pulsions de mort ? Un roman bien troussé, quoique forcément original, il tombe parfois dans le convenu du conte de la fée Carabosse.

Si tu écris le mot porno dans un titre d’article, tu es certaine d’attirer pléthore de curieuses et curieux. Ce n’est pas un pari osé, puisque ce n’est pas mon but. Mon unique objectif est de vous narrer ce que je pense du roman d’A. R. Torre qui vient d’être publié en français aux éditions JC Lattès.

Je suis mitigée, je l’avoue. Je suis allée jusqu’au bout de la nuit pour ce roman, puisque totalement béotienne sur le sujet des caméras pornos sur la toile et j’y ai appris beaucoup de chose. C’est déjà ça.

A propos de la jeune auteure américaine qui n’en est pas à son premier roman et s’amuse à se jouer des codes autour de son héroïne via son éros. Elle carbure aux médias en ligne puisque bloggeuse pour Cosmopolitan et chroniqueuse pour le Huffington Post et le magazine Elle. La couleur est annoncée, A R. Torre cible un public féminin branché qui lui rend la monnaie de sa pièce pour son succès d’estime.

Si je me réfère au top 10 des romanciers érotiques, même si A R Torre n’y figure pas encore, je remarque cependant que c’est une majorité d’écrivaines qui l’illustre. Etre au top 10 littéraire signifie vendre beaucoup de livres et n’est surtout pas pour moi un gage de qualité littéraire. 

J’ai misé toute mon émotion sur les « Onze mille verges » de ce très cher Apollinaire et ça remonte déjà presque au 18 brumaire, ma mère ! Et jamais au grand jamais depuis cette époque héroïque, cette littérature de genre n’a été portée à son apogée. Du moins de mon point de vue de Singette bête à part et forcément ça se discute.

En tout cas, jamais A. R. Torre ne parviendra à se hisser à la hauteur du poète Guillaume qui osait narrer : "Les cuisses étaient tièdes et les fesses étaient froides, ce qui est un signe de bonne santé". De là à dire que les hommes sont plus aptes à écrire sur le sexe. Ne me faites pas dire ce que je n’ai jamais dit. Je ne pense pas et jouer sur le chaud et froid.

En tout cas, ce cher Guillaume, homme entier doit se retourner dans sa tombe à imaginer qu’une partie de la sexualité de nos contemporains s’opère en chambre et en solo, le regard miré à une image de corps qui met en scène des fantasmes contre monnaie trébuchante.

Déjà que la sphère intime s’affiche sur les réseaux sociaux en termes de dépersonnalisation complète des individus, alors adieu les ébats sensuels entre les êtres et vive le triomphe castrateur de l’image reine de la bourse ou la vie.

C’est tout le thème de ce roman. L’héroïne Jessica Reilly 19 ans incarne la parfaite étudiante au corps de rêve devant sa caméra Elle se met en scène de façon torride pour capter les frustrations de ses clients en manque d’astique de leur manche tout sec. Elle vit cloitrée depuis trois ans dans un appartement de 80 m2 au sixième étage. Elle a aménagée un studio d’enregistrement de ses ébats personnels avec elle-même, digne des derniers canons techniques sophistiqués. Garde-robe et jouets sexuels à l’appui de son charme qui fait des ravages et engrange les bénéfices à raison de 6,99 dollars la minute. Jessica est devenue très riche et toujours aussi pauvre affectivement.

« A 6,99 dollars la minute, je peux me faire 55000 dollars dans les bons mois et, dans les mauvais, autour de 30000 dollars ». (page 20)

Effectivement, comme un crabe qui la ronge de l’intérieur, enfant elle a poignardé sa mère à coups de couteau. Celle-ci avait massacré toute sa famille et s’apprêtait à s’en prendre à elle.

Dans le récit, on ne sait pas si elle a été inquiétée par la justice et soignée. On apprend juste que ses grands parents l’ont élevée très librement. Alors, cette pulsion de crime l’habite en permanence. Et pour ne pas l’exaucer à l’air libre, elle préfère s’enfermer jour et nuit dans son appartement et n’avoir de contact avec la réalité que par le truchement de son ordinateur et ses connexions pour commander à manger ses plats tout fait ou ses accessoires professionnels et technique pour améliorer ses prestations.

« Si je veux protéger les autres, j’ai besoin d’être enfermée. Est-ce que je n’ai pas envie de traverser la vie en toute liberté, d’avoir des amis, de tomber amoureuse, de sentir la caresse sur mon visage ? Si. Mais cette option m’est définitivement interdite. Inutile de me torturer en ressassant à l’infini ». (page 38)

Certes, elle est suivie par un psy lors de conversations téléphoniques pour essayer de trouver un équilibre à son existence sur la tangente. Il y a aussi le hacker, l’un de ses clients qui lui sera très utile quand le roman va basculer à l’ouverture de sa porte de sortie. Il y a aussi Simon Evans. « En trois ans, il est devenu sévèrement accro aux analgésiques. Je m’assure que son flacon de gélules est toujours rempli, lui se charge de m’enfermer le soir venu. Ma porte est très certainement la seule de la résidence à ne pas être équipée d’une serrure à l’intérieur ». (page 21)

Il y a encore Jérémy le livreur de colis et un élément déclencheur du basculement du roman.

En attendant, plongez-vous dans l’univers des caméras vidéo pornographiques sur la toile. Je me refuse d’utiliser le terme anglich pour ne pas tuer notre langue et notre culture rabelaisienne, pardi.

Quelques chapitres commencent par une définition de certaines pratiques sexuelles et comportements considérés comme des perversions. La podophilie, jeu de régression, psychose, pédophilie… Elle doit faire face à une clientèle hétérogène et hétéroclite et user de sa capacité de s’adapter en mettant elle-même ses limites. Avec une certaine caractéristiques pour le moins peu banale dans la profession qu’exerce l’héroïne : elle est vierge sexuellement au sens commun où elle n’a jamais partagé un rapport sexuel avec quiconque. Vous me direz que ses outils de travail compensent ce manque de sexualité, certes. Mais ce point est très important à connaitre pour cerner sa personnalité et il aura des incidences dans la suite du roman.

A. R. Torrre a étudié son sujet à la loupe, ce qui appuie la véracité de ses propos. Elle s’en explique à la fin du livre dans la note de l’auteur.

« Au cours de mes recherches, je me suis plongée dans cette industrie et j’ai été stupéfaite par les femmes que j’y ai croisées. Des femmes venues de tous horizons, dont la plupart ont un très haut niveau d’étude, sont indépendantes et ont un passé de femmes d’affaires. Certaines ont choisi la webcam par envie, d’autres contraintes par les circonstances, mais toutes ont le même remarquable point commun : la confiance. Ces femmes n’ont pas honte de leur activité. Elles en tirent de la fierté ». (page 380).

Vous l’aurez compris, A. R. Torre apprécie son personnage et le respecte. Elle le connait par cœur.

C’est vrai que si le roman avait tourné juste autour de l’activité salariale de son héroïne, on se serait vite lassé, puisque comme vous l’imaginez, le zizi des hommes est si pauvre vis-à-vis de nos possibilités sensuelles chez nous les femmes. Je ferme la parenthèse.

Donc, heureusement il y a un élément déclencheur qui va faire sortir de ses gonds (c’est le cas de le dire), Jessica et lui faire voir du pays.

Quand elle apprend qu’une petite fille nommée Annie est portée disparue. Certains détails troublants de son enlèvement prouveraient que son ravisseur pourrait être un de ses clients porté sur la pédophilie.

Jessica va-t-elle se grimer en vengeresse, vous le saurez peut-être si vous lisez ce roman palpitant ?

Je ne veux surtout pas déflorer la fin, pardi. Même si encore une fois, je trouve dommage que sur une telle thématique riche et actuelle, l’auteure aurait pu prendre une autre direction, beaucoup plus subversive.

La quête du prince charmant qui révèle la princesse endormie depuis trois ans et la réveille d’un songe criminel éveillé, je le réserve pour les contes souvent plus gores. Même si « Ce roman est mon enfant terrible. Il est bizarre, il a mauvais genre, et il m’a bien souvent désobéi » nous confie l’auteure dans ses remerciements.

C’est vous qui voyez si vous le lisez. Ce roman a le mérite d’exister et a nécessité un gros travail de recherches et d’écriture sur une thématique bien réelle d’un pan économique basée sur les frustrations sexuelles dans nos sociétés aseptisées.

 

A. R. : La fille du 6E, éditions JC Lattès, 380 pages, 20 euros, 18 janvier 2017

 



1 réactions


  • berry 27 janvier 2017 13:33

    Cet article est le plus visité aujourd’hui.
    C’est beau, cette passion pour la littérature.


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