La grande délinquance du marché de l’art échappe à tout contrôle
La grande délinquance financière, celle des cols blancs, régulièrement dénoncée par nos concitoyens, n'est par la seule à oeuvrer dans l'ombre. Elle concerne également le juteux marché de l'art. Et dans ce secteur, les chiffres sont édifiants : les experts estiment que 30% des transactions réalisées dans le secteur du marché de l’art seraient touchées par des affaires de faux. Pourtant, ce marché est un petit univers où seuls les initiés ont leur place. Faute de pouvoir acquérir de grandes œuvres classiques dont les ventes sont rares, les collectionneurs et autres milliardaires s’intéressent de près à l’Art moderne. Des œuvres actuelles jusqu’à celles du début du XXe siècle restent accessibles à une petite élite. Mais l’envie d’acquérir pour le seul plaisir de posséder ou de revendre une œuvre avec bénéfices à la clef devient parfois aveuglante comme le prouve l’histoire incroyable des époux faussaires Beltracchi.

Faire du neuf avec du vieux pour mieux faire de l’argent. Telle a été la devise de Wolfgang et Helene Beltracchi pendant plus de trois décennies. Fils d’un restaurateur de peintures, Wolfgang se lance dans l’art dès son plus jeune âge. Son don ne passe pas inaperçu auprès de sa future femme qui lui propose alors une combine qui générera des dizaines de millions d’euros et permettra au couple de vivre dans le luxe. Mieux que la restauration de tableaux, mieux que la copie de chefs d’œuvres, les Beltracchi imaginent la réalisation de tableaux de maîtres « qui auraient pu » être vrais.
Faussaires géniaux - experts zéro
Le couple se documente et fantasme un passé dans lequel la grand-mère d’Helene et son époux ont acquis une immense collection notamment via Alfred Flechtheim, un galeriste juif allemand mort à Londres en 1937 après avoir fui le régime nazi. Des œuvres restées dans la famille Beltracchi (selon la légende forgée par les deux compères) et que le couple souhaite vendre à des collectionneurs ravis de mettre la main sur des œuvres disparues sans laisser de traces. Woflgang joue du coup de pinceau comme personne mis à part une cinquantaine d’artistes aussi réputés qu’André Derain, Raoul Dufy ou Max Ernst. Des univers différents que le faussaire parvient à reproduire à la perfection.
Les experts et autres spécialistes tombent dans le panneau pendant trois décennies, abusés il est vrai, par des faux justificatifs et mêmes photographies où apparaissent les œuvres à côté desquelles pose Helene Beltracchi prenant les traits de sa riche grand-mère inventée. Il faudra attendre plus de trente ans et l’analyse en laboratoire d’une œuvre supposée de Heinrich Campendonk pour mettre fin à la supercherie. Une des couleurs utilisées n’étaient apparue qu’en 1938 alors que l’œuvre était censée dater de 1914…
Cette histoire bien connue des experts n’a malheureusement rien changé au fonctionnement d’un marché de l’art où les zones d’ombre demeurent nombreuses. Les experts détiennent les clés et font la pluie et le beau temps auprès de collectionneurs peu avertis surtout lorsqu’il s’agit de riches hommes d’affaires désireux de se tailler une (petite) place dans un univers feutré où les apparences comptent avant tout. Un paraître qui peut coûter cher puisque le couple Beltracchi a dû rembourser la bagatelle de trente millions d’euros aux collectionneurs escroqués. Une sommes rapidement rendue par le couple qui a dû gagner bien plus au cours de sa folle odyssée « artistique ».
D’autres affaires ont éclaté depuis leur court passage en prison en 2011 à l’image des faux de l’avant-garde russe. A chaque fois, les experts tombent en pamoison devant des chefs-d’œuvre qui n’en sont pas, mais qui suscitent une telle convoitise que les doutes possibles sont mis de côté. Les sommes ahurissantes échangées dans ce petit milieu expliquent en partie la propension à se faire berner. D’ailleurs, le procès des époux Beltracchi n’aura pas permis d’en savoir plus sur les dessous peu avouables de ce business car il s’est conclu en quelques jours. Bien des personnes ont poussé un ouf de soulagement. Bernés oui, mais toujours crédibles sur le marché de l’art. Les riches amateurs sont prévenus, mais encore faut-il vouloir ouvrir les yeux pour se donner une chance de voir. Les Beltracchi, eux, continuent de vivre de leur art en vendant des toiles entre 20 000 et 150 000 euros. Comme quoi le monde de l’art sait se montrer généreux avec ceux qui ont joué avec.