mercredi 17 décembre 2014 - par Paul ORIOL

La guerre est finie !?

L'actualité cinématographique et littéraire offre aux spectateurs et lecteurs français trois œuvres fortes qui viennent de pays, anciennement colonisés par la France, Algérie et Mali, et qui abordent des problèmes que ces pays affrontent aujourd'hui.
« Timbuktu  » favorablement accueilli à Cannes au printemps dernier et aujourd'hui, par la critique et le public français.

« L'Oranais », qui a connu une sortie mouvementée en Algérie mais connaît un succès certain dans les salles françaises.

« Meursault : contre-enquête  » qui a trouvé ses lecteurs en Algérie et aujourd'hui en France après avoir récolté quelques prix et manqué de peu le dernier Goncourt.

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Abderrahmane Sissako

«  Timbuktu* » se déroule dans une ville du nord du Mali dont la vie est, désormais, réglée par la nouvelle administration islamiste, venue d'ailleurs, qui impose sa vision intégriste de l'islam : destruction des «  idoles  », interdiction de la musique, des
ballons, tenue vestimentaire de rigueur pour les femmes comme pour les hommes. A l'aide de dures sanctions.
Dans les abords de cette ville, éclate une rixe qui tourne mal entre l'éleveur Kidane, vivant avec sa famille sous la tente et le pêcheur Amadou, pour une histoire de vache détruisant des filets.
Des images magnifiques, le (classique) désert de sable, gazelle et chameaux. Mais aussi des images très dures, lapidation, flagellation, assassinat de Kidane et de Satima, son épouse, ou porteuses d'un espoir improbable, la survie, la fuite éperdue dans le désert de Toya, la fille de Kidane et Satima, et de Issan, leur petit berger, tous deux âgés d'une douzaine d'années.
Il faut aussi ajouter l'humour de Abderrahmane Sissako : Kidane appelle sa vache préférée GPS, le jeune ancien rappeur incapable de réciter son ralliement au djihad devant une caméra, la discussion de deux djihadistes sur les qualités respective de Zidane et de Messi, l'obligation de porter des robes longues pour les femmes et des pantalons courts pour les hommes...

L’histoire se déroule dans un milieu traditionnel aux langues entremêlées, tamachek et bambara, arabe, français et anglais ; à l'équilibre précaire mis en évidence par la meurtrière altercation entre le pasteur et le pêcheur, le (semi) nomade et le sédentaire, le blanc et le noir, descendants des seigneurs et des esclaves...

L'intrusion extérieure vient imposer les règles d'un islam intégriste et du djihad à un village qui résiste pacifiquement : surtout les femmes par le refus des injonctions aberrantes, obligation, après le voile, de mettre des gants pour vendre le poisson, refus du mariage imposé, avec l'appui de l'imam qui prêche un djihad intérieur, les jeunes qui jouent de la musique ou organisent une partie de football, sans ballon...

Qu'il est loin le temps des colonies. Et l'Occident aussi. Qui n'apparaît que par ses machines, les véhicules de guerre, les armes, le téléphone portable et le football, avec le match entre les jeunes qui restera dans l'histoire du cinéma...

Oran 4

«  L'Oranais  » illustre les mœurs politiques de cadres issus de la guerre de libération nationale. Djaffar, l'Oranais (Lyes Salem, le réalisateur), bien que nationaliste, n'est entré dans la lutte armé que par hasard, entraîné, par son ami Hamid, dans une fuite au cours de laquelle il tue involontairement un colon. Il doit rejoindre le maquis où, pendant plusieurs années, il fait ses preuves. L'Indépendance acquise, commandant, il peut rentrer chez lui, en héros pour retrouver un fils qu'il n'a jamais vu et sa femme... dont on lui a caché la mort.

La guerre est finie : « Le colon n'était pas un mauvais homme mais il avait fait le mauvais choix », « Nous n'avons pas combattu les Français mais le colonialisme » disent les politiques... Construire l'Algérie nouvelle est le nouveau combat, avec passion et/ou compromission, dans la fraternité ou l'affrontement des anciens combattants devant les nouveaux problèmes qui peuvent conduire à des dérapages entre «  frères  »...
La construction nationale, probablement moins meurtrière, est bien difficile. Les amitiés se déchirent devant les questions nouvelles. Les puissances de l'argent. Le commandant Jaffar, l'Oranais, « le commandant est mort en 1962 » dit-il, ne rentrera pas dans le rang, n'épousera pas la belle fille de notable qui le ferait entrer dans un clan. Jaffar et le fils de sa femme assumeront un lien dont ils savent tous les deux qu'il n'est pas celui du sang : «  son  » fils est le fruit du viol, vengeur, de sa femme par le fils du colon qu'il a tué. La guerre est bien finie. On a besoin de tous pour construire.

Ce film, coproduit par l'Agence algérienne du rayonnement culturel, n'a pas été interdit par les autorités mais sa sortie a créé des remous par l'image qu'il donne à voir du comportement de certains cadres algériens.

9AlgerCasbah

La guerre est finie, aussi, dans « Meursault : contre-enquête » de Kamel Daoud. Certes, un Français, avec un nom et un prénom, Larquais Joseph, est tué par le narrateur, comme un Arabe anonyme est tué dans « L’Étranger » d'Albert Camus. Mais tous les deux sont tués «  hors des heures d'ouverture ». L'Arabe avant la lutte de Libération nationale et le Français après le cessez le feu. La mort de l'Arabe ne vaudra pas à sa mère une reconnaissance et une pension et le meurtre du Français ne permet pas au narrateur de prétendre au titre de «  moudjahid  » (combattant)
« Meursault, contre-enquête » n'est pas un livre sur la guerre d'Algérie. Même s'il en porte les traces. Le narrateur n'est pas un historien même s'il est façonné par cette histoire. Il ne se situe pas dans le chant héroïque, officiel, de l'après l'indépendance. Il est un Algérien moyen qui vit dans l'Algérie d'aujourd'hui. Ni traître, ni héros. A l'âge de se battre, il n'a pas rejoint le maquis, ce que ses congénères lui reprochent.
Ce qui lui pose problème, ce n'est pas le colonialisme ou les séquelles du colonialisme, ce n'est pas Camus dont il loue en permanence le génie littéraire, c'est la disparition de son frère que sa mère a recherché pendant des années. C'est le poids de sa mère sur son enfance. S'il tue un Français, c'est surtout sous la pression de sa mère qui n'a pas fait le deuil de son aîné. Et cette mort va le légitimer aux yeux de sa mère. Le libérer.

Mais la trame de fond, essentielle, du roman, c'est la situation du narrateur qui se raconte à un inconnu, chaque soir, autour d'une bouteille de vin, dans un des derniers cafés d'Oran. C'est la situation de l'Algérie d'aujourd'hui sous le poids d'une religion qui étouffe toute vie, toute jeunesse, à laquelle le narrateur s'oppose dans le roman. En utilisant le français pour s'en distancier.

Comme Kamel Daoud, dans Le Quotidien d'Oran. Quotidiennement. Courageusement. Dangereusement,

 

PS : La guerre est finie. Mais peut-être encore utilisée. Ici et là-bas. « Lalla Fadhma N'Soumer  », film en langue kabyle, rappelle l'un des nombreux épisodes de la résistance kabyle à l'occupation française. Ici en 1850-51.

 

(1)- « Cheikh Chemssedine, le plus connu des prédicateurs ' satellitaires ' algériens... attaqua sévèrement le film, le traitant de satanique, critiqua sa manière de « dénigrer » la révolution algérienne, les ' Moudjahidin ' et ' la dignité ' des Oranais, appelant les autorités à interdire le film et les habitants d'Oran à poursuivre son réalisateur en justice ». Faycal Sahbi Le Quotidien d'Oran, 15/12/14

 

* Timbuktu, de Abderrahmane Sissako, 1h37mn, Français-Mauritanien

** L'Oranais, de Lyes Salem, 2h8mn, Français-Algérien

*** Meursault, contre-enquête, de Kamel Daoud, Barzakh ; 2013, Actes Sud 2014.

**** Lalla Fadhma N'Soumer, de Belkacem Hadjadj, 1h37mn, Algérien



4 réactions


  • Daniel Roux Daniel Roux 17 décembre 2014 09:24

    L’article expose des œuvres dont les auteurs expriment le génie propre à chacun des peuples dont ils sont issus.

    Même si c’est pour la bonne cause, on ne peut pas réduire un peuple à un évènement particulier relativement court aussi traumatisant soit-il. Rappelez constamment aux peuples leurs humiliations passées ne les aident pas à s’émanciper.

    Qui, hors quelques rares spécialistes, connait en France la riche et complexe histoire des peuples d’Afrique ?

    Leur histoire recèle certainement d’autres moments plus positifs et plus structurants mais empêcher d’apparaître pour que ces pays restent à jamais « d’anciennes colonies françaises ».

    L’auteur n’écrirait pas de la France, « un pays régulièrement battus et occupés par les allemands » ou « un pays dont le peuple a été maintenu en quasi esclavage pendant 10 siècles de terreur par une alliance scélérates entre les aristocrates et le clergé. »


  • cathy30 cathy30 18 décembre 2014 08:00

    Le cinéma algérien était bien meilleur avant les attaques islamistes des années 1990. Un bien meilleur regard sur leur société actuelle, que celui des années colonialistes victimaires et perpétuelles. J’aimais beaucoup ce cinéma. L’islam est passé par là, dommage.


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