La guitare qui démanche
C’est comme ça. Vous croyez avoir tout entendu en duos de guitares, des plus classiques aux plus extravagants en passant par les grands classiques (les éternels Alexandre Lagoya et Ida Presti ) (ah, Ida, quelle merveille !!) , du jazz (Birelli Lagrene et Stochelo Rosenberg ... (ah purée, leur version de "Isn’t she lovely" de S.Wonder !!! ) et du blues, avec Stevie Ray Vaughan et le meilleur des trois Kings, Albert ...), et voilà qu’un jour un gus vous saute sur l’ordinateur, vous tape un truc vite fait dans votre Firefox, met le son de votre machine à fond et vous dit d’un péremptoire "tiens, toi, qui semble aimer la musique, écoute ça". Et "boom", comme dit Steve Jobs au milieu de ses présentations scéniques de nouveaux Macintosh, vous tombez de votre chaise avec ce que vous venez d’entendre. Renversant. "Boom", vous êtes par terre. En tombant sur ça . Et encore, attendez, ce n’est pas encore du "Live".
Epoustouflant, enthousiasmant...tout en étant d’une fraîcheur remarquable, et surtout sans étiquette musicale précise à leur accoler, aux deux protagonistes qui viennent de vous faire chuter de votre chaise. Ce n’est ni du blues ni du flamenco, et encore moins du jazz : visiblement, ces deux là n’improvisent pas ! Mais jouent une partition, toute écrite dans leur tête, le garçon plutôt solo, la fille plutôt rythmique, à deux en tout cas le bonheur musical complet. A vrai dire, l’homme qui me les a présentés, j’aurais dû m’en méfier : sur son fond d’écran d’ordinateur, il avait mis une superbe Maurice Dupont... un gars comme ça, m’étais-je dit, en installant sa bécane, ne peut pas être mauvais. Il doit connaître notre icône régionale : Michel Scamps, maître es-guitare du coin, section (anciennement) Boulevard de Reims, à Roubaix me disais-je. Evidemment, il connaissait. Qui ne connait pas en France Scamps ? A ce stade, ce n’est plus de la lutherie, c’est de la bijouterie . Mauvais, c’est donc impossible : la guitare c’est l’homme, c’est bien connu. Venu du rock électrifié, normal pour sa génération de trentenaire, il a progressivement versé guitare sèche, notre commercial, façon manouche comme c’est un peu la mode en ce moment avec Sanseverino, que j’apprécie énormément il est vrai. Il écrit même pour certaines posteuses qui viennent hanter ce site, c’est dire. Et ce commercial cultivé (ça existe, ça nous change de ceux qui pour vendre n’importe quoi vous proposent leur grand-mère avec !) ce qu’il écoute, et bien ma foi... c’est pas n’importe quoi. Surtout ces deux là ! Je vous ai déjà dit que je faisais un boulot étonnant : là, avec des gars comme Eric (c’est son prénom), je me dis que c’est plaisir de se lever le matin pour aller lui installer une application ou le former à son usage : on ne va causer que musique durant tout le temps de la manip ! Et quelle musique ! Purée !
En parlant de guitares, mes deux loustics, là, jouent aussi sur des trucs pas très ordinaires : des guitares signées Frank Tate, ce luthier irlandais qui a fait tourner plus d’une oreille et vidé plus d’un portefeuille. Les guitares ont toujours fait rêver. Vous allez me dire, ce n’est pas si étonnant que ça, l’homme est réputé dans son pays (ici ça viendra, rassurez-vous !). Mouais, mais ce n’est pas ça le problème : les deux virtuoses sont... mexicains ! Que viennent donc faire des mexicains en Irlande ? Ah ça, c’est une longue histoire ! Mesdames et messieurs, laissez-moi donc à mon tour vous faire découvrir les deux mexicains de Dublin, j’ai nommé Rodrigo (Sanchez) et Gabriella (Quintero), puisque ce sont leurs noms respectifs et aussi leurs prénoms de scène. En commençant par un de leurs morceaux phares : oui, vous ne rêvez pas. Le public est aussi déchaîné que pendant un concert de hard-rock... normal, ils jouent du ...Metallica, et à Manchester.... siouplaît. Oui, à la guitare sèche, et en duo, siouplaît. "Boom", encore un choc. Et démontrent une vidéo plus loin que rien ne leur fait peur question répertoire en s’attaquant à la pierre philosophale du hard-rock, j’ai nommé Stairway to Heaven de Led Zeppelin ! Tout, ils attaquent tout avec autant de bonheur. Même du jazz (bien blanc, un peu trop académique, il est vrai) avec une version à tomber de Take Five, de Dave Brubeck. Il faut oser, surtout avec un tel traitement. Toujours devant un public aussi débordant enthousiasme : les salles de 20 000 personnes ne leur font pas peur. Des salles pleines de fans... de Hard-rock ou de Grunge ! Seraient-ils le chaînon manquant pour faire aimer à nouveau la guitare sèche aux ados ?
Leur musique, qui ne sonne donc comme aucune autre est leur clé d’entrèe auprès du public : ’boom" à peine vingt secondes d’un morceau et on a pigé qu’on a affaire à une espèce à part. Leur public, emballé à chaque coup, ne s’y trompe pas. Des virtuoses, au style propre, ce qui de nos jours est quasi impossible à trouver, tant on copie bêtement l’existant en clamant avoir tout inventé. Virtuoses l’un et l’autre, il n’y a pas, tant Gabriela est le pilier du duo ! Voilà qui va remettre le machisme musical à sa place ! Et puisque d’aucuns citent leur flamenco à leur égard, "boom", voilà le monumental "Tamacun", extrait de leur tout dernier album de novembre 2008, mais déjà présent sur celui de 2008. Avec un petit effet qu’aurait affectionné John Martyn tiens. Ils récidiveront à un festival avec leur nouvelle pédale wah-wah. Non, décidément, Martyn peut dormir tranquille sur son petit nuage. L’écossais décédé a fait des émules, et c’est chez des irlandais d’adoption ! Voilà qui me ravit, et vous aussi je suppose !
"Boom", vous êtes à nouveau par terre. C’est la symbiose parfaite entre le rythme et la mélodie, miss Quintero nous montrant que la guitare ce peut être aussi instrument de percussion ! Epoustouflant ! C’est tout simplement inimitable, cette façon d’attaquer l’instrument. Ecoutez cet extrait pour vous en persuader encore davantage. "Boom" ! C’est en même temps très académique et très innovant, à croire qu’il repassent en revue tous leurs grands prédécesseurs : on songe à Al Di Meola, bien sûr, période Tiramisu, ou au grand classique que représente le Paco de Lucia-MacLaughln-DiMeola ... on est proche de la fusion, parfois, il est vrai. Et eux semblent avoir écouté très attentivement du Paco de Lucia, justement. Il avait de la gueule, jeune, en prime Al Di Meola ! Sinon, ils ne sauraient pas aussi bien retomber sur leurs doigts après l’exposition de leur thème principal ! Quand ils passent à la radio," re-boom". Petit interview rapide et c’est reparti crescendo.... trop bien. "Re-re boom" ! Et au cas où vous n’auriez pas encore compris ce côté suave et hypermélodique de leur musique, voici qu’arrive "Oogie Boogie’s Song", avec cette propension à partir non sans avoir auparavant bien damé la place, avec une rythmique d’enfer. Inclassable !!!! Transportez-les à Belfast, vous obtenez une autre merveille, en majeure partie jouée en canon, devant un public (de jeunes, très jeunes !) tout acquis : à la sortie de leur dernier album, ils se sont retrouvés en tête des charts du pays en deux semaines à peine !! "This spring, "Rodrigo y Gabriela," beat both the Arctic Monkeys AND Johnny Cash to number one in the Irish charts". Ce n’est pas le pays de Phil Lynott pour rien !! Peut-être qu’ils nous adapteront un jour Cathleen, qui sait ! (quel autre monument ce morceau, et quel album !)
Car leur incroyable répertoire et style s’expliquent : ce sont deux personnes qui se sont rencontrés à l’équivalent d’une MJC à Mexico-city, où le frère de Rodrigo était directeur. Rodrigo a au départ une formation de batteur et non de guitariste, qui a formé un groupe de... hard-rock, appellé Tierra Acida, où il a progressivement pris le rôle de guitariste, et où Gabriela l’a rejoint (regardez leur look heavy métallien en diable !). Elle provenait de trois groupes de filles, dont "Les Fourmis" (Las Formigas) et "Les Sorcières" (Las Brujas). Le groupe a énormément tourné, ce qui explique leur sens du public et la captation directe de ses réactions : la scène, et non le studio, et bien leur lieu de prédilection. Débarqués à Dublin sans le sou en 1999, ils y sont restés, tant là-bas la scène locale permet de vivre et non de survivre : dans tous les pubs, on joue, et tous les cafés ou presque possèdent leur scène. Ils effectueront bien un cours séjour au Danemark, ou ils écriront "Diablo Rojo", et surtout "Viking Man", en l’honneur de leur copain de rue, un SDF, qui les avait accompagnés dans leur dure vie d’instrumentistes de rues. Ils ont aussi tenté Barcelone, où là on a tenté vainement de les faire jouer les Mariachis ! !! "Rodrigo et "Gabriela prennent ensuite la direction de Barcelone, où tout ce qui intéressent les programmateurs de salles c’est qu’ils jouent de la musique Mariachi, mais surtout pas leur propres compositions. Rod & Gab se mettent alors à jouer sur Las Ramblas, la principale avenue de la ville, où la police Catalane leur mène la vie dure". Rappelés à Dublin par leur pote Damian (Rice) qui venait d’ouvrir un club, le Sugar Club, en 2003, les voilà à nouveau en Irlande. C’est lui qui leur fera enregistrer leur premier disque sous ce nom de Rodrigo et Gabriela, "Re-Foc", ’(commentaire d’un internaute : "...Voilà un moment que je n’avais pas pris une claque musicale ...") puis en 2004 "Live Manchester and Dublin," qui les fait réellement décoller. Depuis 2005, ils trustent les hit-parades et les radios, et surtout remplissent des salles incroyables pour un duo sans chanteur ou chanteuse. Le monde du rock les a adoptés, leur reconnaissant une filiation naturelle, héritage de leur débuts. En festival, ils font un malheur à chacun de leur passage. A les entendre ça s’explique facilement !
A préciser que de tous temps, les rockeurs eux-même ont été tentés par les influences hispanisantes ou argentinesques). Chez Hank Marvin, des Shadows, c’est net. Ça l’est moins chez Peter Green, mais si vous écouter la seconde partie de OhWell (pas incluse ici), cet autre monument de la musique rock, vous ne pourrez qu’acquiescer. Dans le blues anglais, on trouve ici et là des tentatives hispanisantes : dans une intro live de l’excellent Savoy Brown, on a un superbe... tango ("Hernando’s Hideway", sur la face live dédiée au Boogie). Argentin, on sait, le tango. On peut aussi évoquer le rythme, comme pour Green, éternel créateur de "Black Magic Woman" repris par qui vous savez. Et là, un gars s’impose, qui vient juste de dispararaître : Snooks Eaglin, pilier trop discret de la Louisiane, l’un des rois de la Nouvelle Orléans avec les inimitables Neville Brothers au célèbre Tipitina’s (ah, ce Sister Rosa, quel résumé de la la vie exemplaire de Rosa Parks, quel clip !) ou les fabuleux Wild Magnolias. Le RYTHME a pour patrie la Nouvelle-Orléans, et ça il n’y plus personne pour le remettre en question ! En réécoutant ce week-end des morceaux de Snooks Eaglin, en son honneur, pour m’avoir tellement fait plaisir avec ces morceaux délicieux, j’ai retrouvé des brisures de rythme et de la syncope similaire à nos deux héros du jour. Les solos, c’est bien, pour les mettre en évidence, il faut un beau tapis de notes, une assise rythmique implacable, et ça, les gens de la Nouvelle-Orléans l’ont compris depuis toujours. Et du rythme, pour faire bouger les gens. Rodrigo, sans Gabriela, n’existerait pas. Et inversement. Ils ne sont pas près de faire deux carrières séparées, ces deux-là.
Leur musique est un mix réussi de toutes ces influences, et ce n’est donc pas du flamenco comme d’aucuns voudraient les réduire : "Influences range from family salsa records to Gabriela’s aunt’s Pink Floyd, Black Sabbath, Queen, and Led Zeppelin vinyl, with Rodrigo also embracing a similar classic rock lineage. But, crucially, they grew up during Mexico’s ’metal era. People expected two acoustic guitarists would play classical music, but we dropped in extracts from Led Zep, Hendrix and Metallica, then we did the same with "Stairway to Heaven !" Their music is instrumental "with very lyrical themes. Mentions of flamenco influences raise sharp responses : "To many music fans, it sounds like flamenco, and we’re great flamenco fans, but we don’t play it" says Gabriela. Voilà, c’est dit, et c’est très clair. "The only similarity is that our music is guitar music and it’s very rhythmic." Ecoutez ici "Libertango" pour vous faire un idée cependant des liens avec la musique argentine. Leur dernier disque a bénéficié d’une production plus soignée que les précédentes, signée John Leckie (de Be Bop DeLuxe, Stones Roses, Radiohead, Muse, et Morning Jacket). Un seul invité : Ruby Lakatos, le violoniste manouche, vieil habitué de la scène Bruxelloise, qu’il a hanté pendant près de 15 ans, entendu sur Ixtapa (une ville du Mexique). Dans l’album, "Orion" est un hommage à leurs années passées à jouer du hard, qu’ils commentent ainsi de façon fort étonnante (ces deux là sont doués en tout, même leurs références sont à noter !) : "A tribute to the style of music we love, it’s what kept us playing the guitar through all those Spinal Tap years". Vous vous rendez-compte, ils connaissent aussi Spinal Tap, le film le plus drôle et le plus moqueur jamais fait sur les hard-rockers ! trop bien,, je vous dis, ils sont trop bien (visionnez cette pub Wolskwagen faite par Nigel Shreds, ça va vous rappeler des choses ) !!! Avec des gens comme eux, ces jeunes talenteux, ou John Mayer, la relève semble assurée (Mayer qui fait aussi dans l’hilarant Wolskwagen)... les ados ont trouvé leurs nouvelles idoles et c’est très bien !
Bref, ces deux extraterrestres débarqués du Mexique sur la bonne terre musicale irlandaise ont tout compris. Avec simplicité, ils savent résumer ce qu’ils font en définitive : "il y a essentiellement des harmonies et des rythmes latinos mais la structure est rock,… quand on est fan de métal et guitariste il y a certains putains de solos qu’on ne se lasse pas d’entendre !" Oh-là, les "putains de solos"... mais on ne fait qu’écouter ça depuis toujours !!!
Merci à Eric D, pour m’avoir fait découvrir ces deux géants si amicaux et l’immense plaisir musical qu’’ils donnent. La prochaine fois que vous entendez des gens jouer dans la rue, prêtez-donc l’oreille : il y a d’autres Gabriela et d’autres Rodrigo, peut être, qui sait, sur cette planète si riche en sonorités... et en musiciens aussi extraordinaires que nos deux héros du jour. Toutes les photos qui accompagnent cet article sont extraites du DVD accompagnant l’édition spéciale de l’album "Rodrigo y Gabriela" de 2006, aimablement prêté par Eric D.
Rodrigo et Gabriela avaient effectué en novembre dernier une tournée en France, ils avaient joué au Transbordeur, à Lyon, à l’Olympic à Nantes, au Bikini à Toulouse, à la Coopérative à Clermont-Ferrand et au Bataclan, pour deux dates. Jules Frutos, le gérant du Bataclan, à l’origine de leur tournée, a toujours eu le nez avant les autres, en France, pour produire des talents, et ce n’est pas aujourd’hui qu’il va en changer !!! A vous d’appuyer la demande, maintenant, pour les revoir au plus vite !!!
Pour Lakatos, il vous faudra patienter au 18 avril prochain à Bruxelles, au PSK, avec Myriam Fuks (album "Anthology Of A Yiddishe Mama - What Can You Machen ? Sis Amerika !") .
A cette date, il n’existe que 5 disques d’eux seulement à écouter. Cela suffit amplement, remarquez, pour nous convaincre de leur immense talent.