La Joconde : histoire d’une grande famille florentine
Dans "Le Jocond" récemment paru, les éditions Michel Lafon proposent la thèse absurde que la Joconde ne serait pas Monna Lisa, une noble florentine, et cela bien que les textes l'attestent. Triste exemple de la décadence intellectuelle de notre nation, les médias s'empressent de signaler cet ouvrage alors que le très sérieux livre de l'expert Giuseppe Pallantidu est tombé dans l'oubli.
Pour rédiger ces quelques lignes, je me suis inspiré de ce qu'a découvert et écrit ce chercheur sur la famille de la Joconde. Comme dans mon précédent article, je présente l'affaire sous forme d'une audition devant un tribunal.
... Audition de Francesco del Giocondo.
Je suis né à Florence le 19 mars 1465. J’y suis décédé en 1538 à l’âge de 73 ans.
Je m’appelle Francesco del Giocondo, fils de Bartolomeo, fils de Zanobi, fils de Iacopo, fils de Bartolo.
Mon arrière grand-père Iacopo fabriquait des tonneaux à Florence, pour le vin. Toute sa vie, il a travaillé comme artisan. Il tenait boutique dans un quartier populaire de la ville. Lorsqu’en 1427, à l’occasion de ses soixante-dix ans, on fêta son anniversaire dans sa maison - trente-huit ans avant ma naissance - il était entouré de sa femme, de ses deux fils et de sept petits-enfants. Grâce à son industrie, il avait acquis une autre maison et des propriétés à l’extérieur de la ville.
Mon grand-père Zanobi, avec son frère, se lança dans le commerce des tissus précieux, la soie, le taffetas, le satin. Avec ses quatre fils et ce frère qui n’eut pas de descendance, il réussit à développer une entreprise très prospère. Puis, mon père Bartolomeo se mit à son compte et, avec ses deux premiers fils, puis moi-même, nous réussîmes à nous hisser aux toutes premières places. Le volume de nos affaires s’accrut lorsque Cosme de Médicis prit le pouvoir. Nous avions des comptoirs à l’étranger et nous vendions des tissus précieux à Lyon comme à Rome. La solidité de notre clan et la prospérité de notre compagnie nous ont permis d’acheter à la campagne de magnifiques propriétés et de nous installer dans des belles demeures du quartier noble. L’héritage que je reçus de mon père a fait de moi un des plus beaux partis de la ville.
J’ai épousé ma première femme, Camilla, alors qu’elle avait seize ans. Dans notre société, le fait est tout à fait dans la normalité. Sa mort fut pour moi une grande douleur. Elle a eu un enfant trop jeune, et après… (Le regard du témoin s’embue de larmes).
Pourquoi ai-je épousé Monna Lisa ? Quand je l’ai vue pour la première fois, j’ai cru revoir Camilla. Que nos familles aient facilité, voire arrangé notre rencontre en prenant en compte nos origines et nos biens, c’est possible. Monna Lisa était issue d’une ancienne noblesse seigneuriale qui vivait des revenus de ses terres, mais ma première épouse, elle, appartenait à une des plus grandes familles de Florence, une famille qui vivait dans un palais.
J’ai reçu une éducation digne des plus grandes maisons de Florence. Dans ma famille, on s’intéressait aux arts, notamment à la peinture et à la musique. Ayant une très belle voix, je me suis fait remarquer très tôt en chantant des cantiques à l’église. J’ai connu Léonard de Vinci et Botticelli qui a fait mon portrait. Celui-ci se trouve au musée des Offices…
Description du tableau peint par Botticelli
Il est désigné comme étant un tableau peint par Botticelli (1446-1510).
Portrait d’un inconnu tenant la médaille de Cosme l’Ancien.
Détrempe sur bois ; 0,57 x 0,44 ; année vers 1488.
Il s’agit d’un beau jeune homme à l’abondante chevelure. Son regard est intelligent et doux. La médaille de Cosme l’Ancien qu’il présente entre ses deux mains montre son attachement au fondateur de la dynastie des Médicis ce qui s’accorde avec la déclaration du témoin. Les vêtements de l’homme, sa tunique, sa coiffure ne sont pas ceux d’un prince, mais ceux des grands marchands qui ont fait la prospérité commerciale de Florence…
Poursuite de l’audition de Francesco del Giocondo.
Comme je vous l’ai dit dans ma précédente déposition, je me suis marié une première fois, en 1491. J’avais vingt-six ans. Je me trouvais alors au meilleur de ma réussite professionnelle. Me préférant à mes frères aînés, mon père m’avait pressenti pour lui succéder à la tête de l’entreprise familiale. Comme les affaires marchaient bien, nous l’avions développée. A cette époque, en Europe jusqu’à la Turquie, il existait une forte demande en vêtements précieux, à la fois dans le clergé et à la fois dans les cours princières. A Rome où nous étions bien implantés, nous avions la Curie comme client.
De l’Europe entière, on venait à Florence acheter ou passer commande. Je dirigeais une des plus grandes boutiques de la ville, non loin des palais. C’est ainsi que j’ai eu l’occasion de rencontrer ma première épouse. Camilla était fille de Mariotto Rucellai, du puissant clan des Rucellai, dont la noblesse et la fortune sont connues de tous.
N’étant pas noble moi-même, cette union me permettait de m’ancrer davantage dans la vie publique de la cité. Quant à mon épouse, c’était un avenir prometteur pour elle et pour nos enfants à venir. Nous avons eu un fils. Camilla, hélas, mourut en 1494. Elle avait dix-huit ans. Les plus grandes familles de Florence assistèrent à ses funérailles. Elle était belle. Sa perte fut pour moi une véritable tragédie.
L’année suivante, en 1495, j’épousais Monna Lisa. En 1499, quatre ans après, lorsqu’elle me donna une fille, elle accepta que je lui donne le nom de ma première femme. J’ajoute qu’elle s’occupa du fils de mon premier mariage aussi maternellement que des enfants que nous avons eus ensemble.