vendredi 14 décembre 2007 - par Yannick Harrel

La Lituanie, escale du bonheur en Baltique

Si les Pays Baltes furent l’objet d’une attention toute particulière par les autorités françaises durant l’entre-deux guerres, il en alla tout autrement une fois l’occupation soviétique effective. Devenues des républiques socialistes membres à part entière de l’URSS, elles entrèrent dès lors et pour presque cinquante ans dans un système contre lequel elles lutteront de l’intérieur, d’abord activement par des maquisards [1] puis passivement par l’entretien de leur culture spécifique et la perpétuation de leurs traditions. Ce fut presque logiquement ces premières républiques qui ébranlèrent l’édifice des soviets, principalement avec la déclaration unilatérale d’indépendance du Conseil suprême de la République de Lituanie le 11 mars 1990. L’acte suscita une tentative de reprise en main musclée par l’Armée rouge le 13 janvier 1991 : cette dernière échouant au prix de quatorze vies humaines défendant la tour de télévision de Vilnius. Médiatiquement catastrophique et conscient que le pays risquait un embrasement généralisé, les troupes refluèrent : l’URSS s’apprêtait à vivre ses derniers mois d’existence. Ce petit pays de 65 303 km² mérite par conséquent toute notre attention, et particulièrement de manière prospective puisque Vilnius deviendra capitale européenne de la culture en 2009 : il est temps de réparer le dédain actuel de la population française à son égard, fusse par l’entremise de ce modeste article.

Le feu sous la glace

La première impression qui se dégage des premiers arpents du touriste à Vilnius a trait à cette froide faconde des autochtones. Impression se confirmant à mesure que se poursuit la pérégrination, tout en avisant cependant avec un œil averti un port des plus altiers pour les figures féminines.

Inévitablement arrive le moment de se renseigner, et tant il est vrai que le lituanien n’a que peu de ressemblance linguistique avec la langue romane qu’est le français, il convient de formuler la demande soit en anglais, soit en russe qui demeurent les secondes langues les plus usitées parmi la population [3]. De cette action volontariste s’obtiendra non seulement, et dans la très grande majorité des cas, une indication salvatrice, mais tout aussi souvent un sourire empreint de réelle franchise. Car le Lituanien n’est pas avare de sa volonté de rendre service, mais un quant-à-soi particulier et fort peu latin, ce qui est somme toute logique, lui donne cet aspect impersonnel et détaché des autres. Comme bien souvent, les apparences sont trompeuses...

Le Lituanien s’est distingué à travers son passé récent par son ouverture européenne [4] qu’il n’a jusqu’à présent jamais renié, et Vilnius est imprégné de cette ambiance à la fois identitaire et cosmopolite. Pour qui connaît l’historique de la ville, encore polonaise en 1939 (où repose d’ailleurs le cœur du maréchal Józef Piłsudski), rien d’étonnant à cela : la continuité malgré les vicissitudes passées, présentes et futures semble inscrite dans le patrimoine culturel de ce peuple. Comment ne pas admirer cette civilité et ce respect d’autrui en tout lieu de la capitale : ici le citoyen n’est pas dans un espace de conflit, mais de passage, de découverte et de distraction. Comment ne pas apprendre d’eux cet amour de la nature ne souffrant aucune désuétude à leurs yeux et cette simplicité de contact offrant au visiteur un nouvel espace de richesse humaine ? Comment ne pas être émerveillé par leur sens artistique, leur volonté d’embellir chaque recoin de la ville en combinant savamment l’audace et le bon goût ?

C’est tout cela le peuple lituanien, et ça mérite bien un premier pas de notre part.
Du paganisme au christianisme

Cette contrée est souvent décrite comme étant la dernière à avoir embrassé la religion chrétienne, demeurant à ce titre le dernier bastion du paganisme sur le sol européen (encore faudrait-il convenir de l’exacte délimitation de cet espace, ce qui est une autre histoire...). Cette persistance du paganisme [5], notamment en Samogitie [6], que certains qualifient même de néo-paganisme, conforte la place singulière de la Lituanie au sein de l’espace civilisationnel européen.

Relativisons : le christianisme ne se porte pas mal pour autant, confession partagée par la plus grande majorité de la population, elle offre à Vilnius quelques-uns de ses plus beaux édifices, notamment celui de Sainte-Anne, véritable joyau du gothique tardif qui ne peut que retenir l’œil du voyageur et lui faire perdre toute notion du temps. Ou encore l’église d’inspiration baroque Saint-Casimir qui eut à connaître divers propriétaires avant de revenir à la communauté jésuite sitôt l’indépendance acquise fin du XXe siècle.

Le passage des troupes nazies eut pour principal effet de vider la Lituanie et surtout Vilnius, surnommée avant cet épisode la Jérusalem du Nord, de la quasi-totalité de sa population juive. Ne reste plus désormais au centre-ville que la synagogue Chor Shul pour rappeler que quelques décennies auparavant la culture juive rayonnait en ces lieux. Et pour continuer sur cette présence juive, comment ne pas évoquer les fameux Karaïtes ? Surnommés aussi les protestants de la religion hébraïque [7] et dont les dernières familles demeurent à Trakaï, ancienne capitale lituanienne au XIIIe siècle où les touristes affluent pour admirer le superbe château trônant sur le lac.

Les quelques églises orthodoxes attestent de la présence russe, effective depuis le troisième partage de la Pologne avec laquelle la Lituanie partageait un destin commun depuis le traité de Kreva en 1385, pour le meilleur puis pour le pire...

Un millénaire placé sous le signe de l’Europe

A minuit, le 21 décembre 2007, la Lituanie comme huit autres Etats membres de l’Union européenne rejoindra l’espace Schengen, accentuant un peu plus sa présence dans les affaires du vieux continent.

Toujours bicéphale, la Lituanie se démarquera en 2009 en tant que capitale européenne de la culture tout en fêtant son millénaire d’existence. Européisme et identité nationale, la Lituanie prouve son attachement à une ligne de conduite très claire en affichant une insolente santé économique dont le taux de croissance atteignit 7,4 % en 2006.

Son prochain objectif est déjà fixé : entrer au sein de la zone Euro dont l’échec ne se joua cette année que pour une infime inflation supérieure aux critères impératifs d’adhésion.

Alors 2009, la grande année lituanienne ?

Et si nous nous lituanisions ?

Il est indéniable que les relations historiques entre la France et la Lituanie ont été des plus lâches [8], et ne peuvent s’appuyer sur une amitié ancienne irriguée par des flux d’immigration qui prévalent par exemple dans le cas polonais.

Et pourtant, quel gâchis tant ce pays demeure francophile, offrant tous les attraits d’une hospitalité des plus sincères pour peu de faire l’effort d’opérer le premier pas.

Heureux seront ceux qui feront le pari de la découverte en appréhendant un nouvel univers à côté duquel même l’ambre local semblera la moindre des richesses...

Informations utiles :

Office du tourisme lituanien

Ambassade de Lituanie en France

Ambassade de France en Lituanie

[1] Période durant laquelle s’illustra Adolfas Ramanauskas, au sein des Frères de la Forêt (Miško Broliai). Sa capture en 1956 puis la répression de l‘insurrection de Budapest scellèrent les espoirs d‘une libération par les forces occidentales s’appuyant sur des forces nationales. Pour une étude plus circonstanciée et étayée sur la question, veuillez vous rendre sur ce site (en langue anglaise).

[2] Evénement relaté sur Wikipédia (en langue anglaise).

[3] Je fus particulièrement surpris de constater que loin de n’être parlée que par les générations pré-indépendance, la langue russe restait employée par les plus jeunes générations.

[4] Intégration au sein de l‘Union européenne en 2004 après ratification préalable par la population en mai 2003. Le résultat du référendum fut un score sans appel de 91 % en faveur de l‘entrée au sein de cet espace politico-économique.

[5] La fête de la Saint-Jean, fort populaire dans le pays, est typique de cette expression païenne perçant sous le vernis catholique où le brasier entretenu n‘est que la surface émergée d‘un ralliement religieux de façade.

[6] Article sur Wikipédia. A signaler aussi à Palanga, ville côtière, la persistance du conte relatant l‘amour entre Jūratė, déesse de la mer, et Kastytis, un simple pêcheur, racontée de génération en génération.

[7] Article sur Wikipédia.

[8] Bien que le célèbre romancier Romain Gary soit natif de Vilnius.



4 réactions


  • jako jako 14 décembre 2007 11:23

    Article passionnant sur une région que je ne connais pas du tout, merci à vous.


  • Pug 14 décembre 2007 13:08

    Allez-y faire un tour du côté de la mer baltique. Le sable y est fin et il y a moins de monde que sur certaines plages méditerranéennes smiley


  • Yannick Harrel Yannick Harrel 14 décembre 2007 15:01

    Bonjour Jako & Pug,

    Il y aurait encore tant à écrire sur ce pays débordant de qualités et qui subit un ostracisme du fait de sa situation géographique fort peu aguichante pour la population Française plus habituée à des destinations méridionale, ce qui est regrettable.

    Et pour en revenir à la Baltique, effectivement la beauté de ses dunes toutes en sable fin fait de Palanga en saison estivale une destination fort prisée des touristes Lituaniens et de plus en plus étrangers (Allemands et Scandinaves principalement). Et ce d’autant plus que la côte n’a pas pour le moment subi des dégâts irrémédiables en matière d’urbanisation smiley

    Cordialement


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