vendredi 23 novembre 2018 - par Theothea.com

« La Machine de Turing » Décodage d’un génie contrarié au Théâtre Michel

La Machine de Turing de et avec Benoît Solès réside au Théâtre Michel après avoir fait le buzz du festival off d'Avignon l'été dernier. Révélé dans deux spectacles musicaux de Roger Louret primés aux Molières ("La Java des Mémoires" et "Les Années Twist"), Benoît Solès est un homme de Théâtre polyvalent, à la fois comédien et auteur. 

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LA MACHINE DE TURING
© Fabienne Rappeneau

  

Il a joué, entre autres, dans "Bash" avec Sarah Biasini, le "Cyrano de Bergerac" mis en scène par Henri Lazarini, "les Amoureux" de Goldoni ou plus récemment dans "Rupture à Domicile" de Tristan Petitgirard qui signe également la mise en scène de "La Machine de Turing".

En tant qu'auteur, il a écrit "Appelez-moi Tennesse" en 2011, mis en scène par Gilbert Pascal et, actuellement, sa nouvelle pièce lui permet de réhabiliter un homme méconnu du grand public et pourtant hors du commun, injustement resté dans l'ombre.

Celle-ci débute, dans l'hiver 1952, à Manchester, par un fait divers, le dépôt de plainte au commissariat pour un cambriolage du domicile d'un personnage visiblement atypique et tourmenté. 

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LA MACHINE DE TURING
© Fabienne Rappeneau

  

Les conséquences de cet acte anodin seront dramatiques car les autorités menant l'enquête vont être amenées à découvrir l'homosexualité de la victime à cause de sa relation jugée douteuse avec un garçon de café peu scrupuleux, et qu'en Angleterre, dans ces sombres années de Guerre Froide particulièrement prudes et bien pensantes, cette pratique sexuelle est considérée comme un délit ou une maladie mentale.

Il va tomber, comme Oscar Wilde soixante ans plus tôt, sous le coup de la loi de 1885. La justice lui laisse alors le choix entre la prison et la castration chimique. Il choisit la seconde alternative pour continuer ses recherches.

Car cet homme n'est pas moins qu'Alan Turing, professeur d'université et mathématicien cryptologue, mettant en place des codes réalisés à partir d'algorithmes complexes.  

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LA MACHINE DE TURING
© Fabienne Rappeneau

  

La pièce va remonter le temps : On se retrouve au début des années 40 ; Alan Turing est chargé par le gouvernement Britannique de percer le secret de la célèbre machine de cryptage allemande Enigma, réputée inviolable.

La bataille mathématique engagée par Turing est alors la source d’un suspense aussi insoutenable que celui d’une grande scène de guerre. Il travaille sans relâche au sein des équipes réunies à Bletchley Park.

Il réussira à casser le système de codage allemand. La Royal Navy, qui était en train de perdre la bataille de l’Atlantique contre les sous-marins nazis put ainsi redresser la situation en ayant connaissance des messages les plus dissimulés de son adversaire. 

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LA MACHINE DE TURING
© Fabienne Rappeneau

  

La mise en scène judicieuse et nerveuse de Tristan Petitgirard nous fait ainsi passer de la recherche de ce code secret à la découverte d’un homme, lui-même très réservé. A travers le portrait de ce génie asocial, capable de dialoguer avec les mécanismes les plus complexes, mais pas du tout fait pour les relations humaines, une hypothèse forte s’affirme : L’homme qui vainquit une machine en serait-il une lui-même !

On jonglera par flash-back, jouant avec les années, pour suivre le parcours de cet homme dont la mission classée secret défense est soutenue sur scène par un rythme dynamique empruntant les règles du thriller psychologique, sur fond d'écran toujours animé projetant des images d'archives ou celles de la fameuse "machine", embryon du "cerveau artificiel", véritable ancêtre de l'ordinateur dont les perpétuels rouages résonnent dans la salle (création vidéo Mathias Delfau).

Quant à Alan Turing, Benoît Solès l'interprète en en faisant tantôt un être complexé, maladroit, bourré de tics et bègue, tantôt un être malicieux, voire cynique, aux fulgurances intellectuelles indéniables. Le comédien parvient à exprimer l’efficience presque robotisée de Turing mais aussi sa solitude, sa souffrance, son décalage. Face à lui, son complice Amaury de Crayencour revêt brillamment tous les autres costumes, du sergent Ross, au joueur d'échecs Alexander ou celui de l'amant Arnold. 

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LA MACHINE DE TURING
© Fabienne Rappeneau

 

Ce chercheur insatiable qui réalisait des temps remarquables au marathon ne supportera pas la déchéance physique infligée par la castration. Comme dans Blanche-Neige qu’il avait découvert au cinéma dans son enfance et qui l’avait fasciné, il s’empoisonne, à 41 ans, avec une pomme enduite de cyanure, le 7 juin 1954. Dans la culture populaire, on fait du logo de la firme Apple un hommage à ce pionnier de l'informatique au destin tragique.

En 2009, le Premier ministre Gordon Brown présenta des excuses au nom du gouvernement britannique pour la manière dont Alan Turing fut traité. En 2013, la Reine Elizabeth lui exprima un pardon posthume.

Avec sa pièce pleine de finesse et de subtilité, Benoît Solès a remis sur le devant de la scène ce personnage de génie, torturé, héros de guerre inconnu et, en quelque sorte, découvreur du monde numérique.

 

photos 1 à 5 © Fabienne Rappeneau
photo 6 © Theothea.com

   

LA MACHINE DE TURING - **.. Cat’s / Theothea.com - de Benoît Solès - mise en scène Tristan Petitgerard - avec Benoît Solès & Amlaury de Crayencour - Théâtre Michel    

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LA MACHINE DE TURING
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