vendredi 25 février 2011 - par Alice Marchand

La magie de James Thiérrée... bientôt à Paris !

Pour quelques jours encore, James Thiérrée joue Raoul à l’Abbey Theatre, théâtre mythique de la capitale irlandaise. Tous les soirs, à Dublin, il fait salle comble et reçoit une standing ovation. Ne le ratez pas à Paris : il sera au Théâtre Marigny du 12 mai au 4 juin 2011 avec Au revoir, parapluie.

Moi, j’y serai. Maintenant que j’ai vu Raoul à Dublin, je suis mordue. D’ailleurs, j’y suis allée deux soirs de suite. Pourquoi ? Pour comprendre, peut-être… À la fin de la première représentation, j’étais stupéfaite qu’il n’y ait qu’un seul James à venir saluer. J’étais persuadée qu’il avait un frère jumeau sur scène ! Comment serait-ce possible autrement ? Le dénommé Raoul ouvre une porte et se trouve déjà de l’autre côté, se réfugie dans un tonneau et réapparaît à l’autre bout du plateau, se volatilise pour surgir là où on ne l’attendait pas, défiant toutes les lois de la physique élémentaire. On nous annonçait de la comédie avec une touche de cirque, je ne m’attendais pas à voir Houdini. Houdini croisé avec Charlot croisé avec un danseur étoile croisé avec le mime Marceau croisé avec… On ne compte plus les talents de cet homme-orchestre. On pourrait s’imaginer qu’il a travaillé avec un scénographe génial pour créer ce spectacle, mais c’est encore lui qui signe la scénographie.

Quant à la musique, elle est émouvante, bouleversante même. Ou faut-il parler d’effets sonores ? On entend des grillons (ou des criquets) et des parasites radio­phoniques dont Thiérrée joue avec brio. Il y a de jolies mélodies et du tintamarre. Mathieu Chédid, alias « M », a enregistré la partie guitare électrique. Toutefois, c’est sans doute Thiérrée, là encore, qui interprète le saxo de la bande-son. On le voit jouer du violon sur scène, lors d’un superbe numéro de virtuose « débutant », après s’être métamorphosé en gorille pour observer l’instrument d’un œil étonné, ravi.

James Thiérrée est le roi des métamorphoses. D’un instant à l’autre, il devient cheval, toupie, horloge, et on y croit. Sa gestuelle, à mi-chemin entre le mime, l’acrobatie et la danse, est éblouissante. Enfant de la balle, il apparaissait déjà sur la piste du cirque de ses parents à l’âge de 4 ans. Et si Raoul n’est pas un spectacle de cirque, cette influence est bien présente à l’arrière-plan : Thiérrée grimpe, vole, se balance et se contorsionne. On aimerait voir plus d’acrobaties encore, mais là n’est pas le propos : dans Raoul, Thiérrée nous raconte une histoire, une histoire sans paroles (comme celles de la Petite Taupe et, personnage plus proche encore de Raoul, du Criquet violoniste créés par l’animateur Tchèque Zdenek Miler…). C’est le corps qui parle, un corps élastique, et chacun pourra interpréter l’histoire à sa guise.

Quand on voit sur scène ce petit-fils de Charlie Chaplin, on est forcé de penser que le talent est une affaire génétique. La référence – ressemblance – à Charlot est évidente, mais parfaitement digérée et assumée. C’est autre chose. Il y a des allusions, des références, mais aussi – surtout – de l’invention. Les nombreux clins d’œil n’enlèvent rien à l’inventivité extraordinaire de Thiérrée.

Au début, on se croirait un peu dans La Ruée vers l’or. Cette somptueuse et précaire cabane en tubes métalliques rappelle celle de Charlot dans le film, qui menace de tomber dans un ravin. On retrouve d’ailleurs ici un motif cher à Chaplin, celui de la misère : outre sa cabane branlante qui n’en finit pas de s’écrouler, les vêtements patinés de ce Raoul sont presque transparents à force d’être élimés… Et il a chez lui un bric-à-brac qui lui donne accès à tout le confort moderne : radio capricieuse, bougies farceuses, ustensiles de cuisine fort commodes pour se protéger contre les visiteurs indésirables…

Raoul évoque bien d’autres références encore : une des plus spectaculaires prouesses physiques de Thiérrée dans ce spectacle, une des plus drôles aussi, ce sont ces ralentis qui évoquent les films de John Woo. Et son impressionnant combat contre lui-même pourrait être un clin d’œil à Fight Club, de David Fincher. Raoul est une quête d’identité, à travers cet éternelle rencontre du même et de l’autre – poursuites, affrontements, le héros s’appelle, se cherche, se dédouble en restant seul, se court après et reste insaisissable, se regarde dans le miroir, reflet ou réalité. Inquiétante étrangeté.

C’est un univers onirique, où tout est possible. On se croirait dans un de ces rêves où l’on pédale dans la mélasse : impossible d’avancer, d’atteindre son but, comme pour Raoul lorsqu’il tente obstinément, vainement, de croiser les jambes ou de trouver une position confortable pour dormir dans un fauteuil (cette fois, je pense au capitaine Haddock lorsqu’il hésite à placer sa barbe au-dessus ou en dessous des couvertures !).

Raoul fait partie de ces œuvres tellement riches qu’on a envie de les analyser. De les déconstruire, tout comme Thiérrée déconstruit son univers. Le théâtre est démantelé, désacralisé, et c’est jubilatoire de voir l’artiste se balancer sur la perche d’un groupe de projecteurs, baisser un écran de tulle pour montrer les contrepoids de l’autre côté, rappeler au public sa présence en l’éclairant d’une étrange lueur verte et en lui montrant son reflet dans un miroir – bref, de le voir explorer toutes les possibilités ludiques avec l’envers du décor. Et quand Thiérrée laisse apparaître la machinerie, le trucage, il ne dissipe pas la magie, bien au contraire : c’est encore plus impressionnant, encore plus drôle de le regarder tourbillonner dans les airs quand on voit sa « machine à voler »…

Raoul est un divertissement pour toute la famille, nous dit-on. Malheureusement, les tout-petits devront attendre d’être un peu plus grands : il y a une certaine violence dans ce spectacle. Violence sonore, violence de la destruction, sans parler des créatures inquiétantes, habitées par des marionnettistes, qui font plusieurs appari­tions remarquées. Thiérrée se déchaîne. Quelle catharsis ! On pense un peu au cirque Archaos, où les clowns font des cascades à moto et jouent de la tronçonneuse. Tout s’écroule, mais rien ne l’arrête : Raoul ramasse les derniers fragments de son monde et continue. La beauté, la poésie ne sont jamais loin sous les décombres. Peut-être font-elles partie du chaos.

Un thème marin domine tout le spectacle. Le sol, autour de la cabane de Raoul, semble être une inquiétante étendue d’eau où l’homme n’ose s’aventurer. Quand Thiérrée vole dans les airs, non, voilà qu’en fait il nage. Et les créatures qui viennent lui rendre visite, fabriquées par sa mère, Victoria Chaplin-Thiérrée, ont l’air d’émerger des fonds marins : un hilarant poisson-sangsue, une crevette électrique, une gracieuse méduse. Seul le fabuleux ptérodactyle, qu’on découvre d’abord en ombres chinoises, est plus aérien. Tout ce bestiaire paraît fait de bric et de broc, avec des déchets et autres matériaux de récupération, et sa beauté n’en est que plus saisissante – on est toujours dans cette démarche chaplinienne de la débrouille, ou comment faire du beau avec pas grand-chose… Et on est clairement sur l’eau, voire sous l’eau. Un orage éclate, et la cabane de Raoul se mue en navire dans la tempête. Éclairs, vagues et rafales, Raoul grimpe en haut d’un mât pour faire la vigie, mais ne peut éviter le naufrage. Qu’à cela ne tienne, Raoul sait nager.



2 réactions


  • Lorelei trinity 25 février 2011 17:56

    Bravo pour votre billet, un peu de rêve et de culture dans ce monde..


  • Grandaddy Grandaddy 3 mars 2014 16:13

    « Malheureusement, les tout-petits devront attendre d’être un peu plus grands : il y a une certaine violence dans ce spectacle. »
    Certes, mais les enfants ne décèlent pas forcément autant qu’on ne le croit la violence... Je pense d’ailleurs qu’ils en sont souvent moins conscients que les adultes. Je dirais qu’il est important pour ce type de spectacles d’intégrer plusieurs degrés de lecture, qui puissent être autant utiles et enrichissants autant pour les enfants que pour les parents.

    Mais votre résumé donne envie, j’apprécie particulièrement les spectacles oniriques, comme les films de David Lynch ou Satoshi Kon (mais là on s’éloigne du sujet ;)). J’aime beaucoup le les expériences qui donnent l’impression de côtoyer l’extraordinaire, et qui remettent en cause notre vision du réel !


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