jeudi 12 mai 2016 - par C’est Nabum

La petite école du Hussard Noir

Le maître des contes …

Il a eu l’immense privilège de faire revivre, le temps d’un dimanche après-midi, une de ces petites écoles qui ont fermé boutique au nom de la modernité, du pragmatisme pédagogique et de tous les arguments que nous servent les merveilleux experts de tous grains, pensionnaires des grandes écoles et membres d’une caste qui ignore tout de la vie des vrais gens.

Depuis dix ans, l’école est déserte. Les impératifs économiques, la rigueur d’une gestion qui privilégie les comptes plutôt que les hommes, le mépris des décideurs : gent urbaine si peu soucieuse des ruraux, ont contraint les gens d’ici à prendre leur voiture pour conduire les enfants en classe. Rassurez-vous, c’est le lot commun des ruraux : l’égalité n’est pas un concept territorial.

Il devait venir quelques mois plus tôt pour soutenir l’association qui tente vaillamment de redonner vie à ces locaux désaffectés. Il avait été question d’un concert de soutien, d’une soirée festive dans ces murs où ne résonnent plus les cris des enfants. Mais gardez-vous de la moindre initiative qui déplaise à un élu, surtout quand c’est un socialiste aux dents longues. L’idée tourna court puisqu’elle ne venait pas du bon maire de la commune …

L’administration est remarquablement organisée pour mettre des bâtons dans les roues à qui veut organiser quelque chose. C’est la règle du parapluie et de l’emmerdement maximal qui est maîtresse en la circonstance. Tout est prétexte à réserves, contraintes, règles de sécurité draconiennes, mesures d’hygiène et démarches dissuasives. Le refus ne s’habille jamais des vraies raisons qui le conditionnent : il y a toujours des arguties et des circonlocutions verbeuses et administratives pour le justifier .

Cette fois, l’association se dégagea des contraintes et des courbettes. À quoi bon demander quand on sait que par principe, mépris et sens de la chose publique, vous savez n’avoir aucune chance de recevoir l’onction de l'édile prétentieux ! Le « raconteux » vint seul : il n’y aurait pas besoin de sonorisation ni d’affiches pour prévenir du spectacle les gens du coin. L’école agissait en toute confidentialité pour le plus grand bien de tous ; ce n’était qu’une réunion ordinaire.

Je vais éviter de vous mettre la puce à l’oreille. Comprenez bien qu’avec ce genre de personnages qui s’accaparent le pouvoir pour l’exercer contre l’intérêt général, il n’est rien à espérer de bon. Les mesures de rétorsion seraient terribles si l’odieux venait à découvrir que ce brûlot évoque le territoire où il s’imagine seul maître à bord après Dieu. Nous vivons dans l’illusion d’une démocratie ; nous savons bien que le fait du prince demeure bien souvent la règle qui régit les décisions locales …

Il fit donc après-midi racontée pour quelques irréductibles, pour quelques séditieux, pour quelques dangereux réfractaires à l’injonction municipale. Le bouche à oreille est alors la plus sage manière de contourner les obstacles, de se passer de l’aval du monsieur. La petite chambrée était composée de gens convaincus, solidaires et déterminés à vivre de convivialité et de culture, loin des parcours fléchés d’une programmation officielle qui doit complaire à qui vous deveniez.

Ce fut un délicieux moment, deux heures de contes et d’histoires, d’échange et de partage. Monsieur le maire est resté chez lui sans rien savoir ; l’association lui a gentiment fait la nique. J’aime ce genre de situation : le conte n’est pas destiné à servir la soupe aux puissants, à bouter son chapeau pour faire courbette aux gens importants. Il est subversif et irrévérencieux. Il était chez lui lors de cette après-midi clandestine.

Le conteur a raconté son pays, sa rivière, ses métiers, son histoire. Il a évoqué ses aspects sombres, ses travers et ses misères, bien loin de la mélasse insipide qu’il convient de servir pour satisfaire les tenants de l'hagiographie officielle. Monsieur le Maire n’a pas eu à s’en offusquer, il n’était ni présent ni même représenté puisqu’il ne pouvait être au courant. Il peut dormir sur ses deux oreilles, gonflé de ses certitudes et de la conviction de son importance. Des citoyens libres sont pourtant parfaitement capables de se passer de son onction.

Il n’est qu’un des premiers d’une longue liste. Le mouvement prend de l’ampleur. La contestation gronde, ses formes sont insidieuses, sournoises et libertaires. Les puissants ont décidé de mettre à mal la culture, de l’assécher, de la réduire à la forme misérable des produits standardisés de la télévision mais de partout se dressent des initiatives autonomes, des concerts au jardin, des soirées à la maison, des spectacles impromptus, loin du carcan d’une culture aux ordres. Le peuple est en marche, il est debout et il conchie ce pouvoir de petits barons orgueilleux et méprisants.

Vous pouvez comptez votre serviteur pour venir conter dans pareille situation. Le vent de fronde m’inspire et me donne des ailes. J’aime à bafouer l’autorité, d'autant plus que cette dernière a perdu toute légitimité. Les hussards noirs sortent des rangs, ils se font à nouveau les chantres de la liberté et du refus de la norme. L’école est émancipatrice et je serai toujours de ce combat de la liberté de penser, loin des dogmes castrateurs d’une classe politique toujours plus servile devant la dictature libérale.

Libertairement vôtre.



7 réactions


  • juluch juluch 12 mai 2016 12:11

    malheureusement c’est le lot de beaucoup de village de perdre leur école communale.....


    Problèmes de fonds publics.

    Vous avez les écoles comme les hôpitaux...... smiley

    • C'est Nabum C’est Nabum 12 mai 2016 21:27

      @juluch

      Ce sont des fonds perdus ...

      La fermeture des écoles est une calamité
      Mais bon la logique économique ne vaut que pour ce genre de situation et jamais pour les gabegies réelles


  • tf1Groupie 12 mai 2016 13:53

    C’est original de faire une nouvelle version du « hussard noir » qui serait aujourd’hui le symbole de la lutte contre l’autorité et du refus de la norrme.

    En réalité à l’époque le hussard noir était le bras armé du pouvoir, garant du formatage républicain.

    "En l’occurrence, les Hussards-Noirs des origines ont francisé les campagnes, l’outremer et les colonies en interdisant les parlers vernaculaires (7). Les petits Bretons bretonnants et leurs pareils  Occitans (8) ont dû ravaler leur langue native (9) à grand coups de règles sur les doigts et parfois pire.
    [...]
    Le Hussard-Noir était un peu rouge, souvent inflexible et sectaire. Il n’avait que faire de l’impartialité et la neutralité, il s’agissait pour lui d’accomplir un devoir monovalent matricé dans les Écoles Normales. L’ennemi d’alors était l’obscurantisme des masses et notamment celui qui frappait les enfants que les familles (13) élevaient dans la religion, les bigoteries et les superstitions, contre la raison et les progrès. Les hussards ne sont pas de fins pédagogues au regard des sciences de l’éducation contemporaines. Les châtiments corporels et les vexations sont pour eux des modes opératoires courants"

    La connaissance reste toujours un vecteur de progrès ...


    • C'est Nabum C’est Nabum 12 mai 2016 21:28

      @tf1Groupie

      Vous savez que je manie le symbole avec légèreté, la langue avec maladresse et qu’en toute chose, je suis un imbécile puisque je pense de travers.

      Que voulez vous, les naïfs, il faudrait les forcer au silence, ils importunent les gens sérieux


  • Iren-Nao 12 mai 2016 16:25

    @ Nabum
    bien que Nantais et fils de la loire, je ne suis pas toujours friand de vos contes, mais la je dois dire que j’ai vraiment aimer votre nartic.
    Je vais vous lire plus souvent ami Nabum.
    Cordialement
    Iren-Nao


  • Dzan 13 mai 2016 10:18

    « Vous pouvez comptez votre serviteur »
    Ne serait- ce point compter sur, qui fût plus approprié ?
    J’aime beaucoup votre article.
    Fils d’institutrice, de la « vieille école », celle où je me suis élevé aux deux sens du terme, mon coeur se serre de ne plus entendre la cloche.
    Comme beaucoup de petits bourgs et de communes de nos campagnes, les miens, se sont vidés, laissant à la place des petits paysans, et leur cohorte d’enfants, des grandes propriétés, tenues par des couples avec seulement deux enfants.
    Fini, les rires, les jeux, l’école a fermé, comme le bureau de poste, les Anglais, les Belges, sont les nouveaux venus, mais aussi chenus.
    Il me souvient entendre mon père, s’exclamer, en s’adressant à ma mère « Tu n’as qu’à y amener ton lit, dans ta classe ! »
    Quelle époque épique ! Je suis fier de l’avoir vécue. J’ai retrouvé, mon cahier de CM1 ( 1954 ) je l’ai montré à mes nouveaux instits’ familiaux, les petits enfants de ma mère. Ils sont interloqués par le niveau. C’est tout dire...
    Et je n’en dirai pas plus.
    Adichatz.


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