samedi 26 juillet 2014 - par fatizo

La tempête qui tue (The Mortal Storm) – 1940 – Frank Borzage

Janvier 1933, dans les Alpes allemandes. Le professeur Victor Roth (Frank Morgan) est acclamé par ses élèves et ses collègues alors qu’il fête ses soixante ans à l’université de la petite ville allemande où il exerce. La soirée en famille est troublée par l’annonce à la radio de la nomination d’Adolf Hitler comme Chancelier. Le professeur et son épouse sont accablés par la nouvelle et désespérés de voir leur famille jusqu’ici unie se scinder en deux. Très vite, la montée du fascisme va aussi briser les amitiés, puis le cours du professeur Roth est boycotté. Arrêté parce qu’il maintient ses théories sur l’égalité du sang, le professeur Roth est envoyé en camp de concentration.

The Mortal Storm est un film admirable,l’un des plus lucide et les plus réaliste dans un contexte historique immédiat. On y voit des livre brûlés, la première représentation cinématographique d’un camp de concentration.

Cinéaste trop méconnu à qui on doit également le magnifique "Trois Camarades" , Frank Borzage nous offre ici la vision lucide et terrible d’une population basculant dans le fascisme. Mais, comme il est d’usage dans son cinéma, ce fond social, politique et historique est porté par cette forme mélodramatique et lyrique qui caractérise son cinéma depuis ses débuts dans le muet. Comme toujours chez Borzage, la grande histoire est vécue à hauteur d’homme, vécue à travers une histoire d’amour aussi belle que tragique.

Frank Borzage est un cinéaste qui, s’il a dénoncé les horreurs de la guerre et décrit les conditions misérables de la classe populaire, n’en reste pas moins assez apolitique. C’est pourtant lui, le chantre de l’amour fou, qui réalise avec The Mortal Storm l’un des premiers films à dénoncer le nazisme et à évoquer les exactions commises contre le peuple juif et ceux qui, en Allemagne, essayent de lutter contre la barbarie. La France et le Royaume Uni sont entrés en guerre mais Hollywood,à l’image de la position isolationniste des Etats-Unis, demeure toujours réticente à parler de ce qui se déroule en Europe et à condamner ouvertement les agissements du régime nazi. De plus les grands studios pensent que le public préfère un cinéma de pur divertissement et non des œuvres trop politiques ou engagés. Mais l’afflux d’artistes fuyant le nazisme vient changer la donne. Des comités antinazis se forment (la "Hollywood Anti-Nazi-League" pour l’industrie du cinéma) et le désir d’évoquer ce qui se passe de l’autre coté de l’Atlantique se fait de plus en plus pressant dans l’enceinte des studios.

On comprend à travers "The Mortal Storm" que l’harmonie de la famille (et plus largement celle d’une société en paix) repose sur un équilibre fragile. L’épouse du professeur Roth est issue de la bourgeoisie allemande, ce qui n’empêchait pas jusqu’ici ses deux fils issus d’un précédent mariage de considérer Freya comme leur sœur. Mais, tandis que la notion de pureté de la race gangrène le pays, leur différence d’origine remonte à la surface et les deux frères, se considérant comme de "purs aryens", ne voient plus de la même manière Freya qui est juive par son père. Borzage montre que la cohésion familiale, sociale, est quelque chose de fragile, un équilibre délicat que la moindre secousse peut mettre à mal.

Très vite, ceux qui vivaient en harmonie se jaugent, se jugent, s’affrontent et la petite société implose. Les chansons joyeuses entonnées qui résonnaient dans la ville cèdent la place à des hymnes patriotiques et guerriers, les amitiés se brisent, la maison familiale ouverte aux amis, si animée et vivante, se vide peu à peu et se transforme en un espace mort et froid qui est à l’image de la société allemande. A l’école, les élèves – à qui l’on a inculqué l’obéissance et la docilité – sont rapidement façonnés et deviennent de bons petits soldats de l’idéologie nazie. Le village se transforme en un tour de main, presque naturellement, les habitants ralliant la masse par ignorance, peur ou lâcheté.

Avec à ce film, MGM voit l’ensemble de sa production interdite de diffusion en Allemagne par décision du ministre de la Propagande Goebbels, interdiction qui s’étend très vite à l’ensemble des productions hollywoodiennes. En Europe, seule l’Angleterre sort le film et, même après-guerre, il ne sera distribué qu’avec parcimonie. L’heure est alors aux réjouissances et l’idée de replonger dans les origines du nazisme n’enchante guère les spectateurs. En France, c’est seulement en 1976 que le film est redécouvert grâce à Patrick Brion qui le programme dans le cadre de son Cinéma de Minuit.

Frank Borzage est parvenu à imposer sa marque et son style au studio, pour preuve ce Mortal Storm qu’il se réapproprie totalement. C’est pourtant son dernier grand film, le cinéaste se perdant à partir de 1940 dans des films de commande de plus en plus éloignés de ses préoccupations, de son univers.

The Mortal Storm (La tempête qui tue). Avec : Margaret Sullavan (Freya Roth), James Stewart (Martin Breitner), Robert Young (Fritz Marberg). 

A noter que c’est la quatrième et dernière fois que Margaret Sullavan et James Stewart se retrouvent ensemble à l’écran, et que c’est certainement leur plus beau duo avec le magnifique "The Shop Around the Corner" d’Ernst Lubitsch.



6 réactions


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 26 juillet 2014 19:44

    Bonsoir Fatizo .
    Noté « à voir » ! Et « The shop around the corner » à revoir !
    Pour la période nazie ,de 33 à la fin de la guerre et même jusqu’au début des années 50 je conseille la lecture des polars de Philip Kerr ...Plongée dans l’ambiance ...


    • fatizo fatizo 26 juillet 2014 20:14

      Merci pour la lecture Aita Pea Pea.

      « The shop around the corner » est l’un de mes fils préférés. Je le revois toujours avec le même bonheur.

      A noter que « 3 Camarades » est à l’origine un livre de Erich Maria remarque, l’auteur de « A l’ouest rien de nouveau » .




    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 26 juillet 2014 21:01

      Pour « 3 camarades » à en voir le résumé je trouve un rapprochement avec « Jules et Jim » , deux hommes amoureux de la même femme mais la laissant choisir ...
      Comme le bouquin dont est tiré le film de Truffaut a commencé à être rédigé dans les années 40 sur des souvenirs, et le livre de Remarque des années 30 , l’idée devait être dans l’air de l’époque ...Un témoignage des progrès de l’émancipation féminine accéptée par les hommes (enfin certains smiley ) .


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 26 juillet 2014 21:16

      Me suis mal exprimé et j’ajoute donc :et elle même pouvant aimer ces deux hommes ,sans discours moralisateur l’interdisant .


    • fatizo fatizo 26 juillet 2014 22:26

      Si ma mémoire est bonne, il y a un rapport entre la véritable histoire de « Jules et Jim » et Stephane Hessel.



  • Jean 28 juillet 2014 13:05

    Je me demande si la série formidable « Heimat » n’est pas issue de ce film


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