jeudi 22 novembre 2018 - par Axel_Borg

Le biopic, ce genre cinématographique à double tranchant

Hollywood, industrie du cinéma, récompense chaque année par ses Oscars le meilleur scénario original et le meilleur scénario adapté. Romans, nouvelles, bandes dessinées ou jeux vidéo ont souvent servi d'inspirations aux scénaristes pour d'excellentes adaptations ... Le biopic, lui, est un piège à double tranchant ...

Souvenons nous de la jurisprudence Titanic ... Si le film de James Cameron triomphe en 1997-1998 dans les salles obscures comme aux Oscars, c'est pour une myriade de raisons différentes : des effets spéciaux incroyables de réalisme, le charisme du jeune espoir Leonardo Di Caprio (qui crève l'écran), la force poignante des images du naufrage, la musique de James Horner, mais aussi et surtout le scénario écrit par le réalisateur canadien.

Cameron a compris pourquoi les précédents films ou téléfilms sur le célèbre naufrage du paquebot dans l'Atlantique Nord avait fait pschitt ... Tout le monde connaît la fin, comme dans James Bond ou Tintin. On sait que le navire de la White Star Line va heurter l'iceberg et qu'il n'arrivera jamais à New York pour son voyage inaugural, comme l'on sait que l'agent 007 triomphera de Goldfinger ou du docteur No, et que Tintin flanqué du capitaine Haddock viendra à bout de Rastapoupoulos ...

Le synopsis de Titanic, aux antipodes du happy end trop longtemps érigé en alpha et oméga à Hollywood, doit donc tenir en haleine le spectateur en haleine sur d'autres questions. C'est pour cela que Cameron découpe son film en un puzzle. Reprenant la technique érigée depuis Rashomôn (Lion d'Or à Venise en 1951), le Canadien utilise la narration non linéaire que d'autres virtuoses du septième art reprendront à la suite du grand Kurosawa : Quentin Tarantino dans Pulp Fiction (1994), Christopher Nolan dans Mémento (2000), Andy et Lana Wichowski dans Cloud Atlas (2013).

L'enjeu n'est donc plus de savoir si le Titanic a coulé dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, mais qu'il advenu de ce diamant, le Coeur de l'Océan, et surtout de l'histoire d'amour entre l'aristocrate Rose De Witt Butaker (Kate Winslet) et le passager de troisième classe ayant gagné son ticket au poker sur le quai du port de Southampton : Jack Dawson, alias Leonardo Di Caprio. Sorte de MacGuffin hitchcockien de ce film catastrophe étant aussi un magnifique film d'amour, le diamant agit comme une madeleine de Proust pour Rose quand elle apprend qu'une équipe de passionnés vient explorer l'épave du paquebot, 84 ans plus tard ... Le diamant agit comme la porte d'une dimension parallèle qui emmène Rose très loin dans sa mémoire, dans une sorte de sanctuaire refermé à clé pour toujours.

L'idylle de Jack et Rose crée donc une dramaturgie qui confère toute cette dimension dramatique. Le public s'est attaché pendant plus d'une heure et demie à ce couple improbable, il se demande s'ils vont survivre au drame qui va se nouer ... Grâce à cette romance improbable, James Cameron trouve le plus formidable antidote à la trame trop souvent écrite : départ d'Angleterre, conversations futiles dans le grand salon du Titanic entre richissimes familles aristocrates d'Europe ou d'Amérique, arrogance non dissimulée de l'équipage et de la compagnie, effroi devant l'iceberg qui sera le terminus attendu de ce voyage marqué du sceau de la malédiction.

Le problème est le même pour le biopic, surtout si la personne est mondialement célèbre. Comment éviter de tomber dans l'écueil du film suivant la trame d'une biographie trop linéaire sans saveur, d'une page Wikipédia ?

La série Columbo avait cette originalité de dévoiler le nom du meurtrier dès le premier quart d'heure. La question était donc de savoir non pas si mais surtout comment l'inspecteur joué par Peter Falk allait coincer le criminel, qui se délecte d'utiliser ces indices invisibles pour Monsieur Tout le Monde mais qui sont autant de cailloux du Petit Poucet pour le célèbre policier à l'imperméable peugeot roulant en Peugeot 403.

Dans le biopic, il faut donc créer une autre adrénaline, et comme dans tout art, point de science exacte ni de règle d'or. On peut cependant noter quelques points communs aux biopics considérés comme des réussites : un acteur ou une actrice incarnant le rôle principal tel un caméléon, avec un mimétisme bluffant ...
Mais aussi et surtout un scénario qui crée une alchimie sur une période méconnue de la vie de la personne sur laquelle le film va faire un effet loupe, sans tomber dans l'écueil de l'hagiographie. Il faut savoir tirer la substantifique moelle d'une biographie : zoomer pendant deux heures sur une période plus ou moins connue de la célébrité ciblée, dont on va éclairer d'un jour nouveau en apportant détails croustillants tout en démontant de potentiels clichés à la peau dure façon sparadraps du capitaine Haddock.

Quelques exemples suffisent à le démontrer. L'excellent film de Walter Salles sur Che Guevara, inspiré des écrits du guérilléro argentin, Carnets de Voyage (2004), offre des images magnifiques en Amérique du Sud et une interprétation magistrale du Che par Gael Garcia Bernal. Tout le monde connaît le rôle de clé de voûte du Che dans la révolution cubaine et sa fin tragique en Bolivie.
La métamorphose progressive du médecin, sa prise de conscience politique au début des années 50 le sont moins. Le second rôle d'Alberto Granado (interprété par Rodrigo de la Serna) contribue aussi à la réussite de ce road-movie biographique, avec une pointe d'humour qui contrebalance le message global sur la pauvreté en Amérique du Sud.

Réalisateur génial, Clint Eastwood s'est lui aussi essayé au biopic avec Invictus (2010), avec la personnalité extraordinaire de Nelson Mandela, leader de lutte contre l'apartheid, emprisonné de 1962 à 1990, dont 18 années à Robben Island.
La performance stratosphérique d'acteur réussie par Morgan Freeman est inoubliable, et face à lui Eastwood installe Matt Damon dans le rôle de François Pienaar. Le capitaine des Springboks champions du monde en 1995 contre les All Blacks de Jonah Lomu offre un marchepied au destin politique de Mandela. La figure de proue politique Madiba a compris que la vengeance ne mènerait nulle part entre Blancs
et Noirs. Il faut cimenter la nation arc-en-ciel autour d'un objectif commun. La victoire des rugbymen sud-africains à l'Ellis Park de Johannesburg sera ce beau symbole national. Clint Eastwood utilise avec parcimonie les scènes avec le ballon ovale, laissant Matt Damon et surtout Morgan Freeman faire parler leurs talents respectifs.

Cinq ans plus tard, Clint Eastwood renoue avec le biopic dans American Sniper (2015), un film qui fera polémique pour son apologie de la violence. Bradley Cooper y incarne avec brio le soldat Chris Kyle, sniper de l'US Army dans le bourbier irakien des années 2003-2005, chargé de porter l'estocade aux ennemis de l'oncle Sam avec non pas des banderilles de picador mais un fusil longue portée.
Face à Cooper, Sienna Miller joue le rôle d'une femme déchirée entre le quotidien d'une mère de famille américaine et celui d'une épouse dont le mari est un héros autant qu'un fantôme hanté par le spectre de ses "prouesses" balistiques. Le tocsin a sonné plusieurs fois dans l'univers darwinien de l'ancienne Mésopotamie plongée dans le chaos, mais jamais le glas ...
L'effet boomerang vécu par le vrai Chris Kyle et relaté par Clint Eastwood laisse pantois quant aux critiques sur ce film jugé trop favorable au lobby de la NRA par l'aréopage de la pensée unique des médias français.

Martin Scorsese, lui, a réussi en 2013 un de ses meilleurs films avec Le Loup de Wall Street, qui mêle adaptation d'une autobiographie, celle de Jordan Belfort. Son nouvel acteur fétiche, Leonardo Di Caprio, incarne un Jordan Belfort en feu, de New York à Portofino en passant par Londres ou Zurich ... Belfort reste inconnu pour le très grand public mais Scorsese surfe sur cette vague de colère chez les classes moyennes piégées par la crise des subprimes. Qui est donc cet avatar de Gordon Gekko ayant fait fortune dans les années 90 et qui va tomber du Capitole à la Roche Tarpéienne à force de se croire invincible ? Le synopsis fait saliver d'avance face à ce pape de la finance qui s'était reconstruit un Vatican à sa démesure, en oubliant d'aller se reposer de temps en temps à Castel Gandolfo. New York sera à la fois son Everest et son Golgotha, à force de pérenniser un mode d'existence où le risque et l'outrance sont érigées en vertus cardinales : le toboggan du déclin est alors inexorable, du fait de ce péché d'orgueil qui rappelle la fin d'Icare, monté trop prêt du Soleil avec ses ailes de cire ...
 
Avec son premier acteur fétiche (Robert de Niro bien entendu), Scorsese avait tourné Raging Bull en 1979 sur le boxeur Jake La Motta, seul vainqueur de feu Marcel Cerdan en 1949 avant que le Bombardier marocain ne périsse dans le vol Paris / New York du 27 octobre 1949 avant une revanche prévue le 2 décembre au Madison Square Garden. La métamorphose physique de Robert de Niro est absolument incroyable, et sa première collaboration
avec Joe Pesci donnera d'autres étincelles chez Scorsese : les Affranchis (1990) et dans une moindre mesure, Casino (1995).

Mais c'est chez Brian de Palma en 1987 que De Niro retrouve partiellement le biopic en incarnant un Al Capone effrayant et charismatique face à Eliot Ness, alias Kevin Costner. Les Incorruptibles, dans le contexte du Chicago de la prohibition, est une réussite totale avec Sean Connery et Andy Garcia en excellents seconds rôles.

Autre comédien exceptionnel, Benedict Cumberbatch a réussi par deux fois le prodige d'incarner deux fortes personnalités empruntes à la fois d'une intelligence supérieure et d'une personnalité sociopathe : Julian Assange, le très controversé créateur de Wiki Leaks dans le Cinquième Pouvoir (2013) de Bill Condon, et l'informaticien Alan Turing dans Imitation Game (2015) de Morten Tyldum.

Assange, qui se rêve en justicier numérique du XXIe siècle, pose à tous cette question : toute vérité est-elle bonne à dire ? La jeu en vaut-il la chandelle quand la conséquence directe peut conduire à des vies brisées ? est-il forcément judicieux de faire exploser certaines boîtes de Pandore pour en libérer les démons maléfiques ?

En état de grâce, l'acteur anglais se fond dans la peau de Turing, mathématicien et informaticien prodiges, homosexuel, qui mène un bras de fer intellectuel avec la machine Enigma utilisée par les nazis pour crypter leurs communications. Dans le décor de Bletchley Park, Cumberbatch ne joue pas Turing, il est Turing, au firmament de son jeu, lui qui a été nourri au nectar et à l'ambroisie par les fées du destin ...
Dans une scène absolument déchirante, Turing le cartésien concrétise le terrible concept de victoire à la Pyrrhus : le frère d'un des membres de l'équipe de mathématiciens chargés de décrypter Enigma sera piégé dans un sous-marin en plein océan Atlantique. Mais la raison d'Etat impose de ne pas dévoiler ses cartes aux nazis ...

L'album The Dark Side of the Moon, pinacle de la carrière de Pink Floyd en 1973 après le fameux concert dans les ruines de Pompéi (1972), a servi pendant une quinzaine années de référence absolue pour tester les chaînes hifi du monde entier. Apothéose et chant du cygne de ce groupe mythique du rock, Dark Side sert donc de mètre étalon à une toute génération de disques et de matériel hifi. Imitation Game peut prétendre au même statut dans le microcosme du biopic.

Au vu de son éclatante réussite, ce film OVNI qu'est Imitation Game va beaucoup plus haut que son grand frère Un Homme d'Exception (2001) où Russell Crowe incarnait le futur Prix Nobel John Forbes Nash lors de ses études à Princeton : un cerveau implacable couplé à un esprit torturé et à une personnalité complexe ...

L'acteur néo-zélandais sera ensuite le premier rôle de The Cinderella Man (De L'Ombre à la Lumière), film sorti en 2005 de Ron Howard sur le boxeur méconnu Jim Braddock pendant la Grande Dépression, challenger de Max Baer, sauf que personne ne miserait un kopeck sur ce champion has been ...
Mais c'est surtout par un autre biopic, Révélations (1999), en incarnant le docteur Jeffrey Wigand, que Russell Crowe avait pour la première fois assumé un très grand rôle, confirmant face à Al Pacino (qui jouait le journaliste Lowell Bergman) et Christophe Plummer (Mike Wallace de CBS) son talent entrevu dans L.A. Confidential (1997) : dans Révélations de Michael Mann, Russell Crowe devient la fer de lance de la lutte anti-tabac avec une performance d'acteur sidérante qui laisse sans voix tant il voltige à une altitude stellaire, surclassant la légende Al Pacino qui a pourtant l'habitude prendre toute la lumière tant il dégouline de classe dans son jeu (exception faite de Heat, le précédent opus de Mann, où il la partage avec Robert de Niro).

Pacino et Plummer ont aussi joué dans des biopics : Serpico (1973) de Sidney Lumet pour Al Pacino et Tout l'argent du monde (2017) de Ridley Scott pour Christopher Plummer, sur le destin du milliardaire John Paul Getty dont le petit-fils fut enlevé en Italie en 1973 (Kevin Spacey avait été pris pour ce rôle mais dut renoncer après un scandale sexuel dans la foulée de l'affaire Weinstein).

Bien plus tôt que Benedict Cumberbatch, son compatriote Jeremy Irons avait incarné Claus von Bülow dans le film Le Mystère Von Bülow de Barbet Schroeder (1990), où Glenn Close lui donne la réplique deux ans après le climax de sa carrière face à John Maklovich en tant qu'inoubliable marquise de Merteuil des Liaisons Dangereuses (1988) portées à l'écran par Stephen Frears.
Bluffant dans ce rôle nébuleux d'aristocrate qu'on aimerait coupable sans pouvoir le démontrer, Irons sera ensuite Franz Kafka chez Steven Soderbergh dans Kafka (1992), puis mathématicien (Godfrey Harold Hardy) face à Dev Patel, alias Srinisava Ramanujan, dans l'Angleterre post-victorienne des années 20 : l'Homme qui défait l'infini, de Matthew Brown, fut l'un des films les plus réussis de 2016.

Comme Julian Assange, Edward Snowden est devenu un paria aux yeux du Pentagone, de la CIA et de la NSA, dont il est devenu l'épouvantail et le cauchemar ... Face à Shailene Woodley, Joseph Gordon-Levitt incarne avec une crédibilité forte l'ancien analyste de la CIA et de la NSA dans un film d'Oliver Stone, qui renoue avec sa tradition d'oeuvre politiquement très engagées, après Platoon (1986), Wall Street (1987) ou encore J.F.K (1991), au milieu de films noirs comme U-Turn (1997) ou Savages (2012).

Dans Amadeus, chef d'oeuvre de Milos Forman (1984), le cinéaste tchèque offre un double biopic : celui de Wolfgang Amadeus Mozart bien entendu, avec la musique divine du compositeur de Salzbourg. Mais Forman voit Mozart par le double prisme de sa vie qu'il brûle par les deux bouts et par la jalousie viscérale d'Antonio Salieri, compositeur officiel de la Cour de Vienne, incarné avec force par Fred Murray Abraham, qui y trouve là le meilleur rôle de sa fantastique carrière (Scarface, le Nom de la Rose, le Bûcher des Vanités, A la Rencontre de Forrester ...).

Si l'Amérique a porté à l'écran le destin exceptionnel de Jordan Belfort, la France et le Royaume-Uni ont fait de même avec leurs traders fous tombés de Charybde en Scylla à force de penser, comme des joueurs addictifs de casino, qu'ils vont pouvoir se refaire au coup d'après : dans l'Outsider de Christohe Barratier (2016), Arthur Dupont joue un Jerôme Kerviel qui est pris dans un engrenage infernal, et Ewan McGregor incarne Nick Leeson dans Trader (1999) qui mènera à la faillite de la Baring's en 1995.
Les deux hommes ont pour point commun d'avoir franchi le Rubicon et fait vaciller le système financier, avec deux séismes : le premier avec hypocentre à Singapour et épicentre à Londres pour Leeson, le second avec hypocentre et épicentre confondus à Paris pour Kerviel.
A chaque fois, la psychologie du personnage est une pierre angulaire de ces films où l'épée de Damoclès est condamnée à tomber.

Dans la Femme au Tableau de Simon Curtis (2015), Helen Mirren joue une inconnue célèbre : Maria Altmann, nièce d'Adèle Bloch-Bauer, l'érégie de Gustav Klimt. Ce film brillant nous plonge dans le Vienne nazi de l'Anschluss où une famille juive perd un joyau de Klimt.
En mémoire de ses parents déportés, Maria Altmann mènera un terrible bras de fer avec l'Autriche, aidée par un avocat américain joué par Ryan Reynolds.

La plus grande actrice britannique de sa génération n'en était pas à son coup d'essai, après The Queen de Stephen Frears (2006).
Helen Mirren joue une Elizabeth II distante, perchée dans ses tours d'ivoire de Buckingham Place ou de Balmoral Castle, face à un peuple britannique désemparé puisqu'orphelin de Lady Diana en cette fin d'été 1997.
Face à elle, Mirren trouve en Michael Sheen un partenaire crédible dans le rôle du Premier Ministre travailliste Tony Blair, élu quatre mois plus tôt au 10 Downing Street, son Graal personnel de politicien.

Deux ans plus tard, Sheen joue un autre second rôle de biopic dans Frost / Nixon de Ron Howard, celui du journaliste David Frost, face à un Frank Langella époustouflant dans le rôle du président américain Richard Nixon ayant démissionné après le Watergate.
Scénarisé par l'inspiré Peter Morgan (comme The Queen d'ailleurs), Frost / Nixon (2008) poursuit la même trame que deux autres films : le biopic sous forme de duel, sorte de version 2.0 du biopic.
Dans le Dernier Roi d'Ecosse (2006) de Kevin MacDonald, Forest Whitaker trouve le meilleur rôle de sa carrière (avec celui de Cecil Gaine dans le Majordome) dans la peau du dictateur sanguinaire d'Ouganda, Idi Amin Dada, face à James McAvoy (Nicholas Garrigan, personnage fictif) qui flirte avec les fourches caudines du diable ...

Et dans Rush (2013) de Ron Howard, Daniel Brühl et Chris Hemsworth nous offrent une incroyable reconstitution de la saison 1976 de Formule 1, avec le duel entre les pilotes Niki Lauda et James Hunt pour le titre de champion du monde, sorte de fable de la Fontaine du sport automobile : la fourmi viennoise qui avait cannibalisé la saison 1975 pense réaliser un deuxième cavalier seul quand la cigale anglaise, qui n'oublie pas d'épouser une femme sublime (Suzy, alias Olivia Wilde), vient contrecarrer ses desseins de gloire. C'est l'opposition entre le feu et la glace, entre le yin et le yang, entre le feu du Nürburgring et la pluie du Mont Fuji ...
Comme pour Invictus avec les matches de Springboks, les scènes de Grands Prix sont dosées de façon raisonnable dans Rush.

Dans le Discours d'un Roi (2010), Colin Firth offre aussi une prestation éblouissante en mettant l'accent sur le bégaiement du roi George V au moment tragique où l'Angleterre de Winston Churchill doit défendre l'Europe libre contre l'Allemagne nazie d'Adolf Hitler et sa menaçante Luftwaffe. L'héritier des Windsor, qui reprend la couronne après l'abdication d'Edouard VIII (alias Guy Pearce), trouvera la force de lutter contre son handicap d'élocution grâce à un orthophoniste australien, Lionel Logue (joué par Geoffrey Rush).

L'acteur australien avait aussi placé la barre très haut dans Shine (1996) de Scott Hicks, jouant avec un inégalable brio le rôle du pianiste David Helfgott, écrasé par l'ombre d'un père autoritaire (Armin Mueller-Stahl). Quant à Winston Churchill, il a trouvé en 2018 un interprète prodigieux en la personne de Gary Oldman, dans les Heures Sombres de Joe Wright, au moment crucial de succéder au désastreux Neville Chamberlain tout en limitant l'influence néfaste de Lord Halifax. Churchill mène cette joute capitale pour la survie de l'Angleterre et de l'Europe démocratique, alors que lui même, l'hyper-actif et inoxydable sexagénaire, se débat contre l'un de ses violons d'Ingres : l'alcool. .

Un autre acteur impressionnant est Benicio del Toro dans Paradise Lost (2014) d'Andrea Di Stefano, avec une incarnation géniale du roi de la drogue colombien Pablo Escobar, dont le rôle sera repris trois ans plus tard par Javier Bardem dans Escobar (2017).

Dans Apollo 13 (1995), Tom Hanks poursuit sa série de rôles sans partenaire féminine (*) en jouant le rôle de Jim Lovell, commandant de la mission lunaire. Là encore, on connaît l'heureux épilogue survenu en avril 1970 pour les trois coéquipiers mais Ron Howard joue sur la corde sensible : la pression mise à Houston par Gene Kranz (Ed Harris y trouve l'un de ses plus beaux rôles) sur les ingénieurs de la NASA pour sauver l'équipage d'une mort presque certaine, et l'incroyable lien distant reconstitué par le quatrième équipier resté sur Terre pour cause de risque de rougeole, Ken Mattingly (alias Gary Sinise).

La phrase "Houston, we have a problem" possède une force unique dans ce contexte dramatique où l'enjeu n'est plus d'honorer la promesse de John F. Kennedy faite en écho à l'exploit de Iouri Gagarine en 1961. Mais Hollywood reviendra dans First Man (2018) sur l'odyssée de Neil Armstrong, le premier homme sur la Lune (20 juillet 1969), sous la caméra de Damien Chazelle, avec Ryan Gosling dans le rôle du héros spatial.

Tom Hanks, lui, retrouve dans Sully (2016) un vrai biopic, le quatrième de l'oeuvre de Clint Eastwood. Le pilote a sauvé de la mort sur l'Hudson River près de 150 passagers un jour de janvier 2009 ... Trois ans après Flight (2013) de Robert Zemeckis avec un Denzel Washington remarquable, la réalité dépasse la fiction. Tom Hanks y trouve un rôle à la hauteur de son talent, et Clint Eastwood insiste sur l'enquête ayant suivi ce sauvetage miraculeux, ce soleil d'Austerlitz auquel succède Waterloo morne plaine : au respect du grand public pour le héros, le film décrit le contraste avec la ténacité des enquêteurs de l'Aviation Civile pour prouver que Sully et son copilote (joué par Aaron Eckhart) n'ont pas utilisé la bonne procédure, et qu'ils ont joué avec le feu ...

Hanks avait joué le rôle du député démocrate Charlie Wilson engagé dans le conflit entre l'Afghanistan et l'Union Soviétique dans les années 80. Face à Julia Roberts et Philip Seymour Hoffman, l'acteur deux fois oscarisé trouve l'un de ses plus belles compositions dans la Guerre de Charlie Wilson (2007) de Mike Nichols.

Trois ans plus tôt, Hanks avait tourné le Terminal (2004) de Steven Spielberg, détourné de l'histoire vraie d'un clandestin iranien bloqué dans la zone internationale de l'aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle. Tom Hanks, alias Victor Novarski, se retrouve suite à un basculement politique dans son pays d'origine bloqué à l'aéroport de JFK, et Spielberg invente face à lui deux rôles magnifiques : celui de l'hôtesse de l'air Amelia Warren dont Hanks tombe vite amoureux (Catherine Zeta-Jones), et celui de sa bête noire, Frank Dixon, campé par l'excellent Stanley Tucci.

Ce dernier joue aussi un second rôle dans un faux biopic, le Diable s'habille en Prada (2006) de David Frankel : Meryl Streep y joue le rôle de Miranda Priestly, despotique rédactrice en chef de Vogue, inspirée d'Anna Wintour. L'actrice avait déjà réussi à incarner Karen Blixen dans le splendide Out of Africa (1985) de Sidney Pollack, aussi bien qu'elle sauvera du désastre la Dame de Fer (2011) en jouant le rôle de Margaret Thatcher.

Sean Penn s'est essayé au biopic avec l'Histoire tragique de Christopher McCandless dans Into the Wild (2007), qui offre son premier grand rôle à Emile Hirsch : film à l'épilogue tragique et aux paysages sauvages dans le Grand Nord, Into the Wild montre que le succès d'un biopic n'est pas proportionnel à la célébrité de son personnage central mais à l'angle d'attaque pris par le scénariste et le réalisateur : l'intarissable soif de liberté de cet étudiant indépendant nous emmène dans un voyage aussi magnifique que dangereux.

Encore méconnu, Jesse Eisenberg explosera lui avec The Social Network en 2010. Facebook a envahi nos vies mais David Fincher débute et finit par deux scènes décrivant la solitude de Mark Zuckerberg face à une Erika (alias Rooney Mara) a priori inventée par Aaron Sorkin.Le destin des jumeaux Winklevoss (Armie Hammer), d'Eduardo Savrin (Andrew Garfield) et de Sean Parker (Alias Justin Timberlake) est lui bien réel. Fincher prouve encore une fois, et s'il en était encore besoin, après Panic Room (2001) ou Zodiac (2007) qu'il n'a pas besoin de son acteur fétiche Brad Pitt pour tourner d'authentiques chefs d'oeuvre ... Ceux qui ne seront pas convaincus pourront regarder Gone Girl (2014) : pas de biopic, mais le créateur d'House of Cards tire encore la quintessence d'un scénario adapté.

Dans Zodiac (2007), Fincher s'intéresse tout autant au mystérieux Tueur du Zodiaque ayant sévi près de San Francisco qu'au véritable acharnement et au travail stakhanoviste mené par Robert Graysmith (alias Jake Gyllenhaal) pour connaître la vérité : encore un faux biopic, comme pour Apollo 13 (1995) de Ron Howard ou le Majordome (2012) de Lee Daniels.

Dans la Môme (2007), Marion Cotillard explose aux yeux du monde en tutoyant la perfection et en s'attirant tous les superlatifs. La façon dont la jeune actrice française incarne Edith Piaf y est remarquable, performance amplifiée par la force de la musique de la chanteuse décédée en 1963. Le film d'Oliver Dahan est l'exception à la règle, car il suit toute la vie de Piaf, mais cette vie dramatique est un roman, et Cotillard emporte tout sur son passage, malgré d'autres performances notables, de Sylvie Testud à Gérard Depardieu ...

Autre grandiose biopic musical, Ray (2005) de Taylor Hackford ... Avant de devenir le Django de Quentin Tarantino, Jamie Foxx y incarne donc Ray Charles, au destin aussi tragique que brillant. L'Oscar recueilli par Foxx est mérité, tant le film a été plébiscité.

Dans la Conquête (2011) de Xavier Durringer, Denis Podalydès déploie toute sa panoplie pourcamper le président alors en exercice, Nicolas Sarkozy, dans un flash-back sur sa période de candidat et Ministre de Jacques Chirac (avec l'excellent Bernard Lecoq) et rival de Dominique de Villepin (joué par Samuel Labarthe), qui rêve de dresser la guillotine sur l'inexorable ascension de celui qu'il surnomme le nain.

Autre brillant acteur français, François Cluzet joue en 2009 le rôle de Philippe Miller, un biopic reprenant l'histoire de l'escroc Philippe Berre ayant fait construire un tronçon d'autoroute dans la Sarthe. Le réalisateur Xavier Giannoli y transporte l'Histoire dans le Nord de la France où la finalisation de l'autoroute restera certres utopique mais pas l'espoir placé dans une population sinistrée par un chômage pérenne et par la désindustralisation.

Guillaume Canet, par deux fois, a joué dans des biopics le rôle de dangereux criminels : Maurice Agnelet dans l'Homme qu'on aimait trop (2014) d'André Téchiné face à Renée Leroux (Catherine Deneuve) qui voit le destin de sa fille Agnès (Adèle Haenel) lui échapper en 1977 dans le contexte de la guerre des casinos et des mafias à Nice (Casino Ruhl et Palais Méditerranée).

Canet, la même année, avait repris le rôle du gendarme tueur Alain Lamare dans La Prochaine fois je viserai le coeur de Cédric Anger, le protagoniste étant rebaptisé Franck Neuhart.

Côté français, la palme revient cependant au diptyque sur Jacques Mesrine tourné en 2008 par Jean-François Richet : Mesrine, l'Instinct de Mort qui s'arrête en 1973, et Mesrine, l'Ennemi Public n°1 qui retrace la période 1973-1979. Vincent Cassel domine au casting pourtant puissant dans la peau de l'homme aux mille visages. Charismatique, intrépide et séduisant, Cassel en vient presque à faire oublier le danger public qu'était Jacques Mesrine. Face à lui, on retrouve Ludivine Sagnier (Sylvia Jeanjacquot), Mathieu Amalric (François Besse), Samuel Le Bihan (Michel Hardouin), Cécile de France (Jeanne Schneider), Gérard Lanvin (Charlie Bauer) et bien sûr
Olivier Gourmet (commissaire Robert Broussard).

Michel Bouquet n'est pas en reste dans le Promeneur du Champ-de-Mars (2005) de Robert Guédiguian, où l'acteur incarne un François Mitterrand nébuleux et littéraire, refusant de se confier sur son passé vichyste.

D'autres réussites ... Le génial péplum Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz avec Elizabeth Taylor (1963), Grace de Monaco (2014) d'Oliver Dahan avec Nicole Kidman et Tim Roth (Rainier III) évoquant le bras de fer entre la Principauté de Monaco et la France gaulliste ...

Les échecs sont légion, sans faire une liste exhaustive bien entendu : Alexandre (2004) d'Oliver Stone avec Colin Farrell, Lincoln (2013) de Steven Spielberg malgré l'excellent Daniel Day Lewis, Coluche l'Histoire d'un Mec (2008) d'Antoine de Caunes ayant révélé François-Xavier Demaison, Hitchcock (2013) de Sacha Gervasi avec Anthony Hopkins tournant Psychose (ainsi que Scarlett Johansson en Janet Leigh, Helen Mirren en Alma Reville et Jessica Biel en Vera Miles), The Program (2015) de Stephen Frears avec Ben Foster (qui joue le rôle de Lance Armstrong, septuple maillot jaune du Tour de France) ainsi que Denis Ménochet(Johan Bruyneel), Guillaume Canet (Dr Michele Ferrari) et Chris O'Dowd (David Walsh), J. Edgar (2012) de Clint Eastwood avec Leonardo Di Caprio (autant lire la Malédiction d'Edgar de Marc Dugain sur la relation entre John Edgar Hoover et Clyde Tolson), Jobs (2013) de Joshua Michael Stern avec Ashton Kutcher, Diana (2013) d'Olivier Hirschbiegel, Public Enemies (2009) de Michael Mann sur John Dillinger interprété par Johnny Depp, Django (2016) d'Etienne Comar avec Reda Kateb en Django Reinhardt ou encore Sans arme, ni haine, ni violence (2008) de et avec Jean-Paul Rouve sur Albert Spaggiari.

Quant aux séries TV, elles ont aussi récupéré le créneau avec des biopics collectifs sur des dynasties célèbres : les Borgia, les Tudors (avec Jonathan Rhys-Meyers en Henry VIII et Peter O'Toole en pape Paul III) ou encore les Médicis (avec Dustin Hoffman en guest-star et Richard Madden qui surfe sur sa notoriété issue de Game of Thrones).

(*) à partir du Bûcher des Vanités (1990), où il joue le rôle de Sherman McCoy, Tom Hanks n'a quasiment que des rôles de veuf, de célibataires, d'homosexuels ou d'hommes séparés par les circonstances de la femme qu'ils aiment : Nuits Blanches à Seattle (Sam Baldwin), Philadelphia (Andrew Beckett), Forrest Gump (Forrest Gump), Apollo 13 (Jim Lovell), Il faut sauver le soldat Ryan (capitaine Miller), la Ligne Verte (Paul Edgecomb), Seul au Monde (Chuck Noland), les Sentiers de la Perdition (Michael Sullivan), Arrête-moi si tu peux (Carl Hanratty), le Terminal (Victor Novarski), Da Vinci Code (Robert Langdon), la Guerre selon Charlie Wilson (Charlie Wilson), le Pont des Espions
(James Donovan), Sully (Chesley Sullenberger) ...



4 réactions


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 22 novembre 2018 18:38

    Le seul biopic potable , celui sur Henri, représentant en parapluies ...les Galettes de Pont -Aven ...


  • In Bruges In Bruges 22 novembre 2018 19:05

    L’un des tous meilleurs biopic est récent, je l’ai vu avant-hier :

    « Silvio et les autres », sur Berlusconi.

    Il est vrai qu’il y a Sorentino aux manettes et l’exceptionnel Tony Servillo en Berlusconi boursouflé en dentier...

    Ces deux là ( Sorentino et Servillo), c’est de la bombe. C’est un couple fétiche qui fonctionne une fois encore ici.


    • Axel_Borg Axel_Borg 23 novembre 2018 09:27

      @In Bruges

      Pas encore vu le dernier opus de Paolo Sorrentino mais si c’est de la meme veine que Youth et la série The Young Pope (ah ce générique avec la reprise d’Hendrix ...), ce doit être genial

      Mieux que le Caïman de Nanni Moretti ?


  • Pale Rider Pale Rider 14 mars 2019 15:43

    J’avoue ne pas avoir tout lu : c’est trop long pour une lecture écran ; mais ce que j’ai lu est excellent.

    Cependant, dommage que vous ne vous relisiez pas assez : il y a des répétitions, ou des mots oubliés, ou de belles boulettes (« l’imperméable peugeot »). Je suis bien placé par mon boulot pour savoir que ça passe souvent inaperçu. D’où la nécessité de multiples relectures. Amitiés.


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