samedi 11 février 2017 - par C’est Nabum

Le cercle des lecteurs distingués

Le plus beau cadeau qui soit.

C’est un petit cercle comme il en existe un peu partout dans le pays : des amoureux du livre et de la littérature qui se réunissent pour partager ce bonheur d’un joli texte, l’offrir à haute voix à leurs comparses. C’est un moment d’écoute et de silence, suivi d’un échange, toujours agréable, sur le passage sélectionné mais aussi sur la manière de restituer l’extrait choisi aux autres.

Il y a bien des manières de donner sa lecture. Il y a celle qui l’intériorise totalement, qui la livre d’un souffle, lentement, délicatement. Il faut forcer l’oreille pour pénétrer dans cette intimité qui ne se confie pas aisément. C’est presque comme si elle s’excusait de venir ainsi nous accorder quelques moments d’un plaisir qui est le plus souvent solitaire. Elle ne s’attarde pas trop sur les remarques et les commentaires ; ça la gêne, elle veut vite regagner sa place pour se fondre discrètement dans le groupe !

Il y a celle qui joue sa lecture, parfois la surjoue. Actrice amateur, elle force le trait, nous donne à voir et à entendre sa conception des personnages. Elle est impitoyable pour celui qu’elle condamne, joyeuse et drôle pour ceux qu’elle met au premier plan. C’est un tourbillon, une lecture haletante, un moment qui ne peut laisser indifférent. On lui fait remarquer son parti-pris ; elle ne s’en offusque pas et accepte immédiatement de nous livrer une nouvelle version du chapitre. C’est un autre texte qui se déroule alors ; c’est tout autant du théâtre que de la lecture. Quelle énergie !

Il y a le lecteur parfait. Une voix placée, pas une faute de lecture, une intonation qui en impose. Il déroule inlassablement son récit, met le ton, nous accorde quelques pauses par des silences judicieux et des regards rassurants. Il y a une parfaite technique chez ce lecteur, habitué depuis si longtemps à l’exercice. Il est devenu, au fil du temps, un équilibriste, certain de ne pas tomber, d’accrocher son auditoire et de l’entraîner dans ses pages avec jubilation. Il choisit des textes gourmands ; l’homme doit l’être tout autant.

Il y a une lectrice tout en douceur. Elle commence sa lecture par quelques caresses ; les mots se succèdent lentement, une connivence s’établit avant que nous entrions pleinement dans la situation. Ses textes sont courts, émouvants, tendres. Elle se fait gourmande, mutine, coquine. Le partage est alors une invitation à l’émotion, à l’admiration. Une musicalité parfaite accompagne ce qui devient une interprétation délicate. Le moment est rare, il est goûté par tous.

Puis lui succède la lectrice poétesse. Elle a toujours sur elle des petits carnets sur lesquels elle a recopié d’une petite écriture soignée, des poèmes de nos grands auteurs. Elle les connaît par le cœur, les ressort souvent pour se les dire. Elle nous en livre un avec ce mélange de dévotion et d’exaltation qui nous colle sur place. Nous sommes fascinés ; nous redevenons des écoliers qui ont l’immense privilège d’avoir un vieux maître fou de poésie.

Mais non, cette fois, elle n’a pas sorti un de ses carnets... Elle s’est cachée, nous a dissimulé l’objet qu’elle veut nous offrir. Elle fait sa lecture derrière un paravent pour lui donner plus de force, plus de mystère. Dès le premier mot, mon cœur a fait des bonds. La vieille lectrice classique, l'amoureuse de Hugo et de Verlaine, a choisi un de mes contes. Je ne sais plus où me mettre.

Elle le laisse couler, lui octroie cette délicatesse que j’avais voulu lui donner. C’est un texte né d’une collaboration avec un enfant particulièrement bègue. Je revois les séances consacrées à sa composition. La vieille dame a le pouvoir d’abolir le temps : elle m’a transporté dans cette petite salle de classe, désertée par les autres élèves. Je suis avec mon petit prince, ce garçon magique qui ne parvenait pas à parler. Les autres écoutent, ils n’ont pas compris mon trouble. Ils se contentent d’être emportés par ce récit si simple, si naïf qu’il fallait la douce bienveillance de notre poétesse pour l'interpréter ainsi. Je côtoie les anges !

Puis une ancienne bibliothécaire prend la parole. Elle susurre, elle récite presque. Elle a ce don unique d’avoir une voix, un timbre si particulier, mutin, enfantin, piquant par moment, un timbre qui a lui seul est un enchantement. Nous nous laissons bercer par sa lecture comme durent le faire les enfants qu’elle recevait dans sa bibliothèque. Qu’importe si elle est un peu rigide, si elle manque de souffle parfois ; la grâce est dans sa voix, ce miracle qui ne s’explique pas, qui se constate tout simplement. Voilà une lectrice idéale pour les contes pour enfants ! Je vais la solliciter …

Il y aura enfin votre serviteur, interprétant, en toute immodestie, un de ses billets. Je me suis inscrit à ce cercle si distingué pour justement apprendre à défendre à l’oral mes petites chroniques. Je ne m’en étais pas caché. Mais de là à donner envie à d’autres d’aller chercher un de mes contes, je n’en demandais pas tant. À la fin de la séance j’ai dédicacé deux livres. Le premier à ma délicate lectrice, la remerciant ainsi du moment de grâce qu’elle m’a offert. Le second fut pour notre lecteur équilibriste qui, il y a deux années, alors que je n’étais pas dans ce groupe, avait choisi, lui aussi, un de mes contes pour le lire en public : une farce sur le vinaigre d’Orléans, un peu acide comme il se doit.

La séance suivante sera une nouvelle aventure ; à moins que ce ne soit tout simplement la lecture qui soit la plus belle des aventures. Prenez la peine de vous inscrire, vous aussi, dans un de ces cercles de lecteurs distingués. Il en existe de nombreux ; vous n’en serez pas déçu. Et si l’envie vous prend de partager un de mes textes, je vous l’offre avec grand plaisir.

Reconnaissancement sien.

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