jeudi 19 janvier 2017 - par Paul ORIOL

Le Cercle des poètes disparus

L’arrivée d’un nouveau professeur de littérature anglaise dans l’école de Welton, dans le Vermont (États-Unis), réputée comme étant l’une des plus fermées du pays, va bouleverser le fonctionnement traditionnel d’une classe avec des conséquences dramatiques.
Le cercle des poètes disparus (1) est sorti en 1989. Les premières minutes du film décrivent la préparation et le déroulement de la cérémonie d’ouverture de l’année scolaire 1959. Cérémonie quasiment religieuse dans un bâtiment qui fait penser à un temple ou à un collège anglais, avec grands tableaux allégoriques édifiants… Dans le chœur siègent l’encadrement et le corps professoral. Dans la nef, élèves et parents. Tandis qu’arrive la procession de trois jeunes et nouveaux élèves, suivis de plus anciens avec bannières proclamant les valeurs de l’école, Tradition, Honneur, Discipline, Excellence, un sonneur de cornemuse en kilt et un membre de l’administration porteur d’une bougie, Lumière du savoir, qu’il va transmettre à un jeune et nouvel élève qui, lui même…
Le directeur délivre son message sur l’excellence de son établissement qui ravit les parents assurés qu’ils ont fait le bon choix en confiant leur progéniture à cette école : 75 % d’admissions aux universités de l’Ivy League, les plus prestigieuses des États-Unis… Et annonce que M. Keating, le nouveau professeur d’anglais, ancien brillant élève de Welton, venant de l’université de Chester à Londres remplacera son prédécesseur parti à la retraite...

Dernières salutations, derniers conseils, dernières mises au point. Les élèves s’égaillent dans leur chambre, les anciens se retrouvent, avec les nouveaux, allument des cigarettes, parodient la cérémonie : Travesti, Horreur, Décadence, Excrément… Contestation potache, le moule n’a pas encore fait totalement son effet... Mais le père de Neil revient pour lui rappeler qu’il ne peut s’écarter du chemin qu’il a tracé pour lui.

Dehors, la campagne est belle, vêtue des couleurs de l’automne, parcourue par d’innombrables oiseaux qui virevoltent, libres. Leurs cris se mêlent à ceux des élèves qui, dedans, presque aussi nombreux, parcourent bruyamment la «  cage  » d’escalier. Prisonniers. De l’ambition de l’école et de leurs parents. Vus en contre plongée. Ici c’est la caméra qu virevolte. Comme elle virevolte quand les élèves sautent d’un lit à l’autre se poursuivant pour une feuille, un essai d’écriture d’un poème, dérobée.

Si des activités extrascolaires sont nombreuses – journal, jeux d’échecs, escrime, bicyclette, fléchettes, expériences scientifiques personnelles – le but de l’école est de transmettre le maximum de connaissances, « le reste viendra ensuite  » dit le directeur M.Nolan.

Le Cercle des poètes disparus

Alors que les trois professeurs classiques, entrevus, font leur cours debout au milieu des élèves assis à leur table, imposent le travail, l’ennui, la discipline menaçante, le nouveau professeur les amène en bras de chemise, sifflotant, dans le hall de l’école. Professeur et élèves, également dominés et réduits par la puissance de l’établissement et la force de la vue plongeante du haut de l’escalier, annonce de leur écrasement.

Face aux photos des générations précédentes et glissé au milieu des élèves, le nouveau professeur fait entendre la voix de ces anciens qui ont, eux aussi, été jeunes et ambitieux, qui maintenant nourrissent les vers… Keating leur prête sa voix : carpe diem… profitez du moment... soyez extraordinaires… Avec l’espoir d’encourager le refus du conformisme, l’épanouissement des personnalités, le goût de la liberté… Ce qu’il essaie de faire, aussi, à travers diverses activités, peu habituelles pour un professeur de lettres : arracher la préface de leur livre de littérature due à un éminent professeur, marcher dans la cour pour trouver sa voie, monter sur la table pour voir le monde sous un autre angle, jouer au football pour l’émulation, réciter son propre poème face à la classe…

Le plus souvent filmé parmi les élèves, à leur niveau, Keating les oblige à s’approcher de lui quand il parle : dans le hall - face aux photos -, dans la classe – quand il leur glisse qu’on fait des poèmes par amour, parce qu’on est membre de l’humanité - , dans le pré quand il révèle le cercle des poètes disparus......

Ayant fouillé dans les archives de l’école, les élèves découvrent en effet que M.Keating, élève, était, à son époque, l’animateur du cercle des poètes disparus, romantiques qui se réunissaient dans une grotte des environs. Ils se retrouvent à sept, pour redonner vie à ce cercle, dans cette grotte inspirée, caverne de Platon ? Contre-image de l’école-temple ? Foyer de créativité ?

Dans cet espace restreint, secret, ils vont recréer les vieux rites, fumer, boire, pique niquer, raconter des histoires, réciter des poèmes, jouer du saxophone, faire venir des filles… goûter à la liberté clandestine. C’est dans cet espace libéré que trois d’entre eux puiseront le courage de dévoiler et d’assumer leur rêve.

L’un décide de se déclarer, avec risques, à la plus belle fille jamais vue… Quand il enfourche la bicyclette pour aller la rejoindre dans l’école voisine, follement, à travers près, il soulève des nuées d’oiseaux qui témoignent de la liberté conquise…
C’est là que le plus brillant d’entre eux, qui été à l’initiative de ce nouveau cercle des poètes disparus, annonce sa décision de devenir acteur envers et contre tout.
C’est dans cette grotte qu’un autre annonce qu’il a publié, dans le journal de l’école, un article non autorisé, signé le cercle des poètes disparus et qu’il assumera sa vocation de poète en prenant le nom de Nuwanda.

Dans la grande salle voûtée de l’établissement où s’était déroulée la cérémonie d’ouverture emplie de parents satisfaits, de jeunes assurés ou inquiets devant l’année nouvelle, dans cette salle sont solennellement réunis tous les élèves de l’établissement. Là où le défilé de quelques élèves avait rempli de sympathie heureuse l’assistance au son de la cornemuse, déboulent le directeur et tout l’encadrement avec la détermination bruyante d’un commando. Menaçant. Pour connaître l’auteur de l’article non autorisé.
Un téléphone sonne, Nuwanda se lève, annonce une communication téléphonique pour le directeur ! Dieu demande la mixité dans l’école ! Châtiment corporel et expulsion seront la réponse.

Le combat le plus dur, qui finira mal, est celui de Neil qui veut devenir acteur contre la volonté non de l’établissement mais de son père, rigide, inflexible, qui veut en faire un médecin. La royale couronne de théâtre sera sa couronne d’épines.

Ce film, enlevé, dramatique mais réjouissant, se déroule en 1959, bien avant la révolte estudiantine de 1968 qui a aussi commencé en France autour d’une revendication de mixité. Mais ici, la révolte ne touchera que la moitié des élèves d’une classe et tout rentrera, pour cette fois, dans l’ordre. Avec cependant de graves dégâts...

Sorti à une époque de forte contestation de l’enseignement traditionnel, le film a reçu un bon accueil auprès de la critique et du public.

Le Cercle des poètes disparus

 

1 - Le Cercle des poètes disparus (Dead Poets Society), Réalisation : Peter Weir, Scénario : Tom Schulman, Musique originale : Maurice Jarre, États-Unis, 128 mn, 1989, ressorti en 2004



15 réactions


  • howahkan 19 janvier 2017 10:13

    Salut..merci

    juste une précision carpe diem veut dire « saisir le jour » et pas du tout profitez du moment...


    • rogal 19 janvier 2017 11:07

      C’est vrai, howahkan, mais « saisis (et non saisir) le jour » veut dire « profite du moment ». Vale.


    • howahkan 19 janvier 2017 11:31

      @rogal

      salut exact pour saisis au lieu de saisir..

      sinon je copy/paste un truc pas mal sur la formule, pour etre plus « complet »

      la maxime « Carpe diem » est tirée d’un poème d’Horace dans son livre I des Odes  ?

      La formule latine complète est en effet « Carme diem quam minimum credula postero », que l’on traduira par « Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain  ».

      Le poète latin, philosophe et épicurien, a écrit cette expression dans le dernier vers d’un poème qu’il dédie à une jeune femme prénommée Leuconoé. Le but de ce poème est de nous faire prendre conscience de la fuite du temps. Pour cela, il tente de persuader Leuconoé désirant vivre longtemps, que le plus important est le moment présent et que de ce fait, elle doit pleinement en profiter et ne rien remettre au lendemain.

      A travers ce poème, Horace évoque la sagesse, nous parle d’un futur incertain, et conclut sur le fait de vivre le moment présent car il constitue la seule liberté laissée à l’homme face à la fuite du temps. Cette dernière ne pouvant pas être stoppée, il n’y a plus qu’à profiter de l’instant présent et jouir de ce qui nous est donné.

      L’expression Carpe diem est très vite devenue l’égérie de toute une tradition littéraire. Cependant, son sens a souvent été déformé. On peut notamment le souligner chez Ronsard, dans son Ode à Cassandre, mais également dans ses Sonnets pour Hélène, où la maxime « Carpe diem » devient alors une invitation à aimer et à profiter de sa jeunesse. Le sens diffère ainsi de celui d’Horace.

      Aujourd’hui, on assimile « Carpe diem » à une incitation à jouir du moment présent sans contrainte ni retenue. On traduira ainsi l’expression par « profite de la vie » ou « profite du moment présent ».

      si vis pacem para panem... smiley

      salutations...


    • kalachnikov lermontov 19 janvier 2017 11:53

      @ howahkan

      Commentaire composé bien scolaire.

      Tostaky ici :

      "L’éternité nous appartient
      Chaque seconde la contient .« [B.Cantat]

       »Elle est retrouvée.
      Quoi ? - L’Eternité.
      C’est la mer allée
      Avec le soleil." [Rimbaud]

      mer + soleil = restauration de l’unité originelle. En soi.


    • rogal 19 janvier 2017 12:08

      @
      Alors carpe horam, howahkan !


    • howahkan 19 janvier 2017 13:18

      @rogal

      verum est, gratia

      salutations..


  • Taverne Taverne 19 janvier 2017 11:15

    Un film culte qui vilipende à juste raison les excès de l’éducation fondée uniquement sur la discipline et l’excellence, au détriment du bien-être et de l’épanouissement des individus.

    Les professeurs doivent délivrer leur savoir mais aussi délivrer leurs élèves en leur permettant de penser par eux-mêmes pour devenir des adultes responsables et compétents.

    « Compétent » vient du latin « competens » qui veut dire « obtenu avec » (cum petere) : niveau de capacité obtenu avec quoi ? Avec le savoir et l’expérience.
    « Compétence » vient d’un autre mot latin qui signifie « juste rapport, proportion ».

    Tout est dit dans ces définitions et je résume ainsi : « délivrer le savoir, et l’élève, en rendant celui-ci »compétent« , autrement dit détenteur d’un savoir en juste proportion de l’utilité qu’il en aura dans l’existence. » (inutile de le gaver de latin, par exemple)

    Le cercle des poètes s’oppose au cercle du monde en vase clos du monde universitaire dénoncé qui tourne sur lui-même.

    Mais la révolution exigée par le nouveau professeur s’avère dangereuse en imposant des injonctions nouvelles (« soyez extraordinaires ») difficiles à suivre (et si on n’est pas extraordinaire, que devient-on ?) C’est pourquoi, une révolution en cercle mais en spirale est préférable. Par un effort résolu et constant, on progresse à chaque révolution en cercle, sans brutalité et avec moindres dommages. Cela dit la progression en spirale est parfois étouffée par l’institution et la violence est alors le seul recours. Cette violence doit demeurer exceptionnelle et la progression en spirale doit lui être substituée au plus tôt.


    • kalachnikov lermontov 19 janvier 2017 11:25

      @ Taverne

      Peut-être tout simplement ’rejetez l’uniformité’, ’développez vos personnalités propres’, ’ne vous laissez pas enfermer/châtrer/circoncire’. Et pas nécessairement dans un objectif de supériorité et sur un monde compétitif. Cf. le concept de surhomme nietzschéen, l’après-homme, celui qui l’a dépassé. ’Deviens qui tu es’ [Nietzsche] ; En queque sorte, tout individu est une combinaison heureuse de la nature et ce qui définit la vie, c’est unicité, singularité et variété.

      ’Doit-on se courber encore et toujours pour une ligne droite ?
      Prière pour trouver les grands espaces entre les parois d’une boîte
      Serait-ce un estuaire ou le bout du chemin au loin qu’on entrevoit
      Spéciale dédicace à la flaque où on nage, où on se noie
      Autour des amandiers fleurissent les mondes en sourdine
      No pasaran sous les fourches caudines’
      [B. Cantat]


    • Taverne Taverne 19 janvier 2017 11:52

      @lermontov

      Contre l’uniformité, le conseil donné ici est le bon : « marcher dans la cour pour trouver sa voie ». Puisque c’est le corps qui nous dicte nos choix, donnons à notre corps le mouvement qu’il faut. En marchant on se donne un rythme plus qu’une direction, ce rythme génère la pensée adéquate. Il faut savoir s’obliger au bon rythme : le nôtre et celui du maître qui marche à nos côtés (pas celui qui harangue les élèves du haut de son estrade et de son érudition).

      Pour le mot d’ordre nietzschéen « deviens ce que tu es » : il y a la décision d’un personnage (Neil) « de devenir acteur envers et contre tout » malgré que « le père de Neil revient pour lui rappeler qu’il ne peut s’écarter du chemin qu’il a tracé pour lui ». Ce thème de la vocation de comédien contrariée par les parents est une question traitée par nos classiques, comme Corneille dans L’illusion comique  : un père cherche son fils disparu mais, malheur à lui, il est devenu comédien ! La pièce se conclut sur un panégyrique du métier de comédien.


    • rogal 19 janvier 2017 12:23

      Compétent, compétence, compétition... vous nous faites tourner en bourrique, Taverne et Lermontov.. Même si c’est en spirale, pour la promesse de liberté une hélice me plairait au moins autant : liberté par le haut. Et plus audacieux encore (ne nous refusons rien) : une hélice spiralée.


    • kalachnikov lermontov 19 janvier 2017 12:31

      Nb : dans mon intervention précédente, il convient de lire ’sur le mode compétitif’, naturellement.


    • Taverne Taverne 19 janvier 2017 12:52

      @rogal

      Et pourquoi pas ? smiley

      La forme en hélice est issue de la capacité d’adaptation ; on la trouve dans la pomme de pin ou le coquillage. La loi de Fibonacci l’exprime bien. Elle est le résultat de la confrontation de la force d’inertie à la force de mouvement : plus la première est forte et plus l’hélice est géométriquement parfaite.

      La spirale est autre chose, c’est l’écart nécessaire que Henri Bergson voit dans la pensée : la pensée est l’écart, l’intervalle, qui s’interpose entre la stimulation extérieure et la réaction qu’elle provoque chez l’organisme. L’écart, c’est le cerveau. Partant de là, pour moi, l’écart c’est l’impulsion que donne la pensée à chaque révolution sur elle-même. C’est ainsi que s’opère l’apprentissage : l’homme taille son silex encore et encore mais un écart (infiniment petit) fait que l’art de la taille va évoluer.

      L’hélice n’est qu’une forme d’adaptation, alors que la spirale est la pensée !


  • kalachnikov lermontov 19 janvier 2017 12:43

    @ Taverne

    ’Le conseil est le bon’. Non, il ne s’agit pas d’un conseil, le prof essaie de les éveiller à une perception de l’existence ; une apocalypse, en fait, au sens de révélation. Sinon, on tombe dans le travers de notre époque, être original (se peindre les cheveux en bleu, avoir une sexualité prétendûent libre, l’archétype du hipster, en fait) pour l’être alors qu’il s’agit de prendre conscience et de se délivrer d’une aliénation. Cette aliénation, c’est comment le groupe, la société, dévore ses enfants, les individualités pour être et subsister. Nul ne doit être, vouloir être c’est déjà être déviant ; l’ordre doit demeurer. Et les élèves justement vivent par l’expérience cette théorie, elle se trouve confirmée. 


  • Stupeur Stupeur 19 janvier 2017 21:52

    Merci smiley


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